Découvert en 2013 sur PC et 360, The Bridge, ce titre indépendant alliant l'absurde à la physique, daigne enfin rejoindre les catalogues des jeux dématérialisés sur consoles. Petite session de rattrapage pour ceux qui auraient manqué cette production atypique au gameplay réglé comme du papier à musique.
Difficile de dire exactement dans quel monde on met les pieds lorsqu'on pénètre dans l'univers étrange de The Bridge. S'agit-il des songes issus de l'esprit fantasmagorique d'un vieux fou ? Le fait est que cet individu aux yeux exorbités que l'on incarne dans ce titre, vêtu comme au siècle dernier et passionné par les mathématiques ésotériques, se retrouve piégé dans sa propre maison et n'a qu'un seul objectif : en explorer chacune des pièces qui la composent. Plus exactement, ce sont les différentes salles alignées dans le vestibule et marquées par des portes numérotées qu'il va lui falloir traverser, sa demeure étant en proie à une gravité complètement déréglée dont le joueur a justement le contrôle. Adoptant une vue en coupe, la maison en question peut ainsi pivoter sur elle-même à 360° selon notre bon vouloir, ce qui a évidemment pour effet de brinquebaler le propriétaire selon les règles immuables de la gravité.
Extrait de The Bridge
De Newton à M. C. Escher
Avant même de savoir de quoi est fait le gameplay de The Bridge, ce qui nous amène à lui c'est sa direction artistique torturée inspirée des oeuvres de M. C. Escher. Bien que tout se passe au coeur de la demeure, le choix du monochrome et le caractère sinistre des éléments présentés ne sont pas des plus engageants et promettent un sort bien funeste à ce petit bonhomme qui semble en proie aux délires les plus fous. Si le fait de tomber de très haut ne constitue pas un danger pour lui, le moindre contact avec ces espèces de boulets grimaçants qui parsèment les niveaux s'avère mortel, et c'est justement en faisant pivoter son référentiel que notre bonhomme devra trouver un moyen de leur échapper.
Mais courir jusqu'à la sortie est rapidement proscrit puisque les stages de The Bridge font intervenir des portes scellées par de multiples verrous qui ne s'ouvrent qu'à l'aide de clefs solidement retenues par des chaînes... au plafond ! Car le principe de ce titre est bel et bien de nous obliger à manipuler la gravité en faisant pivoter notre environnement à 360° dans le but de rendre l'inaccessible accessible. Que vous optiez pour des rotations gyroscopiques ou via les gâchettes (selon la version du jeu), ces manipulations exigent presque toujours un dosage millimétré. The Bridge fait en effet partie de ces jeux dont les stages peuvent s'avérer extrêmement difficiles à boucler alors même qu'on en connaît la résolution.
Une porte vers la folie
Mais comprendre la manière de franchir la porte de sortie a déjà de quoi rendre perplexe tant les astuces à mettre en place peuvent s'avérer atrocement tordues. Outre la notion de poids et de gravité, il faut aussi prendre en compte la perspective, les niveaux jouant presque toujours sur les pièges visuels pour nous embrouiller l'esprit. Ainsi, un level design en spirale pourra facilement nous entraîner dans le vide tandis qu'un enchevêtrement de poutres et d'escaliers aura de quoi faire tourner la tête au joueur le plus concentré. Indispensables pour déverrouiller les portes, les clefs sont souvent protégées par des boulets au contact mortel, et les atteindre exige toujours un timing très précis.
Au fil des niveaux, on découvre de nouvelles raisons de s'arracher les cheveux, comme ces vortex à éviter ou à exploiter selon les cas, ces panneaux coulissants qui ne basculent jamais au moment où on le souhaite, ces jeux de couleurs (gris ou blanc) à respecter, ou encore ces interrupteurs d'inversion. Il s'agit là de symboles qui inversent le sens haut/bas de la pièce et qui modifient en même temps la couleur du personnage, ce qui permet d'interagir soit avec les clefs et portes grises, soit avec les clefs et portes blanches. Tout aussi crucial dans les derniers niveaux, le voile est un espace spécifique depuis lequel on peut faire pivoter l'environnement sans que la rotation ne fasse bouger notre avatar. Dans certains stages, on peut même altérer directement le sens de la gravité, ce qui donne lieu à des puzzles ultra millimétrés qui exigent une précision d'orfèvre, même quand on sait exactement comment les résoudre. Résultat, on ne sait pas toujours si une manoeuvre est vraiment réalisable tellement les conditions requises peuvent être parfois difficiles à réunir.
Il faut être patient et zen pour jouer à The Bridge, et ce malgré la générosité des développeurs qui ont eu la gentillesse de nous offrir un rewind illimité en cas d'échec. Autrement dit, la mort ou la perte d'une clef ne sont jamais dramatiques puisqu'on peut à tout moment revenir en arrière, rembobiner les dernières secondes de jeu comme si elles n'avaient jamais eu lieu. Et pourtant, il y a moyen de passer des heures dans les puzzles de The Bridge tant ces derniers font preuve de sadisme dans l'exigeance du timing et dans la complexité des méthodes de résolution imposées. Composé de 4 chapitres de 6 tableaux chacun, et d'autant de stages en mode miroir, The Bridge demeure malgré tout relativement court, même si on peut facilement passer beaucoup de temps sur les puzzles les plus corsés. Qui plus est, la D.A. contribue elle aussi à nous rendre fou avec ces morts à répétition qui laissent des traces là où notre cadavre a échoué. Le rendu crayonné dans des environnements monochromes et les musiques lancinantes fascinent autant qu'ils dérangent, The Bridge étant clairement un titre à parcourir à petite dose en s'aérant la tête un maximum entre chaque partie...
Points forts
- Inventif malgré le côté déjà-vu du concept abordé
- Une D.A. en adéquation avec le défi proposé
- Aucun tableau ne se ressemble
- Des puzzles millimétrés qui obligent à redoubler d'astuce
Points faibles
- Peu de niveaux même si le challenge est au rendez-vous
- Certains puzzles vraiment abusés question timing
- On ne sait pas toujours si une manoeuvre est vraiment réalisable
- De quoi devenir fou...
Désormais accessible aux joueurs sur consoles, The Bridge ne s'élève sans doute pas au rang d'un jeu tel que Braid mais il réussit néanmoins à trouver sa place dans une catégorie où l'on croyait pourtant avoir déjà tout vu. Attention tout de même, le challenge démoniaque de ce titre pourrait bien conduire les moins patients d'entre vous sur le chemin de la folie.