Après le très onirique Dear Esther en 2012, puis le fortement controversé Amnesia : A Machine for Pigs en 2013, Everybody's Gone to the Rapture marque, en ce mois d'août 2015, le retour d'un studio de développement ô combien atypique, à savoir The Chinese Room. Cette structure indépendante britannique, basée dans la charmante ville côtière de Brighton, a pour particularité d'avoir été fondée par un écrivain (Dan Pinchbeck) et une compositrice (Jessica Curry). Rien d'étonnant finalement lorsque l'on voit à quoi ressemblent leurs projets.
PLUS BEAU QUE BEAU
Si les jeux estampillés Quantic Dream ont tendance à être critiqués en raison de leur aspect "film interactif", force est de constater que les titres de The Chinese Room vont bien plus loin. En effet, ces derniers ne proposent pour ainsi dire aucun gameplay. Les fans de la licence Amnesia : The Dark Descent en ont fait les frais bien malgré eux. Un reproche qui, dans le cas de Dear Esther, s'ajoute à la durée de vie tout simplement ridicule du soft (comptez 60 minutes pour en faire le tour). Il était donc tout à fait légitime de s'interroger quant au résultat final concernant Everybody's Gone to the Rapture. Annoncé en 2012, puis présenté pour la première fois à la Gamescom de Cologne en 2013, le nouveau bébé du studio anglais aurait dû sortir, comme ses grands frères, sur PC. Néanmoins, par peur de ne pas débloquer suffisamment de fonds pour aller au bout de leurs envies, Pinchbeck et Curry décidèrent de signer un partenariat avec l'une des filiales de Sony, à savoir Santa Monica Studio (les papas de la saga God of War).
Adieu, donc, la version PC, et bonjour l'exclusivité PlayStation 4. Ainsi, la première chose qui choque lorsque l'on lance Everybody's Gone to the Rapture (après avoir téléchargé les 6 Go nécessaires à son installation), ce sont ses graphismes. Le jeu, développé à l'aide du Cry Engine, est beau à pleurer et se place directement au sommet des claques visuelles disponibles sur la dernière console du géant japonais. L'aspect photoréaliste de l'ensemble est parfois à peine croyable, et si quelques textures un peu plus sommaires vous feront de temps à autre redescendre sur Terre, on n'aura de cesse de prendre des captures d'écran tout au long de l'aventure. Ciel étoilé, coucher de soleil, ruisseau étincelant, maisons reproduites à la perfection... Ici, tout n'est qu'oeuvre d'art.
Un constat bien moins jovial s'opérera en ce qui concerne l'aspect purement technique du jeu. Si quelques ralentissements feront de-ci de-là leur apparition, ce sont surtout les plantages du titre qui ont eu tendance à nous faire perdre patience durant nos sessions de test. Si cela devait vous arriver, sachez que vous reprendriez votre sauvegarde (automatique uniquement, car aucune sauvegarde manuelle n'est prévue) au dernier checkpoint parcouru. Seul bémol, le jeu se déroulant en open-world, vous devrez parfois marcher 10 à 20 bonnes minutes afin de revenir sur vos pas. C'est un fait, les points de contrôle auraient gagné à être mieux placés. Nous vous parlions d'exploration, de monde ouvert, mais vous vous demandez encore probablement en quoi consiste réellement le principe de cet Everybody's Gone to the Rapture. Après tout, ce ne sont sans doute pas les trailers tous plus énigmatiques les uns que les autres qui ont pu vous aiguiller.
VIENS, ON VA SE NARRER !
Dans ce jeu très particulier, que l'on qualifiera d'ailleurs plutôt d'expérience vidéoludique, vous aurez pour seule tâche de marcher, et à fortiori d'explorer le village dans lequel vous débuterez (et finirez) l'aventure. Ce dernier se nomme Yaughton, un bourg so british rempli de cottages tout ce qu'il y a de plus typique. Les fans de l'inénarrable Hot Fuzz, notamment, ou encore de Secrets de Famille, ne risquent pas de se sentir dépaysés. Terrain de rugby pour les plus sportifs, parc au bord du ruisseau pour les plus fatigués, église pour les plus croyants, pubs pour les plus assoiffés, tout y est ! Pour autant, on sera déçu, de prime abord, en imaginant, à tort, avoir fait le tour du propriétaire. Certes, l'aspect visuel est impressionnant, mais l'on aura tendance à trouver le terrain de jeu somme toute restreint. Rassurez-vous, on se rendra vite compte que le chemin, qui ressemblait de loin à un décor inaccessible, mène en réalité à une toute autre partie du village. Ainsi, ce ne sont pas moins de 6 grandes zones différentes qu'il vous faudra explorer de fond en comble pour espérer y voir plus clair... Pour le bien de tous.
En effet, Everybody's Gone to the Rapture est un jeu pour le moins mystérieux. Tout ce que l'on sait, c'est que l'on est en 1984 en Angleterre, dans un village où plus aucun habitant n'est présent. Que s'est-il passé ? Ont-ils réellement tous disparu ? Ce sera à vous d'éclaircir ce mystère, et ce, d'une manière extrêmement simple. Des orbes lumineuses volent dans toute la zone de jeu. Un brin effrayantes au départ, on finit par s'habituer à leur présence, et surtout à comprendre qu'elles sont là pour nous indiquer la marche à suivre. Celles-ci ont d'ailleurs la capacité de se transformer en spectres des habitants susnommés, vous faisant ainsi revivre leur quotidien peu avant leur disparition soudaine. Dès lors, ce sera à vous de choisir votre mode opératoire. Vous pourrez soit suivre ces traînées de lumière et ainsi enchaîner les explorations des endroits dits obligatoires. Dans ce cas de figure, vous n'aurez pour ainsi dire accès qu'aux dialogues principaux. En parallèle à ça, vous pourrez tout simplement décider d'explorer les 6 zones à votre façon, et surtout, à votre rythme. C'est bien évidemment cette option que nous vous conseillons, tant il y a de dialogues secondaires à découvrir, sans compter que vous pourriez rater des lieux d'une beauté ahurissante.
Si les habitués des jeux Bioshock y verront une allusion toute trouvée à la ville utilisée dans ces derniers, le terme Rapture qui nous intéresse aujourd'hui est tout autre. En effet, la traduction française fait référence au Ravissement, ou à l'Enlèvement. Ce n'est bien sûr pas anodin du tout, car si les majuscules sont de mise, c'est avant tout pour rappeler que l'on fait ici référence à l'Enlèvement de l'Église. Cet événement raconté dans la Bible évoque la montée au ciel des chrétiens, rappelés par Dieu, et ce 7 ans avant son supposé règne sur la Terre. Cet Enlèvement (traduit ici par Rapture), a notamment été repris dans plusieurs oeuvres littéraires ou encore cinématographiques. La trame de fond du film This is the End (de, et avec Seth Rogen) lui est d'ailleurs entièrement consacrée, le comique en plus.
TRIPLE RAPTURE OUVERTE
Voilà donc qui vous en dit plus sur le principe du jeu. Vous comprendrez cependant que nous n'aborderons aucun point de détail supplémentaire en ce qui concerne sa trame scénaristique. En effet, celle-ci étant à considérer comme le (seul) point névralgique du titre, il serait fort dommage de vous spoiler quoique ce soit au travers de ce test. Néanmoins, il paraît primordial de rappeler une chose essentielle : l'absence quasi-totale de gameplay. Si les joysticks de gauche et de droite vous permettent de vous déplacer à votre guise, sachez que vous ne pourrez ni courir, ni sauter, ni parler, ni même interagir avec quoique ce soit. Pour résumer, seules les radios, les portes (ou en tout cas celles qui veulent bien s'ouvrir), les téléphones et les écrans (TV, ordinateurs...) peuvent être manipulés.
Un livre ouvert sur une table ? Impossible de le lire. Un ballon de foot sur un coin d'herbe face à un but vide de tout gardien ? Impossible de shooter dedans, ni même de le déplacer, celui-ci restant inlassablement fixé sur le sol telle une moule sur un rocher. De quoi déstabiliser le joueur lambda, il est vrai. C'est d'ailleurs le plus gros reproche que l'on pourrait faire à cet Everybody's Gone to the Rapture. Car si l'histoire a de quoi nous tenir en haleine sans problème, force est de constater que l'on a sans cesse l'impression de subir le scénario (et à fortiori le jeu dans son ensemble), plutôt que de le vivre. Fort heureusement, et contrairement à Dear Esther, l'intrigue nous occupera tout de même quelques temps. Nous avons personnellement terminé cette aventure en un peu moins de 8 heures. Certains d'entre vous mettront probablement moins longtemps, mais n'auront sans doute pas exploré les recoins les plus enfouis de la vallée de Yaughton.
BIENVENUE CHEZ LES VILLAGE PEOPLE
Enfin, comment boucler la boucle sans faire allusion à l'excellente, voire l'hallucinante bande-son proposée tout au long de notre périple. Si les bruitages sont d'une qualité exceptionnelle (on pense notamment aux bruits de portes, de pas, de vent, d'insectes volants, ou encore aux chants d'oiseaux), c'est aussi et surtout la spatialisation de l'ambiance sonore qui impose le plus grand des respects. Ainsi, vous n'en profiterez réellement qu'en utilisant un home-cinema digne de ce nom. Le cas échéant, les moins équipés pourront toujours tenter l'aventure muni d'un casque compatible avec la PlayStation 4. Ce sera également l'occasion de tomber sous le charme de Jessica Curry (ou en tous les cas de ses instruments). La co-directrice de The Chinese Room est, nous vous le disions, compositrice. Déjà à l'oeuvre sur les anciens jeux du studio, madame Curry nous offre ici 28 cadeaux, tous plus mélodieux les uns que les autres. Mention spéciale aux oeuvres nommées Aurora, All the Earth, The Mourning Tree ou encore An Early Harvest.
Et puisque l'intrigue du jeu repose quasiment intégralement sur l'interprétation de ses comédiens de doublage, notez que Santa Monica Studio n'a pas fait les choses à moitié. Car si, par défaut, le jeu est jouable en version anglaise sous-titrée en français, sachez que vous aurez tout le loisir de changer la langue écrite, mais également parlée, et ce parmi l'allemand, l'espagnol, l'italien, ou encore le russe. Encore un très bon point sur lequel Everybody's Gone to the Rapture impressionne. Nous avons d'ailleurs été bluffés par le doublage proposé dans la langue de Molière, tout aussi excellent que celui proposé dans la langue de Shakespeare. Nos comédiens nationaux sont parfaitement dans leurs rôles, et on notera notamment les splendides performances de Benoit Allemane (voix française de Morgan Freeman) ou encore de la plantureuse Odile Schmitt (voix française de Eva Longoria). La VO, elle, inclut notamment la charmante Merle Dandridge (ayant déjà officié dans The Last of Us). Le soft a donc décidément de quoi ravir vos oreilles tout autant que vos rétines... Pour le bien de tous.
Points forts
- Visuellement renversant
- OST magistrale
- Scénario SF prenant de bout en bout
- Doublage français réussi
- Cottages anglais reproduits à la perfection
- Un OVNI vidéoludique qui fait du bien
- Le soin apporté aux détails
Points faibles
- Techniquement instable
- Gameplay inexistant
- Aucune réelle interaction
Alors que les gros éditeurs ont tendance à faire dans la surenchère de blockbusters, The Chinese Room continue son bonhomme de chemin dans la petite sphère des OVNIS vidéoludiques. Aidés par Sony et profitant ainsi d'un budget conséquent, les développeurs britanniques signent cet été un bijou nommé Everybody's Gone to the Rapture. Expérience narrative à 200 %, le titre ne propose quasiment aucune interaction ni aucun réel gameplay. Pour autant, ses graphismes somptueux, sa bande-son magistrale, et son scénario digne des oeuvres SF les plus envoûtantes du siècle dernier en font une exclusivité PlayStation 4 absolument incontournable.