Dans le vaste parc du monde vidéoludique, il y a des thèmes qui restent malheureusement traités de façon restreinte, voire pas traités du tout. Si la guerre ou encore le post-apocalyptique sont des sujets très appréciés des développeurs, l'exploration de l'esprit humain reste à ce jour un sujet encore marginal. Certes, quelques jeux se sont bien essayés dans cet exercice, comme le TPS Spec Ops : The Line, mais aujourd'hui nous arrive Ether One, un jeu prenant le parti de tout baser sur l'esprit humain et ses fragilités.
Ce test est un copier-coller du test de la version PC, pour la raison que les deux jeux sont strictement identiques, sauf l'adaptation du gameplay pour consoles, comme n'importe quel FPW (First Person Walker) lambda. Seulement la version PS4 vient de sortir, et il lui faut un test. Un seul point a été enlevé pour l'absence de traduction française, alors que le jeu sort quand même sur le PlayStation Store après plusieurs autres supports.
On peut dire que pour un premier jeu, White Paper Games y va plutôt fort, en prenant un thème poignant et, sans mentir, plutôt "casse-gueule". Le titre nous propose ainsi de nous glisser dans la peau d'un restorer, une personne censée aider les patients atteints de maladies psychologiques, comme la démence. Son boulot sera de découvrir quel événement est à l'origine de ce trouble, ce qui permettra par la suite de mieux le traiter. Partant de ce postulat plutôt musclé, le jeu nous déroule une histoire vraiment étonnante et sensationnelle.
Une histoire poignante...
Quitte à prendre une base aussi émouvante, on peut dire que le studio est allé jusqu'au bout de son propos. En fait, Ether One prend place au moment où une machine nouvelle génération vient d'être inventée, une machine capable de modéliser l'esprit de quelqu'un, en l'occurrence un patient, et de permettre à une autre personne de s'y balader. Justement, vous tombez sur un cas assez lourd, et qui requiert par conséquent cette technologie. Vous allez donc vous retrouver plongé au sein de l'esprit d'une autre personne, qui prend alors la forme d'un petit village à l'architecture anglo-saxonne du nom de Pinwheel.
Au début, tout paraît à peu près normal, même si le manque d'habitants se fait rapidement sentir. Mais parfois, au détour d'une habitation ou d'un bout de rue, de mystérieuses petites voix se font entendre. Le joueur apprendra très vite que tous ces éléments sont en fait des bribes de souvenirs éparpillées et éclatées au sein de cet esprit que l'on imagine véritablement torturé. C'est bien simple, l'atmosphère est si pesante et anxiogène qu'il est rare de jouer plus d'une heure à Ether One sans sentir un malaise s'installer. Quand on y pense, nous sommes en train de mettre à nu l'esprit de quelqu'un, avec ses doux souvenirs mais aussi ses véritables cauchemars, fruits d'un esprit détraqué. Si Gone Home avait réussi le pari de nous faire découvrir la vie touchante et privée d'une petite famille américaine, Ether One va beaucoup plus loin en nous faisant découvrir la psychologie profonde du genre humain, beaucoup plus fragile qu'elle n'y paraît.
Mais il serait impossible de parler d'Ether One sans aborder sa narration. Si nous parlerons plus tard de son évolution grâce aux rubans rouges disséminés dans Pinwheel, nous pouvons quand même l'aborder d'un point de vue purement idéologique. Ce que l'on peut dire en premier lieu c'est qu'elle rebutera pas mal de joueurs par son côté réellement éclaté : à l'image de l'esprit du patient, la narration ne nous est pas vraiment contée, elle est plutôt suggérée à travers les écrits, les objets, l'architecture... Au final, chaque petit bout de décor, sa palette de couleurs, sa mise en scène ont quelque chose à raconter, se dispersant sur plusieurs degrés de lecture. Le style rappellera allègrement celui de certains écrivains comme Stephen King ou encore du réalisateur David Lynch.
...sublimée par un gameplay simple, mais diablement accrocheur...
Ce qui est encore plus étonnant avec Ether One, au-delà de sa dimension narrative exceptionnelle, c'est la richesse de sa construction propre à chaque joueur. Effectivement, au lieu d'obliger les joueurs à suivre un parcours ultra-balisé, White Paper Games préfère segmenter son jeu en plusieurs parties, pour ensuite leur laisser les commandes. Pour faire simple, il est possible de zapper purement et simplement la totalité des énigmes du jeu, divisant ainsi sa durée de vie par trois. Il s'agit certes d'un choix plutôt déconseillé, mais toujours faisable, pour se concentrer à 100% sur la dimension scénaristique du titre.
Si c'est la voie choisie, il ne vous restera alors plus qu'à dénicher la totalité des rubans rouges en fouillant Pinwheel. C'est par ce biais, et uniquement par celui-là, que la narration avance, et ceci de façon plutôt intelligente. C'est-à-dire qu'après une certaine quantité de rubans trouvés, vous pourrez débloquer une nouvelle scène censée peu à peu démêler l'intrigue. Au sein de celle-ci, vous pourrez vous déplacer muni d'un appareil photo pour faire ressurgir à des endroits précis des souvenirs qui sont pour leur part beaucoup plus intéressants. Car ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que vous n'êtes pas un promeneur en visite touristique, mais une personne chargée de reconstruire un esprit morcelé par la maladie. Et c'est vraiment là que le jeu prend toute la signification de son propos, en mettant le joueur face à des choses qu'il n'aurait sans doute jamais eu l'idée de voir dans un jeu vidéo. Il ne faut pas oublier que quand on achète Ether One, on achète un jeu au propos difficile d'accès en plus d'être assez dérangeant. En bref, il ne faut pas avoir peur de la psyché humaine, avec tout ce qu'elle a d'inavouable et de fragile.
A contrario, si le joueur le décide, il pourra, en plus de cette partie scénaristique, s'adonner à de multiples énigmes optionnelles. Effectivement, le jeu regorge de puzzles plus ou moins complexes, présents ici pour mieux saisir ce que le soft a à nous offrir. C'est en décidant de faire le jeu dans son intégralité, c'est-à-dire avec les énigmes, que le joueur saisira toute la portée de l’œuvre de White Paper Games. Elles pourront par exemple donner certaines clés de compréhension de l'histoire, liant des éléments que le joueur ne pourrait pas comprendre sans ça. Les énigmes font ainsi, derrière leur aspect ludique, corps avec la narration ce qui donne une cohérence vraiment appréciable à l’œuvre dans sa globalité. Leur résolution, elle, reste somme toute classique avec des objets à utiliser ou encore des éléments à déduire, à l'image de nombreux point'n click.
...et transcendée par une direction artistique et une mise en scène extraordinaires
Non content de faire réfléchir le joueur comme il se doit, à travers sa dimension psychologique saisissante, le jeu n'en oublie pourtant pas d'en mettre plein les mirettes. Il se dote pour cela d'une mise en scène qui, pour une fois, touchera vraiment les joueurs et ceci de façon durable. Que ce soit les décors qui bougent de façon spectaculaire – certains éléments se reconstruisant sous vos yeux à mesure que le Restorer répare l'esprit disloqué de son patient – le joueur est sans cesse manipulé et pour tout dire un peu perdu, dans un monde où sa présence n'est pas forcément désirée. Le tout est est merveilleusement mis en image par plusieurs séquences complètement surréalistes, où le réel et l'imaginaire sont brouillés, pour au final rentrer au panthéon des scènes les plus impressionnantes vues dans un jeu vidéo.
Eh oui car Ether One ne serait pas grand-chose sans son aspect artistique d'une qualité rarement vue dans un jeu vidéo. Premièrement, le jeu se dote d'une direction artistique magnifique, jouant subtilement sur un aspect carton / papier mâché du plus bel effet. De plus, le jeu profite d'une technique réussie, rendant honneur à ce petit village côtier qui se révèle d'une troublante beauté. Ceci principalement grâce à la variété de couleurs employées, allant des teintes les plus chaudes et plaisantes aux plus glaciales et saisissantes. Encore une fois, White Paper Games met son jeu au service du propos qu'il essaye de véhiculer et non l'inverse, donnant une vraie fraîcheur à l'ensemble. Tout, absolument tout, au sein du jeu se reflète avec la santé mentale du patient : si vous touchez un point sensible ou un souvenir douloureux, l'image à l'écran n'en deviendra que plus sombre et plus insensée, vous rappelant encore que vous n'évoluez pas dans un monde persistant, mais bien dans l'esprit d'une tierce personne.
Mais le meilleur reste sans doute cette impression que le joueur s'enfonce, de seconde en seconde, un peu plus profondément encore dans la folie humaine, et surtout la détresse et les dégâts que peut entraîner un événement en apparence simpliste, mais capable à lui seul de briser un esprit.
Un voyage angoissant et envoûtant
Points forts
- Une ambiance angoissante, très bien maîtrisée
- Direction artistique et mise en scène de génie
- Techniquement honorable, mais magnifié par le reste
- La multitude de façons d'aborder le titre
- Une cohérence encore jamais vue
- Le sujet, pourtant délicat, est traité de la plus belle des façons
Points faibles
- Une narration peut-être un peu trop disparate par moments
- Toujours pas de traduction française !
Il est extrêmement compliqué de noter un titre comme Ether One, tant son propos et sa façon de l'amener sont particuliers. Préférant distiller son histoire à travers une narration volontairement éclatée mais pourtant criante de génie, Ether One rebutera une grande partie des joueurs qui s'y essayeront. Les autres, eux, découvriront un jeu d'une cohérence tout bonnement jamais vue, porté par une DA ainsi qu'une mise en scène maîtrisées de bout en bout. En bref, un hit exceptionnel abordant un sujet délicat, mais le traitant de la plus belle façon qui soit. En résulte un très, très grand jeu.