S'il est un registre dans lequel les easter eggs sont légion, c'est bien celui du point'n click humoristique. Il n'est en effet pas rare de trouver dans des épisodes modernes de nombreuses références à l'âge d'or du genre, dissimulées habilement dans un décor ou au détour d'une phrase innocemment lâchée au cours d'une phase de dialogue. C'est assurément dans cette optique que Randal's Monday a été élaboré, revendiquant fièrement la volonté d'introduire dans son aventure pléthore de références à tout un pan de la pop-culture dans un point'n click autoproclamé « à l'ancienne ».
Notre vidéo-test de Randal's Monday
L'intrigue de base se veut pleine de promesses, impertinente et les clins d'oeil nombreux : un bon moyen de contenter les fans de la culture geek autant que les amoureux des point'n click déjantés des années 90 ? Pas si sûr...
Randal : chronique d'un antihéros pas ordinaire
Randal's Monday, par son propos même, s'avère plus que digne d'intérêt. Vous incarnez Randal, feignasse finie qui préfère largement écluser des bières et regarder des films de science-fiction avec son ami Matt que se consacrer aux impératifs de la vie. Au cours d'une soirée passablement arrosée, Matt égare la bague symbolisant son union imminente avec sa petite amie, Randal récupère le précieux bijou et s'en va se coucher. Réveillé par un propriétaire un peu hargneux venu réclamer ses loyers en retard, notre ami Randal va désespérément tenter de récupérer un peu d'espèces pour effacer ses impayés. Ne pouvant compter sur son job de livreur dont il vient de se faire virer, il va alors prendre la décision de vendre la bague à un marchand un peu louche. Suite à cela, désespéré, son meilleur ami se suicide et Randal se trouve alors condamné à revivre inlassablement la journée du drame et devra tenter à tout prix de récupérer la bague pour changer le cours du temps afin que son ami ne mette pas fin à ses jours.
Avec un tel postulat de départ, autant dire que n'importe quel fan de point'n click un peu grinçants attendait avec impatience ce jeu développé par Nexus et édité par Daedalic Entertainment, que l'on connaît notamment pour avoir accouché de l'excellente trilogie Deponia. De plus, les quelques visuels dévoilés en même temps que le scénario de Randal's Monday laissaient entrevoir un design cartoon du meilleur effet. En cela, autant dire que nous ne sommes pas déçus. Les environnements dessinés à la main sont tous très réussis, l'identité graphique du jeu étant suffisamment inspirée pour rendre la balade agréable d'un tableau à l'autre. Par ailleurs, si la communication autour du titre était grandement axée sur la présence de Jeff Anderson (Clerke) au nombre des comédiens de doublage présents dans le jeu, le reste du casting s'en sort diablement bien puisque l'ensemble des personnages est très bien doublé. La bande-son est quant à elle très plaisante, quoique parfois un peu intrusive, et s'articule autour de sonorités modernes très à-propos avec le ton contemporain de Randal's Monday.
Quand la forme ne prévaut pas sur le fond
L'emballage du jeu, de la direction artistique à la bande originale, est donc soigné, c'est un fait. Mais si la forme pouvait à elle seule prévaloir sur le fond, les choses seraient formidables pour un Randal's Monday qui souffrirait moins de ses nombreux défauts, qu'il accumule manifestement malgré lui, tant l'intention est bonne sur le papier mais mal exécutée dans les faits. Le premier hic réside dans l'écriture générale de l'aventure. Le jeu est particulièrement bavard, soit. Ne voyez là rien de péjoratif, le vieil amoureux des point'n click sait combien il est savoureux de profiter de nombreux dialogues pas nécessairement importants pour l'intrigue dès l’instant où ces derniers sont impactants, drôles et / ou intelligemment écrits. Ce n'est malheureusement pas le cas ici. Effectivement, si de nombreuses situations sont drôles et que certaines lignes de dialogues vous feront rire de bon cœur, elles sont tellement englouties par de longs échanges peu inspirés que la tentation d’accélérer en quelques clics les assertions des protagonistes se fait grande et que l'on finit par y céder.
Cette sensation ne s'arrête d'ailleurs pas aux seuls dialogues puisque la galerie de personnages qui se voudrait burlesque s'avère en fait un peu tiédasse. Il n'est pas évident de faire de l'excentrique en paraissant sincère et cohérent, et il faut reconnaître que Randal's Monday s'est un peu cassé les dents sur ce terrain. Les protagonistes sont globalement fades à quelques exceptions près, rendant par la même occasion les phases de dialogues moins captivantes qu'elles auraient pu l'être si les intervenants avaient une personnalité plus colorée. Le problème est que cette fadeur s'applique aussi à l'antihéros que vous incarnez. Randal présente pourtant toutes les caractéristiques du personnage que l'on déteste adorer : mythomane, kleptomane, individualiste, agressif et vulgaire, le bonhomme avait tout du parfait antihéros. L'histoire en elle-même déroulait d'ailleurs le tapis rouge au développement de situations loufoques mâtinées d'humour noir, mais Randal's Monday apprend à ses dépens que ne donne pas la réplique à Rufus (Deponia) ou Hector (Badge of Carnage) qui veut, ces derniers étant sans doute les exemples récents les plus proches du titre de Nexus.
Des énigmes pas spécialement bien pensées
Ce constat s'applique notamment aux énigmes qui s'avèrent finalement assez peu nombreuses et pas toujours bien construites. Si le burlesque est de mise dans leur déroulement, il ne se justifie malheureusement pas toujours et l'on a le sentiment que les scénaristes ont volontairement forcé le trait pour bien appuyer sur la dimension « hommage » aux point'n click des années 90. Toutefois, aucune d'entre elles n'est irréalisable, très peu sont totalement dénuées de bon sens et le joueur rompu à l'exercice ne devrait pas rencontrer de trop grandes difficultés à venir à bout du titre. Tout juste pesterez-vous parfois contre les allers-retours destinés à chercher un item dans un endroit déjà visité un jour alors qu'il n'y figurait pas le jour précédent ou contre certaines phases vraiment trop tirées par les cheveux. Cela vous forcera surtout à écumer tous les tableaux que vous connaissez déjà dans l'espoir d'y dénicher un nouvel objet pour progresser dans l'aventure, preuve que le jeu est assez mal construit à ce niveau. Les moins coutumiers du point'n click ou les plus impatients pourront quant à eux se référer à la solution fournie directement dans le menu du jeu, élément devenu incontournable des jeux d'aventure actuels, au même titre que la possibilité de faire apparaître une icône d'une simple pression de touche au-dessus des éléments interactifs.
Indigestion immédiate de références
Mais, finalement, ces défauts qui sanctionneraient n'importe quel poin't click n'arrivent pas à la hauteur de celui qui nivelle paradoxalement Randal's Monday vers le bas alors qu'il était au contraire supposé le tirer vers le haut. Nous l'évoquions en introduction, Randal's Monday s'imposait clairement comme un hommage à la pop / geek-culture et annonçait de multiples références disséminées tout au long de l'aventure. Cet élément destiné à caresser le public cible dans le sens du poil aurait pu être un point fort s'il n'avait pas été craché au visage du joueur en quasi-permanence. C'est bien simple, plutôt que de construire un recueil d'influences bien digérées, Randal's Monday les régurgite à tout-va, la plupart du temps sans aucune raison apparente, juste comme ça, pour le plaisir de se dire « t'as vu ? je connais mes classiques ».
Non. La méthode est mauvaise. Que ce soit dans les dialogues qui multiplient inutilement les références à Pratchett, Monkey Island, Shining, Grim Fandango, Orange Mécanique, 2001 l'Odyssée de l'Espace et on en passe, c'est aussi dans les décors que cette overdose de clins d'oeil prend forme. On retrouve des allusions aux séries, films, jeux vidéo absolument partout. Si l'on peut justifier la présence d'un poster de The Big Lebowski dans l'appartement du héros, nous avons plus de mal à comprendre pourquoi la carte du métro n'est composée que de références célèbres, pourquoi un poster Bioshock se trouve dans des toilettes publiques et pourquoi diable un cabinet de psychiatre est rempli à ras bord de références geek. Et nous n'évoquons ici qu'une portion microscopique des incohérences trouvées dans l'aventure.
Le jeu ne rate pas une occasion d'étaler des couches épaisses d'allusions sans aucun rapport direct avec l'intrigue. Abrupts, rarement à-propos, maladroits, ces éléments supposés séduire un large panel de joueurs agacent dès les premiers instants, tant le joueur se sent immédiatement submergé par un océan de clins d'oeil, à tel point que lorsque aucune référence ne figure dans les dialogues ou le décor, on en vient à se demander si l'on ne serait pas passé à côté d'un film, d'un jeu ou d'une série permettant de comprendre une allusion qui finalement n'existe pas. Voilà bien l'effet pervers de tous les excès, si l'on abuse trop des bonnes choses, l'overdose est inévitable. Randal's Monday ne devait pas le savoir et déçoit à hauteur de la qualité des idées qu'il développait sur le papier. Dommage.
Points forts
- Esthétiquement réussi
- Doublages de qualité
- Bande originale soignée
- Scénario original et plein de promesses
- Certaines phases franchement hilarantes
- Bonne durée de vie
Points faibles
- Une exposition excessive, injustifiée et indigeste de références à la pop / geek culture
- Personnages principaux comme secondaires globalement fades
- Dialogues parfois insipides
- Certaines énigmes inutilement capilotractées
Eu égard aux espoirs que l'on plaçait en lui, Randal's Monday est incontestablement une déception. Nous attendions beaucoup de cette histoire rocambolesque, de cet antihéros parfaitement antipathique et de cette aventure placée sous le signe des références à la pop-culture. Mais si rendre hommage à ses influences est une chose, les cracher éhontément au visage du joueur sans justification, sans rapport systématique avec l'intrigue crée rapidement l'indigestion. Ajoutez à cela des dialogues pas toujours inspirés et des énigmes parfois mal construites et vous obtiendrez un point'n click moyen qui est tout de même sauvé par certaines situations franchement hilarantes, des doublages de grande qualité et une direction artistique réussie. La balade se fait parfois dans la douleur, parfois dans les rires, mais est surtout un exemple blessant d'un recueil de bonnes idées mal exploitées.