Né d’un souhait, celui de la Bloober Team de s’approprier un des jeux d’horreur les plus cultes de sa génération, le remake de Silent Hill 2 est enfin à portée de tuyau en acier sur PS5 et PC. La rouille suinte, à moins qu’il ne s’agisse de sang, sur les dalles fumantes de la ville la plus hostile du monde. Dans la pénombre de ses rues, petite Mary, m’entends-tu ?
Nous avons joué à Silent Hill 2 sur PS5 grâce à un code envoyé par Konami. En difficulté Standard (énigmes + combats), nous avons atteint une des fins (Départ) après une vingtaine d’heures de jeu. Il y en a sept autres, mais nous n’avons pas pu les explorer pour notre test. Nous avons par la suite commencé une nouvelle partie en New Game + afin de vérifier divers détails, avec notre jolie tronçonneuse. Les images du test ont été capturées sur PS5 en mode “Qualité”. Un mode “Performance” est également présent.
À part
Dans mes rêves agités, je ne cesse de voir cette ville. Je me souviens de ce jour brumeux de novembre 2001, en train d’ouvrir fébrilement le coffret double DVD contenant Silent Hill 2 ainsi que son making-of. Malgré mon impatience de lancer ce titre que j’attendais tant, la faute aux articles des magazines de l’époque qui nourrissaient mon enthousiasme comme on gave une oie, c’est le reportage que j’insérai en premier dans le lecteur de la PlayStation 2. Il y avait quelque chose d’exceptionnel à faire cela, les vidéos révélant ce qui se passe dans nos studios préférés – fournies au lancement dans un pack – étant rarissimes au début des années 2000. Après quatre minutes passées à écouter Nicolas Beuglet, journaliste chez Fun TV, j'interrompis précipitamment mon visionnage. La crainte d’une divulgation fut plus forte que le dégoût provoqué par les photographies des urinoirs crasseux utilisées comme images de référence. Volets fermés, lumières éteintes, c’est dans le silence de ma chambre que je découvris Silent Hill 2. Manette entre les mains, cette fois-ci.
Comme chacun le sait, Silent Hill 2 est un jeu qui parle d’amour, et il n’y a pas d’amour sans passion. En ce jour de novembre 2001, puis durant les semaines, les mois, les années qui ont suivi, les mésaventures de James Sunderland n’ont cessé de m’obséder. Chez moi aussi, une petite voix me demande de retourner à Silent Hill.
La maladie d’amour
Les premières secondes du conte sordide produit par Konami n’ont pourtant rien d’attirantes. C’est à l’intérieur de toilettes répugnantes que James tente de reprendre ses esprits. En pleine déroute, il s’est (é)garé à Silent Hill afin de retrouver sa femme, Mary, qui l’a invité à retourner dans la petite bourgade qui fut naguère un lieu bourré de bons souvenirs, par l’intermédiaire d’une lettre. Seulement voilà, sa bien-aimée est morte il y a trois ans. Il a beau se dire que c’est ridicule, il part à sa recherche tête baissée. Plus il s’enfonce dans les boyaux fumants du patelin, plus il fait face à des démons. Baignée dans un brouillard à couper au couteau, la cité regorge de créatures cauchemardesques prêtes à se jeter sur la jugulaire de l’amant. La situation initiale de ce survival-horror se perturbe définitivement avec la rencontre de Maria, un sosie de la défunte épouse de James. En découlent des péripéties épouvantables qui, de l’immeuble de Wood Side à la prison de Toluca, en passant par l’hôpital de Brookhaven, malmènent les joueurs aux commandes de la vie du héros.
23 ans après son apparition, Silent Hill 2 est toujours l’illustre représentant du jeu d’horreur psychologique. Écrit avec talent, doté d’une ambiance incroyable, s’amusant avec nos peurs primaires, il a endoctriné une légion de curieux devenus fidèles. Au sein même de la série, ce deuxième épisode tient une place à part dans le cœur des admirateurs. Abordant des thèmes lourds traités avec une subtilité remarquable, tels que la maladie, la culpabilité, ou encore la maltraitance, le rejeton originellement conçu par la Team Silent s’est imposé comme une icône. L’idée de le voir revenir des limbes via un remake chapeauté par la Bloober Team, studio que l’on connaît pour avoir tenté de créer son propre Silent Hill avec The Medium, avait de quoi susciter des craintes. Comment ces fans du titre de base, aussi talentueux soient-ils, peuvent-ils réimaginer le mythe ? Est-il même possible d’effectuer une nouvelle version d’une production culte sans trahir les inconditionnels et sans laisser de côté les néophytes ? Est-ce qu'à l'instar des remakes de Dead Space et de Resident Evil 4, les joueurs vont hurler au génie plutôt qu'à l'hérésie ?
Mary au premier regard
Ce n’est plus l’heure des questions, mais celle des réponses. James Sunderland sait que les histoires d’amour finissent mal, en général. Alors quand ces dernières nécessitent de renouer des liens avec une femme morte, les rebondissements risquent de le mener en Enfer. Une fois le niveau de difficulté paramétré (niveaux de combats et d’énigmes gérés indépendamment), c’est le choc. En mode “Qualité”, c’est très beau, quand bien même les reflets laisseraient apparaître quelques artefacts. Les textures sont bien choisies, les effets de lumière sont réalistes, les détails sont nombreux. Regardez nos captures d'écran, vous pourrez avoir l'impression d'être devant des artworks alors que tout est en temps réel. La vue panoramique sur le Lac de Toluca laisse rapidement place aux conifères étouffants de la forêt. La refonte graphique a beau être impressionnante, nous reconnaissons immédiatement Silent Hill. Modélisés avec brio et salis avec de la mauvaise herbe, des ustensiles souillés, des insectes et autres traces plus ou moins suspectes, les environnements respirent ce désespoir sombre tel qu’il est ancré dans nos mémoires. Quant au brouillard, il crée de superbes dégradés exposant toutes les nuances possibles de gris, que ce soit sur les bâtiments lointains ou sur les créatures… bien plus proches. La direction artistique, visiblement influencée par l’adaptation cinématographique de Christophe Gans, s’évertue à rendre ce monde torturé plus menaçant que jamais.
Nos préjugés sur les remakes auraient pu nous plonger dans un déni ayant de faux airs de mécanismes de défense. Oui, le jeu est bien plus joli qu’avant, et alors ? Les graphismes ne font pas tout, n'est-ce pas ? En outre, était-il nécessaire d’autant changer les visages de James, Angela, Maria, Eddie et Laura ? Plus que leur apparence, c’est surtout leur animation qui dénote avec le reste. L’aspect uncanny valley est parfois présent et rappelle que la Team Silent avait réussi l’impossible en 2001. Heureusement, les acteurs profitent de cutscenes bien plus longues et nombreuses qu’auparavant pour délivrer des performances savoureuses. L’absence de doublage français n’est pas problématique étant donné que les dialogues durant les phases de gameplay se comptent sur les doigts d’une main. Certains sectaires feront entendre leur colère, reprochant des vêtements de Maria moins courts que dans leurs souvenirs, des textures trop détaillées pour insuffler du malaise, mais aussi l’abandon de la caméra hybride de l’époque (contrôlable tout en suivant un rail) au profit d’une vue épaule des plus classiques en 2024. Qu’ils pleurent, ces pauvres bougres. La Bloober Team a prévu une place en Enfer pour eux aussi.
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Hill est revenue
Dans leur quête inouïe de ressusciter l'œuvre culte de la Team Silent, les sorciers de Konami ont accepté de prendre des risques avec le sacré, ou plutôt, de sacrés risques. Celles et ceux qui cherchent à revivre peu ou prou la même aventure qu’auparavant avec seulement des graphismes refaits, une caméra plus moderne et un redesign des personnages/monstres seront déçus. Silent Hill 2 cuvée 2024 est aussi protéiforme que les immondices qu’il demande d’affronter. À la fois version extended généreuse, remake soigné et adaptation solide, il est plus à classer du côté de Final Fantasy VII Remake que de Resident Evil 4. Les convertis de la première heure doivent accepter que ce volet soit une sorte de réinterprétation de l'œuvre originelle plutôt qu’une copie carbone, bien que les passages clés de 2001 soient toujours là et s'enchaînent dans le même ordre. Sauf qu'ici, ce qui sépare ces moments ainsi que l'architecture même des niveaux change plus ou moins drastiquement. Les cinématiques inédites et les situations de jeu jamais vues, dont nous tairons la nature, se comptent à la pelle. En outre, tous les combats de boss ont été repensés pour un résultat solide, conforme aux productions actuelles. Les murs délabrés ont été plus que repeints, ils ont été rebâtis. Mais sous le plâtre, le cœur noir de Silent Hill bat de toutes ses forces.
Nous aurions pu craindre que la réécriture soit ampoulée, barbouillée par des développeurs tremblant face à la tâche prétendument irréalisable qu’est la réinterprétation d’une des pièces maîtresses du survival-horror psychologique. La plume s’est transformée en couteau, tenue par une main décidée à ne pas rater sa cible : le fan. Si le scénario ne s’éloigne pas tant que cela de ce que nous connaissons, le studio a effectué des choix judicieux. Les nombreux documents supplémentaires permettent quant à eux d’expliciter le scénario sans pour autant livrer les clés de compréhension sur un plateau, tout en multipliant les pistes intrigantes. Les dialogues originaux ont été retouchés afin d’apporter tantôt plus de subtilité, tantôt plus de mystère. Tout n’est pas parfait, certes, et nous aurions adoré encore plus d'évolutions lors de certains moments clés, mais il est plaisant de ne pas voir un copié/collé rudimentaire. Cette revisite de Silent Hill 2 a en tout cas conscience d'en être une, tant les clins d'œil aux multiples épisodes de la série sont courants, et tant le jeu s'amuse avec les souvenirs des inconditionnels (coucou le labyrinthe).
Poussée à faire endurer un enfer même aux survivants aguerris qui connaissent les répliques de Maria sur le bout des doigts, la Bloober Team a appliqué à la lettre une des maximes de la Team Silent : faire vivre à autrui une angoisse dont on ne voit jamais le bout. Autrement formulé, éteindre l’espoir en laissant le temps faire son œuvre. À la longue descente à travers la forêt de Silent Hill s’ajoutent les errements de James dans la réussite des puzzles. L’énigme de l’horloge de l’immeuble Wood Side, qui ne prenait qu’une petite minute à résoudre, dure maintenant une bonne heure à cause des trois aiguilles à trouver. Le passage à hôpital de Brookhaven, qui mettait entre une et deux heures à être bouclé, prend désormais plus du double de temps. C’est toujours moins long que l’attente moyenne aux urgences dans la vie réelle, mais quand même ! Alors que nous avions mis moins d’une dizaine d’heures pour atteindre une des multiples fins de Silent Hill 2 en 2001, ce remake nous en a demandé une vingtaine alors que le scénario "Born from a wish" n'est pas intégré. Est-ce que les heures de jeu supplémentaires sont toutes nécessaires ? Pas forcément. Il y a des séquences peut-être trop longues et répétitives pour satisfaire l'envie de rythme effréné des aventuriers d'aujourd'hui. Cette démarche jusqu'au boutiste – vivre un cauchemar dont on ne se réveille jamais – divisera à coup sûr. Qui en 2024 est prêt à tourner en rond pendant des heures dans un univers où l’on ne voit rien dans l’unique but d’être malmené psychologiquement ? Silent Hill 2 Remake se heurte fatalement aux autres représentants du genre sortis depuis, et plus particulièrement à Resident Evil 4 Remake et à Alan Wake II. Des jeux au rythme mieux maîtrisé, aux monstres/armes/situations/lieux plus variés et aux mécaniques à la fois plus nombreuses et mieux huilées.
À l’épreuve du feu
Silent Hill 2 est deux fois plus long qu’à l’époque. Deux fois plus éprouvant, aussi. La ville est envisagée comme un monde plus ouvert, c’est-à-dire que les bâtiments et les divers lieux sont réellement intégrés à la bourgade et ne sont plus considérés comme des instances à part se dévoilant après un chargement. Le joueur explore sans loadings, ce qui nous emmène vers un des points les plus notables de cette version : bien que pleine de morts, Silent Hill est vivante. Concrètement, les portes se poussent à la volée et les transitions intérieur/extérieur se font instantanément, exactement comme dans un Alan Wake ou dans les derniers épisodes de Resident Evil. Cette manière d’envisager la cité damnée comme un tout cohérent apporte bien plus qu’une modernité bienvenue dans la navigation. Elle insuffle une grande dose de tension, puisque les ennemis sont capables de poursuivre James partout, allant jusqu’à entrer dans les immeubles, passer par les fenêtres cassées ou à se faufiler dans les brèches. Les interactions avec le décor sont quant à elles plus courantes. Il y a régulièrement un chariot à déplacer, un mur à casser, un trou où se glisser, ou encore un rebord à enjamber. Soyez prévenu : consulter la carte ne met pas le jeu en pause. Glaçant !
Survival-horror oblige, les combats sont pensés pour mettre mal à l’aise. Les créatures sont dangereuses, imprévisibles, dotées de nouvelles attaques et ne s’éliminent pas avec un coup de pied rotatif après un tir à la tête. Sunderland n’est pas Kennedy et les monstres qui hantent le coin ne sont pas de vulgaires infectés. S’en approcher de trop près laisse à coup sûr des stigmates que seule une potion de soin saura effacer. Certaines ignominies sur pattes ont même la faculté de grimper aux murs afin de mieux se jeter sur James, ce qui n’était pas le cas en 2001 ! Bien que tirer dans leurs jambes les ralentit et que les frapper furtivement dans leur dos les tue, les démons ne sont pas faciles à anéantir. Ce n’est pas parce que James a gagné une esquive ainsi qu’une caméra épaule qu’il a de quoi prendre l’ascendant. Chaque affrontement est un challenge, un défi bien plus relevé que celui que nous avions il y a 23 ans. Même en éteignant la lampe torche et en marchant, les échauffourées se révèlent difficilement contournables à l’intérieur des espaces exigus.
En rendant son bestiaire plus dangereux, le remake complique la fuite, à plus forte raison qu’éteindre la lampe torche est quasiment impossible tant le jeu est sombre. Nous avons dû nous plonger dans le noir complet, mais également revoir les paramètres de notre écran afin de discerner les choses affichées, lors de certaines séquences. Seuls les moments en pleine ville, où tout s’affole de temps à autre pendant les tempêtes (coucou Downpour !), encouragent à slalomer entre les humanoïdes. Conscients du challenge que représente la survie au sein de labyrinthes gravés dans les ténèbres, les développeurs ont été assez généreux avec les munitions et les soins (en difficulté Standard). Les aventuriers explosant les vitres à coups de barre de fer et explorant la ville dans ses moindres recoins ne manqueront ni de balles, ni de sérums. Ceci étant dit, dans ses mécaniques, le soft se contente de l’essentiel. Il n’y a pas de combo à exécuter ni d’arsenal à améliorer. Les armes à feu sont limitées (seulement trois) par rapport à ce que l’on voit ailleurs, les ennemis ne se désarment pas, ne se mutilent pas, et les créatures différentes ne sont pas bien nombreuses. Sur ces quelques points, le remake pourrait décevoir ceux qui auraient apprécié un gameplay ainsi que des mécaniques encore plus proches de ce que l'on a dans les standards actuels.
Autre point qui diffère par rapport à l'œuvre d’origine : les jumpscares, qui sont plus nombreux. Konami s’est sûrement dit qu’en 2024, les joueurs en mal de sensations fortes avaient déjà tout enduré et qu’il fallait frapper fort, sans dénaturer la poésie mortifère de l’expérience de base. La radio qui grésille dès qu’une chimère approche joue beaucoup sur le suspense instauré. Cependant, cette dernière n’émet que de discrets parasites quand un mannequin aux deux paires de jambes s’immobilise. Si l’on ne tend pas l’oreille, on peut se faire méchamment surprendre. Les sursauts sont accentués par un mixage audio volontairement bas qui explose soudainement quand quelque chose surgit à l’écran. Une rustine bien connue dans le monde du cinéma utilisée à merveille ici. Puisque nous évoquons le son, les superbes musiques d'Akira Yamaoka – revisitées elles aussi – nous accompagnent toujours durant le périple. De nouveaux morceaux sont intégrés, dont certains font penser aux petites folies entendues dans le cinéma d’horreur italien. Le diable se cachant dans les détails, sachez que les tracks qui couvrent les cutscenes font les durées de ces dernières. L'outro retentit au moment où l'on reprend le contrôle de James, et c’est terriblement classe.
Conclusion
Points forts
- Remake généreux apportant une tonne de nouveautés à l'aventure
- Dimension horrifique plus forte que jamais dans l’exploration et les affrontements
- Direction artistique qui fait mouche
- Musiques et sound design qui régalent. Bonne performance des acteurs
- Excellente durée de vie pour un jeu du genre (et fins multiples)
- Une histoire toujours aussi forte
Points faibles
- Des passages trop longs et trop répétitifs, même si on comprend l’idée
- Animations (faciales, du corps) des personnages humains pas toujours réussies
- Un gameplay sans chichi qui va droit au but, peut-être trop
Note de la rédaction
Replonger dans ce Silent Hill 2 totalement reconstruit par Konami, c’est comme retourner dans un village d’enfance cher à notre cœur des décennies plus tard, ou retomber sur une déclaration enflammée écrite par une personne avec qui les liens sont rompus… tout est là comme dans les souvenirs, mais tout est différent aussi. James Sunderland est de retour, accompagné de ses éternels démons. Si notre héros a des doutes quant à la nécessité de sa venue au cœur de la ville maudite, nous n’en avons plus : ce périple éprouvant est un rêve pour les fans, autant qu’il sera un cauchemar pour les autres. Au sein de cette histoire marquante dont on est le Éros (et Thanatos), les allers-retours infernaux aux confins des ténèbres – encore plus nombreux qu’en 2001 – laisseront les touristes sur le bord de la route. La Bloober Team a écrit une lettre d'amour avant tout destinée aux fans de Silent Hill 2. Une lettre au moins aussi puissante que celle adressée aux passionnés de survival-horror 23 ans plus tôt, rédigée par la Team Silent.