C’est l’exclusivité Switch qui boucle cette fin d’été, et qu’elle est bonne : Emio – The Smiling Man: Famicom Detective Club est l’expérience ultime en matière de visual novel.
Durant la décennie 80, quand Yoshio Sakamoto ne s’amusait pas à confronter Samus Aran aux redoutables Metroïdes, il s’initiait à ses premiers scripts de romans visuels, baigné par son amour pour l’esthétique macabre du cinéaste d’horreur Dario Argento et par le caractère pionnier de The Portopia Serial Murder Case, monument du genre qui connaîtra un destin funeste dans le catalogue Steam des remakes bidouillés à l’IA. En 1988 et en 1989, il publie respectivement Famicom Detective Club : The Missing Heir et sa préquelle Famicom Detective Club : The Girl Who Stands Behind, deux épisodes dans lesquels le joueur campe le rôle d'un jeune enquêteur amateur confronté à des énigmes criminelles dans une paisible campagne japonaise, et qui témoignent rapidement de son talent pour créer des atmosphères intimes et ficeler des intrigues captivantes. La licence s’érige naturellement au rang de classique local, mais ne connaîtra qu’un léger engouement occidental lors de la sortie d'excellents remakes, en 2021. La renommée ne sera jamais vraiment internationale et pourtant, après une vingtaine d’années sans scénario original, Sakamoto se décide à nous proposer cette année un nouveau mystère à élucider. Emio – The Smiling Man: Famicom Detective Club cristallise les rêves d’une communauté qui, jusqu’alors, n’osait espérer replonger dans cet univers si fugacement remis au goût du jour.
Pour vous offrir un avant-goût de l'expérience (qui coûte tout de même 49,99 €), Nintendo vous offre depuis sa boutique les trois premiers chapitres du jeu en guise de démo. Sympa !
Un épisode en apothéose
Les premiers teasers très cryptiques d’Emio lâchés par surprise par Nintendo mettaient déjà l’eau à la bouche et présageaient un scénario assez sinistre. Difficile d’imaginer l’homme mystérieux des bandes-annonces, affublé d’un long trench-coat beige et d’un sac en papier poisseux sur la tête, doté de bonnes intentions. La première intuition est souvent la meilleure : il est l’initiateur d’une légende macabre qui se raconte dans les couloirs des écoles japonaises ; celle d’Emio, un homme au visage dissimulé derrière un masque improvisé qui offre aux jeunes filles en pleurs un “sourire éternel”. Entendez par là qu’il les assassine sans la moindre compassion, pensant probablement les délivrer de larmes trop pénibles à supporter, avant de leur enfiler un affreux sac sur la tête sur lequel il aura préalablement dessiné un sourire hideux. Un début d’intrigue à en faire pâlir Mario et comparse et qui donne le ton d’une atmosphère aussi horrifique que ce que l’on a pu connaître dans The Girl Who Stands Behind, ce qui n’est clairement pas pour nous déplaire. Ce récit funeste, né dans la tragédie du meurtre de trois étudiantes dix-huit ans plus tôt, résonne de nouveau à notre époque quand l'agence de détectives Utsugi doit collaborer avec la police pour enquêter sur la mort étrangement similaire d’un jeune garçon, Eisuke Sasaki.
Emio constituant une nouvelle affaire à part entière, il n'est pas vraiment nécessaire d'avoir joué à Famicom Detective Club : The Missing Heir et sa préquelle Famicom Detective Club : The Girl Who Stands Behind au préalable. Néanmoins, pour apprécier tous les éléments de contexte et les easter eggs, nous vous conseillons tout de même de débuter l'aventure par ces deux épisodes, qui bénéficient en outre d'excellents remake qu'il serait dommage de manquer.
Dans ce nouvel épisode, vous retrouverez d'abord vos personnages favoris : votre apprenti détective - à nommer vous-mêmes - toujours si amusant, perspicace et touchant, mais également ses fidèles collègues tels qu'Ayumi, pour qui il cultive un éternel béguin, et son mentor Shunsuke Utsugi qui comme à son habitude, aime suivre sa propre piste. Un bien joli casting auquel s’ajoute une belle poignée d'easter eggs et quelques visages inédits, à l’instar de Junko Kuze, une inspectrice irascible et son second, Daisuke Kamihara, un empoté de première qui aura bien du mal à se montrer perspicace durant l'affaire en cours. L'ensemble constitue une galerie de personnalités variées et attachantes prêtes à s'investir corps et âme dans une enquête particulièrement dense. Et si les rebondissements ont toujours été légion dans la licence, ils sont aujourd’hui moins classiques, plus surprenants, et couplés à des thématiques intéressantes qui touchent aux mœurs de la société japonaise. Sakamoto fait un sacré bond en termes de narration, nous offrant régulièrement des scènes d’une belle intensité et un mystère quasiment constant, bien que le démarrage se fasse dans une certaine douceur. La construction de l’enquête est globalement assez traditionnelle dans sa forme, mais elle reste toujours plaisante, jusqu’à atteindre l’apothéose en troisième partie du jeu, laquelle rendra pour sûr l’expérience mémorable pour tout grand fan de Famicom Detective Club. Ça, on vous en fait la promesse.
Comme à l’époque
Avant de s’étendre davantage sur les qualités intrinsèques d’Emio, rappelons la nature du jeu, qui bien qu’extrêmement populaire au Japon, ne rencontre toujours que les faveurs d’un public de niche dans l'Hexagone : Famicom Detective Club constitue une série de visual novels d’enquête. Si vous n’êtes pas familier avec le genre, imaginez parcourir les scènes d’un feuilleton japonais à coups de clics, avec une interaction naturellement très limitée, comme le format l’exige. Un principe tout à fait appréciable pour qui aime s’y prêter, mais qui, forcément, restreint considérablement les possibilités d'échange direct avec le scénario. Aussi la saga de Sakamoto n’a jamais réellement laissé quiconque enquêter de son propre chef. Elle propose à l'occasion à son joueur de s’épancher dans des textes à trous pour retracer le fil d’un chapitre en fin de séquence, davantage suggérés comme un outil de rappel. Le reste du temps, sur les scènes d’investigation, où dans les salles d’interrogatoire, il faut généralement embrasser la logique très stricte du jeu, quitte à en subir une certaine frustration.
Les recherches s’effectuent en suivant un plan d'action très classique parmi une série d'options, telles que « Demander/écouter », « Regarder/examiner » et « Voyager ». Imaginez-vous face à un témoin : il faudra parfois le questionner sur l’ensemble des éléments de l’enquête avant de pouvoir obtenir une réaction de sa part au sujet d’un portrait robot que vous trépignez d'impatience de lui présenter depuis le début de votre rencontre, mais auquel il ne répondait encore que par de vagues points de suspension. Un procédé illogique qui peut s’avérer assez chronophage quand vous peinez à déclencher la bonne action qui débloquera votre situation (d'autant que les actions inutiles à la progression ne sont pas grisées), et qui n’a malheureusement pas bénéficié d’améliorations au fil des épisodes, constituant encore une fois le point faible du jeu. D’autres éléments, moins majeurs, mais tout de même importants, ont en revanche été simplifiés, à l’instar du bloc-notes. Plus agréable à consulter, il est absolument essentiel pour remettre en mémoire la flopée de noms impliqués dans notre sombre affaire. Et puis, pour la première fois, un épisode de Famicom Detective Club se présente à nous avec une traduction française, qui plus est excellente. Un argument hautement appréciable pour les longues et généreuses heures - j’en ai bien compté dix - de récit qui nous sont offertes.
Le haut du panier
Si des défauts il y en a, l’immersion est pourtant difficilement ébranlable, notamment grâce à un casting de voix formidable qui livre un doublage intégral, des animations léchées, et un rendu visuel en haute définition extrêmement appréciable. Famicom Detective Club peut encore se reposer longtemps dans le haut du panier des visual novels, propulsé par les superbes modèles 3D de personnages au look rétro, des animations minimalistes efficaces, et un sens du détail que l’on salue : pendant que nos interlocuteurs remuent les lèvres et s’agitent, en arrière-plan, des saynètes se produisent occasionnellement dans des décors richement construits. L'atmosphère générale est également aux oignons, sublimée par des musiques omniprésentes qui épousent très bien chaque situation, jusqu’aux soubresauts horrifiques que l’histoire nous offre par instant. Un régal pour les yeux comme pour les oreilles.
Conclusion
Points forts
- Une qualité de production toujours aussi impressionnante pour un jeu du genre
- Une direction artistique dans la campagne japonaise à tomber par terre
- Une enquête plaisante à suivre, pour une narration assez dense
- Le doublage intégral japonais, un régal
- Enfin une traduction française !
- Une très bonne durée de vie (environ 10 heures)
Points faibles
- Un manque de liberté parfois frustrant dans les interactions
- Un schéma d'enquête encore très classique
Note de la rédaction
Emio – The Smiling Man: Famicom Detective Club est un excellent visual novel qui sublime la réputation d’une licence d’anthologie. Yoshio Sakamoto a affûté sa plume pour proposer de meilleurs rebondissements, une narration plus généreuse et un mystère toujours plaisant à suivre. Le travail visuel léché, le doublage intégral et la richesse globale de la direction artistique ne sont là que pour affiner une expérience narrative haut de gamme, à peine ternie par un plan d'action encore trop classique. La sortie du jeu est prévue le 29 août 2024.