Il fut le premier jeu annoncé sur Xbox Series X et incarna immédiatement la promesse “next-gen”. Dévoilé avec une bande-annonce sidérante qui provoqua un tonnerre d’applaudissements aux Game Awards 2019, Senua's Saga : Hellblade II porte sur ses épaules l’obligation d’impressionner, sous peine de décevoir ses fidèles et que tout se retourne contre lui. Heureusement pour Ninja Theory et Microsoft, Senua est une guerrière émérite qui maîtrise son job : elle coupe le souffle.
Nous avons joué à Hellblade 2 sur Xbox Series X et l’avons terminé après 8 heures de jeu. Toutes les captures de cet article ont été faites par nos soins. Le code review a été envoyé par Microsoft le jeudi 16 mai 2024 en fin de matinée.
Le claque géante
Vous pouvez oublier tout ce qui représentait le top du réalisme et de l’animation dans nos univers vidéoludiques jusqu'à présent. The Last of Us Part 2, Gears V, Horizon Zero Dawn, Alan Wake 2, Demon's Soul… tous connaissent un nouveau mètre-étalon visuel à partir d’aujourd’hui, tous sont balayés par le puissant revers de main technique de Senua. Si nous attaquons directement notre test d’Hellblade II par ses graphismes, c’est parce qu’ils sont tellement renversants que nous ne pouvions faire autrement. Ils écrasent tout ce que l’on a vu jusqu’à présent, à un tel point que l’on ne sait parfois pas ce qui est jouable de ce qui ne l’est pas. Il nous est arrivé à quelques reprises de penser que des séquences n’étaient que des cinématiques en CGI, avant de nous apercevoir qu’il fallait bien pousser le stick pour avancer. Et que dire de l’ambiance sonore ? Les sons sont extrêmement détaillés, les musiques sont superbes, et les voix “dans la tête” font toujours leur petit effet.
L'extase est provoquée mécaniquement par des expressions faciales d’un niveau inégalé dans le monde du jeu vidéo. Utilisant la technologie MetaHuman d’Epic Games couplée à une performance capture dernier cri, Senua's Saga : Hellblade II restitue à l’écran le moindre tressaillement du visage des acteurs. Les regards sont plein de vie, les émotions sont fidèlement retranscrites, et nous ne ressentons à aucun moment l’uncanny valley dont souffrent trop de productions qui ne jurent que par le réalisme. Les mouvements des cheveux, les plis des vêtements, les contractions des muscles… tout est géré avec une précision jamais vue. Il suffit d’activer le mode photo pendant un combat afin d’admirer le travail d’orfèvre réalisé par Ninja Theory. En outre, le jeu des acteurs est crédible, tandis que la VOST est de bonne facture. Il est malgré tout dommage que Microsoft n’ait pas proposé une VF pour les voix tant le jeu est bavard, même pendant les phases d’action.
Pas besoin d’attendre une mise à jour, le mode photo d’Hellblade II est immédiatement opérationnel. Complet et ergonomique, il donne l’opportunité de gérer facilement les sources d’éclairage, la profondeur de champ, ce qui doit être visible ou non. Du beau boulot.
À côté de ça, les décors sont eux aussi impressionnants, quoi qu'un poil trop figés. Cela colle avec l’impression de désolation constante qui se dégage de l'œuvre, où les panoramas époustouflants semblent s'excuser d'être agréables à l'œil. Dans cette Islande du 10e siècle sculptée par la glace et le feu dont les lieux ont été recréés par photogrammétrie puis retravaillés sous Unreal Engine 5, les détails abondent et les effets spéciaux pullulent. Il n’y a bien que l’eau que l’on aurait aimé voir un petit peu plus précise dans ses reflets. Cette démonstration technique n'est gâchée par aucun élément d’interface à l'écran, le joueur progressant sans qu'un orbe ne lui montre qu'une interaction est réalisable. Ninja Theory a poussé le curseur au maximum pour proposer une aventure définitivement cinématographique comme les possesseurs d’Xbox en ont toujours rêvé, quitte à choisir un format 2,39:1 non désactivable, ce qui ajoute des bandes noires sur un écran 16:9. Une décision qui ne fera sûrement pas l’unanimité.
Folie sur toute la ligne (droite)
Dingue, le réalisme visuel d’Hellblade II est dingue. Cela tombe bien, puisque l’aventure parle - une nouvelle fois - de folie ! Après avoir défié les Dieux pour sauver l’âme de Dillion, Senua se met en tête de venir en aide aux victimes des horreurs de la tyrannie en libérant les opprimés de leurs chaînes et, surtout, de leurs geôliers. Le problème, c’est que dans sa tête, elle n'est pas toute seule. Senua est atteinte de psychose : elle voit et entend des choses que les autres ne perçoivent pas. Dans cette aventure sombre où la mort se dissimule derrière chaque panache de vapeur d’eau, les faux-semblants sont courants. Il est donc normal de constater que la majeure partie des puzzles est basée sur l’observation d’éléments, qu’il s’agisse de glyphes à retrouver dans le décor en dénichant le bon angle (à l’instar du premier) ou de bulles capables de modifier l’environnement en temps réel.
Les environnements eux-mêmes portent les stigmates des particularités de l’héroïne. Il est en effet courant d’arpenter des cavernes ayant un effet kaléidoscopique déroutant, ou tout simplement d’être “téléporté” dans une arène cauchemardesque en un battement de paupière. Les thèmes abordés dans Hellblade II sont nombreux et vont de la responsabilité des aînés dans les traumatismes des plus jeunes à l'aliénation de l’humain lorsqu’il désire contrôler ses semblables. À la fois intimiste et extravagant, évoquant l’infiniment petit pour nous faire craindre le géant, Senua’s Saga est ambitieux dans son propos et dans la manière de le traiter. S’appuyant sur les travaux de l'université de Cambridge ainsi que sur l’expérience de personnes victimes de psychose, le soft édité par Microsoft n’est pas adressé à tout le monde. Il ne s’appuie sur aucune béquille narrative pour faciliter l’identification, à l’exception, peut-être, des larmes de Senua. Même si l'effet de surprise n'est plus là, le scénario est suffisamment captivant pour nous donner envie d'en voir plus.
Dans sa section "Bonus”, le soft fournit deux vidéos qui circulent déjà sur la toile. La première est un petit reportage sur la manière dont Ninja Theory a traité la psychose, et la seconde est un résumé des événements du premier volet.
Contrairement à ce que certains joueurs pourraient peut-être s’imaginer, surtout depuis que c’est la firme de Satya Nadella qui finance le projet, Hellblade II reste un jeu strictement narratif, linéaire, fait de couloirs, de combats, d’énigmes et de cutscenes. Il conserve la formule de son aîné en ne faisant évoluer que certains points (nous y reviendrons) et ne doit en aucun cas être envisagé comme un God of War : Ragnarok, pour ne citer que lui, qui est un jeu d’action-aventure plus généreux dans son gameplay. Senua n’a ni grappin, ni arc, ni pouvoir magique. Elle ne bondit pas, ne doit pas faire d’allers-retours et ne rencontre pas des protagonistes lui proposant d’améliorer les caractéristiques de son épée. Aucune quête annexe n’est de la partie dans cette fuite en avant d’environ 8 heures. Des passages secrets sont bien présents afin de récupérer quelques collectibles, mais l'œuvre de Ninja Theory prend la forme d’une ligne droite, ce qui peut donner l'impression d'être face à une grande scène cinématique interactive. Impression malheureusement appuyée par des séquences marquantes où il n'y a que trop peu de choses à jouer véritablement, à l'image de la fameuse scène du géant dévoilée aux Game Awards 2021. C'est sûrement le prix à payer pour bénéficier de l'expérience narrative la plus aboutie visuellement à ce jour, maîtrisée de bout en bout, produite par un studio à taille humaine qui a des choses curieuses à raconter.
Épée et poings liés
Bien que la formule d’Hellblade II n’ait pas changé par rapport à celle du premier épisode, avec ce mélange habituel d'exploration narrative, de puzzles et de combats, nous notons tout de même quelques modifications, voire des évolutions. En ce qui concerne les énigmes, ces dernières ont été revues et corrigées. Les portails et autres masques d’illusion ont disparu au profit de bulles flottantes à observer pour faire apparaître/disparaître des éléments du décor. Il y a aussi des passages où il est demandé de ruser pour faire passer la flamme d’une torche dans le but d’en allumer d’autres. Du classique, oui. Ce qu’il faut retenir, c’est que le temps qu’il faut prendre pour ouvrir une porte bloquée par des glyphes ou pour résoudre un puzzle est moins long que dans le premier volet. Le rythme de l’aventure gagne donc en intensité, d’autant plus que la mise en scène fait un bond de géant en avant, s’autorisant des ellipses bienvenues lors des déplacements. De quoi découvrir du pays !
Ce sont surtout les combats qui connaissent les changements les plus spectaculaires. Alors qu’ils avaient tendance à traîner en longueur et à être relativement brouillon dans Hellblade : Senua’s Sacrifice, cette suite les rend plus impressionnants et cinématographiques que jamais. Dans le fond, il faut toujours effectuer des coups légers/violents, réussir des parades et esquiver intelligemment jusqu’à remplir sa jauge de furie puis infliger des dégâts énormes à différents types d’ennemis. Dans la forme, par contre, les combats sont désormais de véritables chorégraphies délicieusement brutales. Vous venez d’ouvrir le ventre d’un ennemi avec votre lame ? Alors un autre adversaire surgit dans votre dos puis s’accroche, avant que d’autres ne débarquent dans une sorte de vaste danse macabre. Dans les faits, les affrontements se font cette fois-ci toujours en 1v1, mais les opposants s'enchaînent comme si tout avait été enregistré en une seule prise dans un studio de motion capture. Pour faire simple, les duels paraissent être issus d'un véritable film d’action chorégraphié à la seconde près. C’est clair, net, et précisément étourdissant.
De nombreuses options d’accessibilité sont disponibles dans les paramètres. En plus des 3 niveaux de difficulté classiques (facile, moyen, difficile), il y a une option dite “dynamique” qui rend les combats plus aisés ou compliqués en fonction des résultats du joueur.
Le jeu ne perdant jamais de temps à expliquer ses systèmes, c’est au joueur de comprendre ce qui est réalisable ou non. C’est à lui de découvrir qu’il ne devient pas plus puissant au fil de l’épopée, et qu’il n’y a ni arbre de compétences ni mécanique spéciale pour améliorer sa puissance. Hellblade II vise les sensations et ne s’encombre d’aucun rouage qu’il juge inutile mais qui lui aurait permis de gagner en profondeur. Dans un genre ayant beaucoup évolué ces dernières années, le positionnement de Senua’s Saga est forcément risqué. 100 % linéaire à une période où le grand public n’a d’yeux que pour le monde ouvert, disposant d’un gameplay simple sans compétence à améliorer alors que la RPG-isation – parfois à outrance – fait fureur, il s’autorise à miser sur ce qui lui semble essentiel pour raconter son histoire. Avec une volonté qui fait plaisir à voir même si elle peut faire grincer les dents.
Conclusion
Points forts
- D'une beauté à couper le souffle, qu'il s'agisse des personnages ou des environnements
- Rythme effréné soutenu par une mise en scène soignée
- Des combats d'une violence rare, chorégraphiés avec style
- Ambiance sonore divine
- Des puzzles moins ennuyeux que par le passé
- Plein d’options d’accessibilité
Points faibles
- L'aspect exploration n'a pas du tout évolué : c’est une ligne droite
- Gameplay très simple, voire simpliste, qui peut refroidir les ardeurs
- Format 2,39:1 non désactivable (présence de bandes noires sur un écran 16:9)
- Pas de voix françaises (VOST uniquement), alors que le jeu est bavard
Note de la rédaction
Baissez les lumières, montez le son et éteignez les cierges. Senua’s Saga : Hellblade II réussit son pari dingue d’être la claque visuelle “next-gen” tant espérée, même si les traces laissées par sa main portent les stigmates du jeu 100 % narratif de 2017 avec un gameplay simpliste et une exploration en ligne droite. Plus condensée, plus brutale aussi, la création de Ninja Theory change finalement peu la formule d’origine mais renforce tous ses rouages au point d’en faire une belle machine de guerre. Si vous êtes abonné au Game Pass, jetez-vous dessus, vous devriez passer un très bon moment.