Rocksteady Studios a redéfini le genre de l’action-aventure et révolutionné l’adaptation super-héroïque en jeu vidéo avec sa saga Arkham. Contre toute attente, Batman a pris sa retraite en juin 2015 après Arkham Knight. 8 ans plus tard, le Chevalier Noir, mais aussi la Justice League reprennent du service pour tenir un tout nouveau rôle… celui d’antagoniste de luxe. Le looter shooter Suicide Squad : Kill the Justice League est-il en mesure de poursuivre la lutte initiée par Bruce Wayne et la Bat-Family à la fin des années 2000 ? Rien n’est moins sûr.
La fin de l’Arkhamverse
Il est essentiel avant de juger sur pièce cette nouvelle épopée héroïque concoctée par Rocksteady Studios de resituer Suicide Squad : Kill the Justice League. Cet Action-RPG est bel et bien la suite directe de Batman : Arkham Knight, et s’intègre pleinement dans l’Arkhamverse (l’univers Arkham) que cela plaise ou non aux fans de cette saga vidéoludique. Les événements vécus par la Task Force X commandée par Amanda Waller concluent ainsi en 2024 avec les anti-héros les plus retors de l’écurie DC une série qui a débuté près de quinze ans plus tôt.
L’histoire débute avec l’invasion de la Terre par les forces armées d’un nouveau super-vilain nommé Brainiac et par la prise de contrôle de plusieurs membres de la Justice League grâce à un savant lavage de cerveau. A peine l’aventure lancée qu’un premier défaut majeur pointe le bout de son nez. Cette intrusion extraterrestre et la chute des super-héros les plus puissants de l’univers DC n’est jamais montrée. Et la déception engendrée par ce choix narratif est à la hauteur des attentes placées dans un affrontement qui s’annonçait pour le moins épique.
Face à la toute puissance de Brainiac et de ses méta-humains (Superman, Batman, Green Lantern, etc.), les Etats-Unis en la personne d’Amanda Waller se tourne vers un autre genre de héros… des super-vilains. Désormais membres de la Suicide Squad, leur existence se résume à réussir les missions confiées ou mourir en essayant. Pour s’assurer leur totale obéissance, la cheffe de l’agence gouvernementale paramilitaire secrète “ARGUS” leur a même implanté des nano-bombes. A situation désespérée, solution désespérée.
Les 4 cavaliers de l’apocalypse
Kill the Justice League brille avant tout par sa mise en scène qui tend à désamorcer l’épique exigé par une tel postulat de départ via un humour bien senti qui fait souvent mouche. Les fans de The Suicide Squad réalisé en 2021 par James Gunn seront ravis de retrouver ce ton si particulier oscillant entre héroïsme et grand n’importe quoi décomplexé propre à la Task Force X moderne. Puis Warner Bros. Games a clairement mis les petits plats dans les grands pour offrir à son escouade suicidaire une aventure digne de leur sacrifice.
Ce jeu Suicide Squad lésine rarement sur les moyens - surtout visuels - pour mettre en scène les facéties guerrières d’un quatuor prompt à résoudre toutes les situations, même les plus pacifiques, à grand renfort de pétoires fumantes. Les cinématiques rendent justice à la Task Force X et à leur mission qui sur le papier semble impossible : éliminer les membres de la Justice League. Qui plus est, Rocksteady Studios puisent dans les comic books pour donner de la consistance à cette guerre opposant David et Goliath, et respectent majoritairement le matériau source, même si certaines entorses sont parfois faites pour le bien du récit.
Le principal défaut narratif de Suicide Squad : Kill the Justice League réside dans son prologue. L'introduction prend la forme d’un flashforward peu inspiré et maladroit qui a pour seule raison d'être que de tester les quatres anti-héros avant de débuter la véritable aventure… 7 jours plus tôt. On a vu plus épique pour déterrer la hache de guerre. Cependant, le titre de Rocksteady offre aux fans de l’univers DC des invités de marque afin d'agrémenter une aventure qui implique de nombreux personnages cultes dont Le Pingouin aka Oswald Copplebot, Lex Luthor, Loïs Lane ou encore l’Homme Mystère. Leur utilité au cours du récit varie du simple caméo à pivot de l’intrigue. Le plaisir de la découverte est vôtre.
Une escouade dans la ville
Le théâtre des opérations a changé. Les rues malfamées, sombres et suintantes de Gotham City laissent place à la majestueuse et lumineuse ville de Metropolis. Autrefois le fief de Superman et de la Justice League, la cité est désormais dépeuplée sans pour autant prendre des airs de champ de ruines. Exception faite des troupes de Brainiac et des membres de l’ARGUS, il n’y a quasiment plus une âme qui vive pour animer les rues et les ruelles de la mégalopole. Bien que cette absence soit justifiée par le scénario, cela transforme le monde ouvert imaginé par les artistes de Rocksteady en simple arène.
Cette immense arène n’a pour raison d’exister que de faire le lien entre les missions, aussi bien principales que secondaires, et de jouïr d’un système de déplacement savamment exécuté. Il est véritablement plaisant de traverser Metropolis en jetpack ou à l’aide d’un grappin, même si cela devient redondant à la longue. La ville peut toutefois se targuer de proposer une météo dynamique ainsi qu’un cycle jour/nuit (un grand classique des open worlds) qui ne changent en rien la manière de compléter les objectifs confiés par Amanda Waller, mais qui rend crédible l’univers du jeu
Puis Metropolis peut se vanter d’être un joyau visuel porté par un Unreal Engine 4 qui a fait maintes fois ses preuves. La ville de Superman s’étend de toute sa splendeur sur un vaste territoire aussi bien au sol que dans les cieux afin d’ajouter de la verticalité à un gameplay centré sur le shoot. Hélas, Amanda Waller ne renouvelle quasiment jamais ses ordres de missions qui se résument à défendre, survivre, éliminer et escorter. Bien que ces grands principes soient altérés par diverses conditions de succès, cela ne peut endiguer bien longtemps le sentiment de faire constamment la même chose, encore et encore. Et ce ne sont pas les défis et autres collectibles disséminés par l’Homme Mystère sur la carte ou encore les séquences rares en véhicule qui vont changer la donne.
Dans la ligne de mire
Les termes Looter shooter résument parfaitement l’expérience vidéoludique imaginée par Rocksteady qui ne ment pas sur la marchandise. Suicide Squad : Kill the Justice est fidèle au genre dans lequel il s’inscrit et en applique (un peu trop) à la lettre ses fondamentaux, à savoir tuer des milliers d’ennemis et obtenir de l’équipement toujours plus puissant. Pour réussir ce type de jeux vidéo, il faut donc se munir d’un gameplay procurant de bonnes, voire d’excellentes sensations de tir. Fort heureusement, la Task Force X sait faire parler leurs talents. Il est véritablement plaisant de tirer sur tout ce qui bouge et de voltiger à plusieurs mètres au-dessus de la terre ferme pour mieux fondre sur les contingents de Brainiac.
Le bestiaire peine néanmoins à se renouveler. Nos quatre anti-héros affrontent trop souvent les mêmes ennemis en boucle dont la principale menace réside dans le nombre et non l’intelligence artificielle qui est pour le moins perfectible. Même les combats de boss ne parviennent qu’un temps à donner le change. Ces derniers s’avèrent finalement peu mémorables et trop conventionnels. Mention spéciale à celui face à Batman qui est le plus décevant de tous ! Cependant, les gameplays tous différents de Deadshot, Harley Quinn, King Shark et Captain Boomerang soufflent un vent de fraîcheur sur une aventure par essence répétitive.
Nos quatre anti-héros sont très différents, autant dans leur personnalité que dans la manière de les appréhender en jeu. Ce sont de véritables classes de personnages aux arbres de talents et aux équipements spécifiques. La montée en puissance de la Suicide Squad est l’une des grandes qualités de Kill the Justice League qui régulièrement confère aux joueurs de nouvelles aptitudes, armes et améliorations. Rocksteady Studios ne réinventent aucunement les mécaniques issues des RPG, mais les appliquent avec sérieux. Le sentiment de contrôler la destinée de la Task Force X est réel et vraiment grisant.
Enfin, Suicide Squad oblige, la coopération est au coeur de l’expérience imaginée par les studios britanniques qui souhaitaient réaliser un jeu vidéo multijoueur après les trois aventures solo estampillées Arkham. Certes, Kill the Justice League peut se terminer seul avec des IA pour compagnons, mais il n’a pas été conçu pour se vivre ainsi. C’est à 4 "humains" que l’aventure prend tout son sens et dévoile tout son potentiel, même si cela n’efface en rien les défauts mentionnés précédemment. Les synergies créées à la volée entre les membres de l’escouade et le simple plaisir de lutter face à Superman entre amis font toute la sève de ce looter shooter. Puis, le netcode et le matchmaking encouragent par leur efficacité à être parachutés dans Metropolis avec des amis. Dans ces conditions, pourquoi se priver ?
This is (not) the end
Tuer la Justice League n’est finalement que le début, voire un prétexte pour apprendre à la dure les arcanes ludiques du jeu avant de se lancer à l’assaut de Brainiac. En tant que looter shooter qui respecte le genre, le titre de Rocksteady Studios se dote d’un endgame solide qui peut facilement se résumer à enchaîner des missions pour obtenir des récompenses et de l’XP… pour se lancer dans des missions encore plus difficiles… etc. etc. Sans surprise, le multivers entre alors en jeu et avec lui une multitude de planètes Terre et sûrement de nouveaux personnages ou des versions alternatives de ceux déjà rencontrés.
Solide sur le papier avec son infinité de missions et son loot toujours plus attractif, cette fin d‘aventure est tout aussi redondante si ce n’est plus que la traque des membres de la Justice League. Il est gratifiant de devenir plus puissant et de réduire à néant en une fraction de seconde les forces de Brainiac, mais pour quelle finalité… exceptée celle de la quête éternelle et sans fin de puissance. Les défauts de Suicide Squad : Kill the Justice League ressortent encore plus tandis que le sentiment d’être prisonnier d’une boucle ludique sans fin est exacerbé à mesure que de nouveaux niveaux de difficulté se débloquent. Impossible également de passer à côté de la boutique qui vend uniquement des items cosmétiques. Rien de “pay to win” ici, mais la déception tenace de ne pas pouvoir obtenir lesdites tenues manettes en mains demeure.
Conclusion
Points forts
- La suite de l’Arkhamverse
- La réalisation des cinématiques
- La splendeur apocalyptique de Metropolis
- Le ton et l’humour dignes de la “Suicide Squad”
- Les 4 anti-héros (Deadshot, Harley Quinn, King Shark, Captain Boomerang)
- Les sensations de tir et de déplacement
- La montée en puissance de la Task Force X
- L’ampleur du endgame
- L’expérience multijoueur à 4
Points faibles
- La fin de l’Arkhamverse
- La chute de la Justice League totalement occultée de l’histoire
- Un tutoriel en flashforward maladroit
- Des combats de boss peu mémorables
- Un bestiaire peu varié et à l’IA sommaire
- La répétitivité des missions et des objectifs
- La boutique et ses tenues vendues plusieurs euros
Note de la rédaction
Rocksteady Studios ont promis de tuer les plus grands héros de DC et c’est ce qu’ils ont fait… dans tous les sens du terme. Suicide Squad : Kill the Justice League est un looter shooter efficace, à défaut de surprendre, mais surtout générique qui peine à renouveler l’expérience de jeu au gré de l’aventure. Néanmoins, cet Action-RPG en monde ouvert se défend sur le terrain de la mise en scène, des visuels et surtout de l’écriture avec un ton à la fois super-héroïque et humoristique. La dimension “jeu de rôle” central sur ce type de proposition vidéoludique n’est pas en reste et séduit par une constante montée en puissance de la Task Force X qui déploie tout son savoir-faire pour faire jeu égal avec Ligue de justice d'Amérique. Malheureusement, les studios britanniques ne parviennent jamais à se hisser à la hauteur des maîtres du genre (Borderlands 3, Destiny 2 et même Outriders). La mission suicide de Rocksteady n’est ni un échec, ni un véritable succès.