Il y a fort longtemps, un prodige du nom de Jordan Mechner mit au point une œuvre considérée comme pionnière dans le genre action-plateforme avec Prince of Persia. Doté de mécaniques et d’une technique révolutionnaires pour l’époque, il fit forte impression à la fin des années 1980. Presque 35 ans après sa naissance et 14 ans après son dernier épisode, le héros de Perse revient plus en forme que jamais grâce à Ubisoft Montpellier, dans un Metroidvania chaud comme le sable du désert iranien.
Nous avons terminé la quête principale de Prince of Persia : The Lost Crown en 16 heures environ. Nous avons majoritairement joué sur Xbox Series X et Switch, en difficulté normale. Les captures d'écran viennent de la version Xbox Series X.
Mille et une nuits au Mont Qaf
Autrefois lieu merveilleux, le Mont Qaf est désormais sous l’influence d’une terrible malédiction. S’aventurant dans les boyaux étouffants de cet endroit hors du commun à la recherche du prince kidnappé, Sargon est témoin de sinistres événements qui semblent venir des contes horrifiques qu’on lit aux enfants pour qu’ils craignent les menaces extérieures. Les morts se relèvent, les monstres sortent de leur tanière, les couloirs deviennent des labyrinthes et le temps déraille. Le plus jeune représentant des Immortels va alors se frotter à des dangers aussi colossaux que les gardiens mystiques décrits dans les légendes. La mort rôde partout et prend plusieurs formes, de la plus identifiable avec des monstres voraces ou des pics saillants, à la plus dissimulée.
L’histoire de Prince of Persia : The Lost Crown est contée via des artworks animés ainsi que des cutscenes utilisant le moteur du jeu. Bien que la narration soit citée par les développeurs comme faisant partie des quatre piliers de l’expérience (aux côtés de l’exploration, la plate-forme et le combat), elle n’est clairement pas centrale. Le scénario est un prétexte pour nous faire voyager d’une zone à une autre de la manière la plus naturelle possible. Loin d’être inoubliable malgré ses quelques rebondissements, il expose des héros pas forcément attachants, à commencer par Sargon lui-même. Les quelques PNJ amicaux qui vagabondent dans les dédales ne sortent pas non plus de l’ordinaire. Si la qualité d’écriture n’a jamais été l’élément le plus important d’un Metroidvania, elle peut aider le joueur à s’identifier aux protagonistes et à ressentir de la joie, de la crainte ou de la tristesse par rapport aux événements clés. Malgré ses tentatives de nous secouer avec ce qu’il raconte, The Lost Crown narre une intrigue assez conventionnelle.
Le studio arrive malgré tout à enchaîner l’arrivée de boss gigantesques, à changer nos habitudes grâce à des variations de gameplay et à faire apparaître des créatures inédites avec une belle efficacité. Nous aurions aimé des passages de courses-poursuites impressionnantes à la Ori, mais nous en demandons peut-être un peu trop. De manière plus générale, le titre souffre d’un manque certain d’originalité. Certes, le Metroidvania est un genre qui a connu beaucoup d’ambassadeurs ces dernières années, mais nous aurions aimé une personnalité plus marquée. Même constat pour les décors : palais, caves, douves, forêts, montagnes, désert… toutes les cases du classique Metroidvania sont cochées.
Sargon chante “la même eau qui coule”
Comme chacun le sait, le plus important dans un “action adventure platformer” n’est pas son histoire mais son gameplay ! Prince of Persia : The Lost Crown abandonne l’action-aventure en 3D intégrale des années 2003-2010 pour miser sur le Metroidvania en 2.5D. À première vue, ce choix sonne comme un retour aux sources, puisque nous suivons les actions du héros avec une caméra en vue de profil, comme à l’époque où Jordan Mechner nous initiait aux charmes de la série sur Apple II. Sauf qu’avec ce nouvel épisode, le studio français emprunte plus à Ori and the Will of the Wisps, The Last Case of Benedict Fox, Hollow Knight ou encore Metroid Dread plutôt que de puiser dans les vieilles amphores. Toute la grammaire du genre est utilisée avec des portes à ouvrir, des passages secrets à débusquer, des sceaux à briser. Le cahier des charges est respecté.
Les anciens bâtisseurs le savent : pour qu’un château passe l’épreuve du temps, ses fondations doivent être solides. Et du temps, le joueur va clairement en perdre pour explorer de fond en comble les artères de cet univers. Metroidvania oblige, Prince of Persia : The Lost Crown se découpe en zones distinctes (palais, forêt, catacombes, village portuaire, etc.) au sein d’un même monde (Mont Qaf). Les chemins se débloquent au fur et à mesure que le joueur acquiert de nouvelles aptitudes. Les cartes de ces zones s’achètent en dépensant un peu d’argent auprès d’un PNJ, ce qui n’est clairement pas du luxe pour s’y retrouver dans cet amas de couloirs et de cavernes. Comme à l’accoutumée, il est nécessaire de bien ouvrir les yeux, car la solution à un problème se cache toujours insidieusement dans le décor, surtout lors des énigmes particulièrement tordues.
S’il peut être aisé de se perdre dans la pléthore de galeries du jeu, Ubisoft a pensé à tout pour rendre l’exploration plaisante. À commencer par des traînées dorées qui indiquent le chemin à suivre pour activer un arbre Wak-Wak (qui sert de checkpoint, de recharge des potions de soin et de personnalisation des amulettes). Les développeurs ont aussi directement intégré au jeu un système de “photographie” permettant d’épingler des screenshots sur la map. The Lost Crown dispose également de deux modes d’exploration : un pensé pour les amateurs du genre et un autre imaginé pour celles et ceux voulant gagner du temps, avec des icônes plus précis inscrits sur la carte. Dommage que les arbres ne servent pas au fast-travel, fonction dédiée à des stèles à dénicher, pas toujours idéalement placées. Enfin, tous les Metroidvania n'y pensent pas : le stick gauche déplace la caméra pour dévoiler ce qui se cache dans quelques mètres, devant, derrière, au-dessus ou en dessous, ce qui est très pratique. Afin de garantir une bonne lisibilité, le héros apparaît en surimpression sur les éléments du décor au premier plan. Bien vu Ubi !
La légende du héros perçant
En plus d’arpenter des labyrinthes tentaculaires et de résoudre des énigmes, le joueur va surtout combattre. Les mouvements - utiles aussi bien lors des phases d’exploration que d’action - sont multiples : course, saut, dash, bonds de mur en mur, glissade… tout est là pour se sortir des situations les plus périlleuses. Qu’il se serve de ses lames, de sa magie, de son arc ou du chakram, Sargon possède ce qu’il faut pour faire mordre la poussière à ses opposants dans un déluge de violence. Contrairement à d’autres Metroidvania du marché, ce Prince of Persia encourage les affrontements véloces. La large palette de coups alliée à un gameplay qui fait la part belle aux timings serrés pour parer/contrer le rapproche de ce que l’on voit dans certains jeux de combat. Un seul adversaire d’un niveau avancé est capable de poser de gros problèmes si l’on se contente d’appuyer frénétiquement sur la touche d’attaque. Contrairement à The Last Case of Benedict Fox, les cristaux sont octroyés à chaque réapparition d'ennemis. Il est donc possible de grinder pour s’acheter de belles améliorations à la boutique.
Avec un peu d’entraînement, on se met à glisser pour éviter les charges mortelles, à envoyer les adversaires dans les airs pour les rendre vulnérables, à lancer la garde pour punir l’opposant, et à activer les spéciales quand la jauge d’Athra est chargée. Cette dernière monte quand Sargon inflige des coups et descend quand il en reçoit, de quoi forcer le joueur à prendre des risques afin d’avoir l’opportunité déclencher une magie salvatrice (d’attaque ou de soin). Cependant, quitte à emprunter les codes du versus fighting, nous aurions apprécié pouvoir exécuter des chopes, surtout quand les belligérants sont capables d’en sortir. Au rayon des quelques imprécisions rencontrées, il y a le mapping de la super attaque sur LT+X qui se déclenche par erreur dans la précipitation, LT servant à parer et X à attaquer.
Grâce à un système d’amulettes à trouver puis à équiper, Prince of Persia s'adapte aux envies du joueur. En combinant les compétences qui répondent à vos attentes, votre Sargon mettra le feu (littéralement) aux rangs ennemis. Sauf si ces derniers sont trop nombreux, auquel cas le guerrier s’en prendra plein la tête, surtout dans les niveaux de difficultés les plus avancés. Si le gameplay de combat est bien pensé en 1v1 ou face à de petits groupes d'ennemis, il montre rapidement ses limites lorsque des hordes d’adversaires se dressent sur notre route. Quand les méchants sont plus nombreux que les cheveux sur le crâne de Sargon, ce qui arrive à quelques moments de l'aventure, on entre alors dans un capharnaüm plus bourrin que technique où le sauve-qui-peut est de rigueur.
Deux temps, trois mouvements
À une époque, Prince of Persia basait la plupart de ses mécaniques sur le temps. C’est moins vrai pour cet épisode de 2024. Bien que le temps ait toujours une importance dans certains tableaux, il n’est plus un élément central de l’expérience. En réalité, hormis des séquences scriptées où tout est figé à l’écran et celles contre l’antagoniste principal qui maîtrise le rewind, le temps ne fait plus vraiment partie des rouages de Prince of Persia. Certes, le joueur peut créer une empreinte de son avatar dans le monde pour s’y téléporter quand bon lui semble (pratique aussi bien en combat que pour résoudre des énigmes) et il peut piéger des adversaires dans un monde parallèle afin de les balancer plus tard, mais sorti de ces quelques exemples, The Lost Crown esquive ce qui est lié à l’espace-temps dans son gameplay. Dommage.
La palette d’actions, large lorsque l’on ajoute les capacités qui s’acquièrent durant le périple, permet aux level designers de montrer l’étendue de leurs talents. Les niveaux utilisent astucieusement les compétences du héros. Certains endroits font la part belle à de la plate-forme hardcore ne laissant aucune place à l’erreur. De la plate-forme tendue et des pièges vicieux, le futur titre d’Ubisoft en a à revendre, oui ! Les amateurs de “try hard” en auront pour leur argent. Malheureusement, les approximations sont aussi de la partie, et les petites errances deviennent gênantes vers la fin de l’aventure quand l’erreur n’est plus permise. C’est à ce moment que l’on remarque des hitbox pas toujours fabuleuses, une inertie sournoise, des bugs de collision avec les plates-formes mouvantes ou encore des animations de choc pouvant entraîner une boucle sans fin de dégâts. De quoi faire passer un challenge corsé (surtout face à certains boss) comme légèrement injuste (à de rares reprises).
Dragon punch dans les yeux
Tournant en 60fps même sur une Switch, avec la possibilité de monter en 4K/120fps sur PS5 et Xbox Series X, le titre d’Ubisoft est agréable à l'œil. La modélisation 3D est de bonne facture, les textures sont nombreuses et les effets spéciaux liés aux combats ont de l’allure. Comme vous l’aurez sûrement remarqué en regardant les captures d’écran, le style du jeu s’inspire des animés japonais et des comics. Les super attaques comme le design de quelques grands méchants rappellent furieusement Dragon Ball Z, une source d’inspiration qui est clairement citée par les artistes d’Ubisoft Montpellier. Le soft mélange des artworks en 2D pour les paysages avec des objets, lieux et personnages en 3D. Les plus anciens d’entre vous regretteront sûrement une direction artistique qui s'éloigne du jeu d'origine, aux accents orientaux trop discrets supposément conformes aux attentes d’un public assez jeune. Mais Ubisoft a fait le choix de la modernité.
Même s’il n’est pas révolutionnaire d’un point de vue purement technique, The Lost Crown parvient à laisser une bonne impression grâce à sa fluidité exemplaire. Très réussi pour de la Switch, il faut quand même avouer que le jeu n’est pas bien impressionnant sur PS5 et Xbox Series X, la faute à des textures pas toujours très détaillées, à des effets spéciaux manquants, et surtout à des animations pas toujours au top en ce qui concerne les adversaires et les PNJ. Les cinématiques en artworks animés, ou les dialogues qui se font avec des images des personnages, rappellent que Prince of Persia n’a sûrement pas bénéficié d’un budget digne des derniers AAA de l’éditeur.
Histoire de nous plonger plus profondément dans cette Perse revue et corrigée, l’ambiance sonore a bénéficié d’un soin particulier. Les musiques d’ambiance, quoiqu’un peu répétitives en fonction du temps que l’on passe dans une zone, sont de bonnes factures. Les thèmes plus épiques, composés par le décidément très prolifique Gareth Coker, sont excellents. Le sound design, de son côté, allie finesse et qualité pour un résultat quasiment irréprochable. Les doublages français font dans le surjeu, un peu comme dans certains films d’animation, mais ne sont pas mauvais pour autant. Ceci étant dit, Ubisoft a eu la bonne idée d’inclure le farsi dans les langues audio, ce qui est un vrai plus pour l’immersion.
Conclusion
Points forts
- Cocktail très réussi entre combats, exploration, plate-forme et énigmes
- La combinaison de tous les pouvoirs mène à des séquences intéressantes
- Beaucoup d’éléments de personnalisation (combats, difficulté)
- Long et bien rythmé, avec beaucoup de choses à voir et à faire
- Sound design de qualité
Points faibles
- Finalement pas très original dans les mécaniques qu’il propose
- Combats confus quand trop d’adversaires entrent dans la danse
- Scénario et personnages loin d’être inoubliables
- Des petites imprécisions de gameplay, irritantes à la fin de l’aventure
- On aurait aimé des versions PC, PS5 et Xbox Series X plus jolies
Note de la rédaction
Fluide, rythmé comme il faut, maniable et disposant de multiples paramètres pour s’adapter à toutes les façons de jouer, Prince of Persia : The Lost Crown place la barre haut. S’appuyant sur les meilleures références du genre au risque de ne pas laisser virevolter sa touche personnelle, le soft coche toutes les cases du très bon action adventure platformer. Ubisoft signe un Metroidvania qui répond au cahier des charges, net, sans grosse bavure, mais également sans un petit quelque chose qui le rend aussi unique qu’un joyau légendaire. Si vous aimez le genre, foncez !