Annoncé lors du State of Play de mars 2022, The Diofield Chronicle est un pari audacieux. Née de la collaboration entre Square-Enix et le studio Lancarse (Etrian Odyssey), cette œuvre mêle stratégie, combats en temps réel et ambiance à la Game of Thrones pour une expérience inattendue. Un OVNI dans le catalogue des sorties du moment, mais a-t-il suffisamment de qualités pour aller au-delà d’un public niche ?
Le récit débute sur une île au doux nom de DioField, connue depuis la nuit des temps comme la « terre des Dieux ». Après une longue ère de paix, le chaos est sur le point de tout emporter et l’acte fondateur de cette nouvelle guerre prend racine à Lestershire. Lors d’une attaque menée contre sa personne, le quatrième prince, Levantia Shaytham, parvient à s’enfuir avec ses deux fidèles bras-droits, Andrias et Fredret. Malheureusement, il tombe dans une embuscade et un assassin lui ôte la vie. Alors qu’ils errent dans la région, Andrias et Fredret assistent à l’assaut d’une diligence et sauvent une agente du gouvernement. Suite à cet exploit, ils sont invités à rejoindre la milice privée du Lord Hende. Mais bien des obstacles vont se dresser sur leur route…
Un jeu de rôle tactique à l’approche moderne
Très sérieux dans son écriture, The DioField Chronicle pose volontairement un voile sur l’intrigue et ses personnages. Le joueur ne sait rien – ou presque – de ces individus et il est littéralement jeté dans l’arène en participant à ses premiers combats. Pour les novices, le tout pourra sembler hermétique, à la fois dans les dialogues et les enjeux, mais le titre de Square-Enix diffuse une atmosphère accrocheuse et on se fait peu à peu happer par le gameplay. The Diofield Chronicle se divise en deux phases : de l'exploration libre (permettant de papoter, de faire des achats, d’améliorer ses compétences ou encore d’interagir avec son inventaire) et des séquences entièrement dédiées aux combats. Dans l’absolu, les minutes passées au camp ne vous laisseront pas un souvenir de marbre, la faute à des protagonistes qui manquent de vie, qui n’apportent pas grand-chose et où le tout se résume à des allers-retours et à des menus de paramétrage de son inventaire et de ses compétences. Certes, les individus ne sont guère bavards (un bon point pour certains), mais on fait rapidement le tour des lieux et on en vient à ne plus penser qu’à une chose : partir en croisade.
En combat, The Diofield Chronicle tente une approche aussi surprenante que géniale. En effet, bien qu’il s’agisse d’un jeu de rôle tactique, l’action ne s’appuie pas sur un damier et des joutes au tour par tour, où chaque camp frappe à tour de rôle. À l’inverse d’un Fire Emblem, le joueur peut déplacer librement ses unités – via un curseur – et interagir avec le champ de bataille à tout moment sans attendre que l’ennemi ait terminé son attaque ou son mouvement. L’équipe de développement appelle cela le « RTTB » (Real-Time Tactical Battle) et cela impulse un rythme vraiment intéressant aux différentes rixes. On peut choisir de déplacer une ou plusieurs unités, opter pour une attaque à distance ou au corps-à-corps, faire diversion ou récupérer toutes les orbes présentes sur le sol avant de lancer l’offensive ou pendant celle-ci. Les orbes permettent de revigorer la santé ou les capacités de l'escouade et ont un rôle primordial, surtout face à des boss de plus en plus résistants. Ainsi, les possibilités sont assez vastes et on se surprend à vouloir essayer toutes les attaques spéciales tant celles-ci peuvent être aussi spectaculaires qu’efficaces. C'est un peu comme si on se retrouvait en face d'un Valkyria Chronicles en vue de trois quarts avec des combats en temps réel. C'est vite prenant, et on en redemande !
Invocations et retournements de situation
Si le concept fonctionne aussi bien, c’est en partie grâce à sa grande générosité. En plus des différents personnages, armes et aptitudes, le jeu intègre des invocations surpuissantes qui peuvent littéralement renverser une situation mal embarquée. Dans les faits, les objectifs sont plutôt classiques (éliminer des ennemis, les empêcher d’atteindre une position, récupérer un artefact, vaincre un chef, prendre le contrôle d’une tourelle…), mais on prend plaisir à contrôler ses unités. Au nombre de quatre (chefs), elles peuvent être accompagnées par des soutiens (adjuvants) qui octroient plus de possibilités sur le champ de bataille. Concrètement, le chef va déterminer les attributs et compétences tandis que les adjuvants vont apporter des aptitudes supplémentaires (soin, défense, sorts offensifs, etc.). Au départ, surtout dans les modes les plus aisées, les personnages ne font qu’une bouchée de leurs vis-à-vis, mais la difficulté est exponentielle et il faut alors élaborer une vraie stratégie pour s’en sortir. Certes, cela manque parfois de précision et l’accès aux ordres fige l’écran, ce qui peut donner un rythme quelque peu haché à certains combats. Aussi, à mesure que l'on progresse, The Diofield Chronicle montre, certes, ses qualités, mais il étale aussi ses faiblesses.
Outre la lenteur des unités (les déplacements sont un peu trop mollassons, mais on peut accélérer les combats), le titre souffre d’un problème évident : sa redondance. Les objectifs ne varient pas suffisamment, la mise en scène est d’une platitude extrême (malgré le choix des voix anglaises et japonaises) et on sent, malgré l’ambition des développeurs, que ce jeu aurait mérité plus de considération. On répète finalement plus ou moins le même schéma à chaque fois. Combats, retour au camp, utilisation de la monnaie (Gulds) pour booster son inventaire et ses compétences, retour au combat… tout est trop répétitif et les cinématiques ne viennent casser à aucun moment ce fil rouge. Et comme le portefeuille ne se remplit pas facilement, on y retourne encore et encore, que ce soit via des missions prioritaires ou des objectifs secondaires, et une lassitude finit par s’installer. C’est rageant car le jeu est vraiment intéressant et il est riche d’idées ingénieuses. Mais surtout, il est très bien réalisé !
Final Fantasy et Game of Thrones se rencontrent
C’est un mélange improbable que nous propose The Diofield Chronicle, mais ça fonctionne ! Les personnages et l’univers ont été conçus par Isamu Kamikokuryo, un artiste japonais qui a travaillé sur Final Fantasy XII et Final Fantasy XIII. Dans sa démarche, il a été épaulé par Taiki, le concepteur des personnages de la série Lord of Vermilion. Enfin, pour couronner le tout (le mot n’est pas choisi au hasard), la bande-son – absolument exceptionnelle – est l’œuvre de Ramin Djawadi et Brandon Campbell, un duo de compositeurs à l’origine de nombreux thèmes sur la série Game of Thrones. Autant dire qu’il y a du sacré beau monde derrière le soft de Square-Enix et Lancarse ! Malheureusement, cela ne fait pas tout, et on ne peut s’empêcher de regretter des graphismes un peu datés (malgré quelques jolis effets), même si l’accès au journal de bord donne lieu à une image figée du plus bel effet, façon jeu de plateau. C’est un peu ça The Diofield Chronicle, un jeu de plateau un peu hermétique pour les novices, mais qui derrière son enveloppe un peu surannée et un manque de renouvellement cache une extrême générosité et un concept accrocheur. Et il a l'avantage, par rapport à d'autres, d'être traduit en français.
Conclusion
Points forts
- Le mélange entre tactique et combats en temps réel
- La bande-son magistrale !
- Les doublages japonais et anglais au choix
- Textes traduits en français
- Un jeu d'une grande générosité
- Une aventure sobre, sérieuse, sans fioriture
- Le rythme global - malgré des unités un peu lentes
Points faibles
- L'ouverture des menus hachent le rythme des combats
- Quelques imprécisions (collisions, caméra...)
- Trop de redondance (objectifs, déroulement des combats...)
- Intérêt somme toute relatif des phases de transition
- Une mise en scène trop molle
Note de la rédaction
D’emblée, on ne peut saluer le pari lancé par The Diofield Chronicle. Porté par une musique divine et un gameplay aussi ingénieux qu’intéressant, le jeu de Square-Enix est d’une générosité indéniable. Les habitués du genre et amoureux des jeux de rôle tactiques risquent de succomber à son charme "rétro" et ses diverses incantations. Rythmé, plaisant et plus surprenant qu’il n’y paraît, The Diofield Chronicle peine toutefois à tenir la cadence sur la longueur. Les objectifs se répètent, les phases libres n’apportent pas grand-chose et la mise en scène manque d’énergie pour élargir son audience. Néanmoins, pour qui veut découvrir autre chose que les blockbusters habituels et qui n’est pas hermétique au genre, voilà une œuvre qui pourrait devenir culte dans quelques années ou, du moins, trouver ses lettres de noblesse auprès des passionnés. Des jeux comme ça, on n’en trouve pas tous les quatre matins…