Présenté pour la première fois au Xbox Games Showcase du 23 juillet 2020, As Dusk Falls débarque enfin sur les consoles Xbox et sur PC. En se lançant dans l’Interactive Drama, le studio londonien Interior/Night se frotte aux ténors du genre que sont Quantic Dream, Dontnod ou encore Supermassive Games. Enfilez la plus confortable de vos casquettes, nous nous rendons sous le soleil de plomb d’Arizona où il va falloir garder la tête froide pour prendre les meilleures décisions.
Précédemment dans As Dusk Falls
Si vous n’avez jamais entendu parler de As Dusk Falls et que vous avez esquivé notre aperçu publié le mois dernier, ce résumé est fait pour vous. Tel un récap de quelques secondes diffusé avant un épisode d’une série télévisée, il vous permettra de comprendre rapidement ce qu’est le jeu développé par Interior/Night. La comparaison avec ce que produit le petit écran n’est pas fortuite, puisque cette exclusivité Xbox/PC est un Interactive Drama, genre que les équipes de Quantic Dream ont rendu célèbre avec Heavy Rain avant que Telltale Games et Dontnod ne s’emparent de la formule. Cette dernière est relativement simple : tout au long d’un film interactif, le joueur doit effectuer des choix qui influent sur le reste de l’histoire, tout en réussissant des actions chronométrées faisant appel à ses réflexes. As Dusk Falls narre les vies entremêlées de deux familles sur une période d’une quinzaine d’années. Une épopée qui débute dans un motel perdu dans l’Arizona mais qui pourrait se terminer avec la mort à horizon selon les décisions effectuées.
Dans sa forme, As Dusk Falls ressemble à une série télévisée découpée en six épisodes d’à peu près une heure chacun. Le livre 1 est composé des trois premiers chapitres tandis que le livre 2 compte les trois derniers.
Contrôle du direct
Contrairement à un Detroit : Become Human ou à un Life is Strange, aucun contrôle direct n’est possible sur les protagonistes de As Dusk Falls. Ces personnages ne sont d’ailleurs que des illustrations en 2D posées dans des décors en 3D s’animant au fil des cutscenes. Plus proche du roman-photo interactif que du jeu d’aventure en 3D, le soft imaginé par Caroline Marchal demande de cliquer sur des éléments du décor à l’aide d’un curseur, de sélectionner les réponses qui nous semblent les plus adaptées et d'effectuer des QTE (mouvement de stick, pression rapide ou longue sur un bouton, ou encore appui répété sur une touche, en fonction des situations). Bien sûr, certaines séquences demandent un peu de mémoire tandis que d’autres font appel à la jugeote, mais dans sa globalité, As Dusk Falls est restrictif dans ses mécaniques. De ce fait, il ne réconciliera pas celles et ceux qui détestent les films interactifs avec le genre.
Pour autant, ce qui pourrait s'apparenter à une faiblesse dynamise le jeu édité par Microsoft. Comme nous l’évoquions dans un ancien billet d’opinion, la plupart des actions qu’il est possible de réaliser dans un Interactive Drama sont inutiles. L’exploration, souvent réduite à son strict minimum, est là pour forcer le joueur à dénicher des orbes symbolisant qu’une interaction est possible, interaction que l’utilisateur exécute parce que le jeu la propose plutôt que par véritable conviction. Dans As Dusk Falls, ce que nous perdons en liberté d’exploration, nous le gagnons en rythme. Le déroulé de l’aventure ne s’arrête pour ainsi dire jamais, quand bien même divers flashbacks viendraient ralentir la cadence. Interior/Night réussit à nous mener avec précision là où ses artistes le souhaitent, sans chichi ni fioriture, pour ce qui est sûrement la vision la plus aboutie de ce que doit être une série télévisée interactive. Création hybride puisant autant à Late Shift qu’à Heavy Rain, As Dusk Falls mise sur ce qui est capital dans ce type de production, à savoir une histoire captivante, des héros aux personnalités creusées, des choix cornéliens engendrant de véritables conséquences et la possibilité de vivre l’épopée à plusieurs.
As Dusk Falls met en place un mode jouable sur mobile pour que la manette soit remplacée par un smartphone, ce qui pourrait convaincre celles et ceux qui ont peur des manettes de tenter l’épopée. Une option “grand public” que nous avions déjà rencontrée dans Beyond : Two Souls. Nous vous informons que n’avons pas pu tester cette fonctionnalité qui était indisponible au moment de l’écriture de notre article.
Route 66.6
Extérieur/jour. La famille Walker s’arrête dans une station-service histoire de souffler un peu avant de reprendre son long voyage. Vincent, Michelle, leur fille Zoé et le grand-père Jim ont décidé de tout laisser derrière eux, de tourner la page, pour commencer une nouvelle vie loin des problèmes jadis rencontrés. Ce que tout ce petit monde ne sait pas à ce moment-là, c’est que le destin va littéralement mettre sur sa route les frères Holt, des malfrats ayant décidé de jouer un mauvais tour au shérif local. C’est dans un motel perdu au milieu de nulle part que les plaques se frictionnent, avec d’un côté un père de famille faisant son possible pour contrôler la situation, de l’autre des bandits surexcités aux réactions imprévisibles, mais aussi, cerise sur le gâteau, une police locale loin d’être irréprochable. Tous les ingrédients sont présents pour former un cocktail explosif où chaque mauvaise décision est à même de mettre le feu aux poudres et alourdir le traumatisme de la petite Zoé.
Nous n’irons pas plus loin dans la description du scénario écrit par le studio londonien afin de ne rien spoiler. Tout ce que nous dirons, c’est qu’en matière d’écriture, les inspirations vont de True Detective à The Americans, en passant par Le Bureau des Légendes. Les enjeux énormes laissent place aux relations plus intimes où les personnages gagnent en densité. La majorité des protagonistes de l’aventure disposent d’une excellente écriture, si bien que l’on croit en eux sans aucun problème. Il est vital de faire attention aux diverses personnalités qui s’entremêlent : en cas de mauvais choix, la mort est potentiellement au tournant.
À bout de souffle
Dans sa structure, le soft d’Interior/Night multiplie aussi bien les flashbacks que les points de vue. Chacun des six chapitres qui composent le jeu intègre des séquences qui renvoient à des événements passés. Ce procédé qui a été très utilisé dans la série LOST est parfois critiqué tant il peut alourdir la trame principale de surcouches loin d’être indispensables à l’intrigue. As Dusk Falls n’évite pas totalement le piège tendu par cette astuce narrative. Sans trop en dévoiler, il existe des passages loin d’être passionnants, comme celui où un personnage s’aperçoit que sa femme le trompe, ou celui dans la peau d’un enfant qui découvre une cabane dans les bois, dont le seul intérêt est de révéler (ou non) l’existence de l’endroit. Nous n’évitons pas non plus quelques flottements à la limite de la maladresse, comme lorsqu’un des protagonistes principaux meurt à cause d’un accident de voiture causé… par un chat qui traverse la route (sans QTE pour pouvoir éviter la catastrophe).
En réalité, le problème principal de la structure du jeu vient du fait que les deux parties composant l’épopée sont inégales. Le livre 1 qui contient les trois premiers chapitres est haletant et se termine en apothéose, tandis que le livre 2 peine à atteindre le niveau de tension de la première moitié, quand bien même certains choix engendreraient des scènes d’action soutenues. Les trois derniers chapitres abandonnent le huis clos suffocant au profit d’une fuite en avant dans des décors variés. Malheureusement, les enjeux peinent à atteindre ceux du début de l’aventure. Les intrigues sont plus alambiquées, les nouveaux personnages sont moins attachants, et les choix sont un peu moins cornéliens. La fin en elle-même, ouverte, laisse un arrière-goût d’inachevé. Un troisième livre serait-il au programme dans le but de répondre aux ultimes questions laissées en suspens ?
Le message qui apparaît au début du chapitre 3 pour prévenir “qu’un suicide va avoir lieu” afin de permettre au joueur de désactiver la séquence choquante n’est pas forcément bienvenu, surtout dans un genre où la surprise fait partie intégrante de l’expérience.
Une place de choix
Un Interactive Drama proposant des choix s’engage à ce que ces derniers engendrent de véritables conséquences. C’est principalement sur ce point que tout film interactif qui se respecte est attendu au tournant. La bonne nouvelle, c’est que As Dusk Falls en compte de très nombreux qui interviennent aussi bien en fonction de réponses données que lors de QTE réussis ou échoués. Bien sûr, certaines actions chronométrées ne sont que de la poudre aux yeux et n’ont aucune conséquence, que le joueur triomphe ou perde. Vous ne parvenez pas à voler une voiture ? Alors le personnage qui vous accompagne trouvera les clés comme par magie. Après avoir testé plusieurs embranchements et recommencé trois fois le jeu, nous pouvons vous assurer que le jeu triche (presque) pas : il applique à la lettre ce que vous décidez. La police traîne dans les parages alors que vous êtes recherché ? Si vous vous rendez, vous finirez au commissariat. Si vous vous fuyez, vous deviendrez l’ennemi public n°1, traqué comme une bête. Bien sûr, le soft trouve toujours un moyen d’amener le joueur là où il le souhaite pour que le récit progresse. Oui, il y a des points clés qui ne peuvent être évités, mais tout est suffisamment bien amené pour que le joueur n’y voie globalement que du feu (lors de son premier run).
À de rares exceptions près, les embranchements sont logiques et donnent l’impression que l’aventure se plie aux décisions du joueur. Il est possible à tout moment de vérifier les embranchements pris via une timeline similaire à celle de Detroit : Become Human. Cette dernière donne des informations sur les décisions de la communauté et permet de relancer des séquences afin de tester d’autres chemins. Enfin, chaque fin de chapitre engendre une évaluation de notre personnalité (valeur, trait de caractère, style de jeu). As Dusk Falls, mieux qu’une séance chez le psy ? Peut-être. Il est bon de noter qu’une part importante du livre 2 repose sur le traumatisme de Zoé causé par la journée au motel en 1998, traumatisme qui peut finalement paraître assez léger si le joueur joue suffisamment bien pendant la première partie de l’aventure et réussit ainsi à sauver les personnages importants.
Preuve que As Dusk Falls sait vivre avec son époque, il intègre différentes options pensées pour les parties à plusieurs. Jouable jusqu’à 8 en coopération (locale, en ligne, ou les deux en même temps), il met en place un système de votes afin que le choix remportant le plus de suffrages l’emporte. Petite fonctionnalité amusante, il est possible d’imposer son choix en utilisant une option prévue à cet effet, disponible aussi bien pour l’hôte que pour les invités. Enfin, le titre de Microsoft intègre un mode “Diffusion” autorisant la participation d’un chat Twitch sur les choix. Il est à noter que le multijoueur est cross platform PC-Xbox-Cloud. Même s’il n’intègre pas des missions cachées à la Hidden Agenda, le multijoueur de As Dusk Falls est plus que complet.
L’art et la manière
Bien que la production d’Interior/Night use et abuse de la grammaire que l’Interactive Drama a mis en place depuis plus d’une décennie (choix de dialogue, QTE, etc.), cela ne veut pas dire qu’il n’offre pas un soupçon d’originalité pour autant. Dans sa direction artistique, As Dusk Falls est un OVNI que l’on reconnaît au premier coup d'œil, ce qui est un tour de force dans un monde où l'homogénéisation des productions vidéoludiques est présente. Les personnages sont représentés par des illustrations en 2D intégrés dans des environnements en 3D. Pendant les diverses séquences de l’aventure, les illustrations s'animent une image après l’autre, tandis que la caméra se déplace dans les scènes en 3D. En d’autres termes, lors d’un panoramique par exemple, l’herbe bouge au gré du vent, les voitures roulent, mais les personnages illustrés voient leurs animations décomposées image après image.
Cette technique originale donne l’opportunité aux artistes du studio d’insister sur les émotions qu’ils veulent transmettre sans dépenser des millions d’euros dans des modélisations en 3D onéreuses qui n’arrivent pas toujours à gommer l’uncanny valley. Bien que ce procédé original se fasse remarquer lors des premières minutes, il s’oublie dans celles qui suivent. Comme nous l’écrivions lors de notre aperçu, c’est comme si notre cerveau arrivait à reconstituer les images manquantes entre deux dessins : tout devient naturel rapidement. Les musiques, quant à elles, sont extrêmement bien choisies et apportent pas mal de dynamisme pendant les moments-clés. Enfin, nous saluons l’excellente VF. Dommage que les documents ne soient pas directement traduits en français dans le jeu. Ceci étant dit, As Dusk Falls est une réussite dans sa direction artistique, même si la 3D plutôt simple des décors laisse apparaître quelques imperfections. En outre, nous n’aurons pas été contre un affichage en 60fps afin de rendre le déplacement du curseur plus agréable.
Conclusion
Points forts
- Grande quantité d’embranchements
- Des choix qui engendrent de véritables conséquences
- Le passage dans le motel est passionnant
- Beaucoup de personnages hauts en couleur
- Une direction artistique atypique qui fait mouche
- Mode multijoueur complet
- Excellente VF
Points faibles
- Une deuxième moitié de jeu moins haletante que la première
- Quelques sous-intrigues qui tirent en longueur
- Un gameplay restrictif qui ne sera pas du goût de tous
- Le 30fps alourdit le déplacement du curseur
- Un épilogue qui ne répond pas à toutes les questions
Note de la rédaction
“Il faut toujours que de la tête au cœur, l’itinéraire soit direct” disait Yehudi Menuhin. As Dusk Falls raconte une histoire touchante dont les thèmes universels abordés (la famille, le pardon, la loyauté) parleront à un public large. Mis en scène avec talent grâce à un montage inspiré et à des musiques bien choisies, le titre a la bonne idée d’alterner humour et noirceur, moments de bravoure et d’effacement. Passionnant dans sa première moitié, le soft édité par Microsoft peine à retrouver les mêmes fulgurances dans ses trois derniers chapitres, ce qui est regrettable. Doté d’un gameplay restrictif qui ne réconciliera pas les allergiques du film interactif avec le genre, As Dusk Falls brille par ses nombreux choix qui provoquent des conséquences bien réelles. N’est-ce pas le plus important pour un Interactive Drama ? Si vous possédez le Game Pass, il serait dommage de passer à côté.