Test réalisé sur PC. Card Shark sera également disponible sur Nintendo Switch dès le 2 juin 2022.

Décidément, l’éditeur Devolver Digital est un amoureux des cartes. Après avoir publié l’excellent Inscryption en octobre 2021, voilà qu’il revient avec le nouveau projet du studio Nerial (Reigns) : Card Shark. Un jeu de cartes où le but, le concept même, est de tricher. On ne parle pas d’une stratégie à activer ou désactiver entre deux mains : toutes les phases tournent autour de ce principe, comme le scénario d’ailleurs. Le joueur incarne ici un employé d’auberge, muet qui plus est, repéré un beau jour par le Comte de Saint-Germain. Sous ses traits de gentilhomme, l’homme est un expert des tours de passe passe, capable de dépouiller n’importe qui sur une table de jeu. Une chose en entraînant une autre, il deviendra votre mentor, vous enseignant ses techniques les plus secrètes. Un apprentissage qui s’avèrera très vite passionnant.

Fondation solide

Car Card Shark séduit d’abord grâce à sa recette, son concept. Le studio Nerial nous propose ici un formidable recueil de tricheries, aussi bien ingénieuses que totalement loufoques, avec une trentaine de techniques en tout (pour 8h-10h de durée de vie). Chacune d’elles prend la forme d’une phase de gameplay, sorte de mini-jeu souvent en plusieurs étapes. Par exemple, servir du vin à un convive, regarder sa main par-dessus son épaule, indiquer à votre complice les cartes fortes en face à l’aide d’un symbole sur la table. Et bien oui, Card Shark ne demande pas de suivre une partie de A à Z. Vous serez d'ailleurs beaucoup plus amené à aider votre ami à tricher qu'à tricher vous-même. Chaque “mission” se découpe ainsi en trois manches, où il faudra appliquer la stratégie mise en place en amont avec le Comte de Saint-Germain. Plus les manches s’enchaînent, plus les gains sur la table augmentent, tout comme les doutes de vos adversaires. Certains gestes de triche requièrent en effet de la rapidité et de la précision, et au moindre faux pas - ou réflexion un peu trop longue - c’est l’assemblée tout entière qui sera alertée. Si elle vous démasque, la partie prend fin dans la foulée. Il est toutefois possible d’atténuer ces soupçons avec des mouvements au timing “parfait”.

La formule peut paraître simpliste mais les phases de jeu de Card Shark sont en réalité d’une redoutable efficacité. Déjà parce qu’elles mélangent rapidité, précision et sang-froid, mais surtout parce qu’elles arrivent à retranscrire étonnamment bien certaines situations. Comme au moment de faire glisser un paquet de cartes avec le pouce par exemple. Dans ce cas, un geste de trop avec le stick droit vous fera perdre de précieuses secondes. C’est la même chose pour les fois où il faut verser un verre de vin et mélanger le jeu. À force d’entraînement, les techniques de Card Shark deviennent naturelles et instinctives. Leur complexité est ici reproduite avec brio, fort d’un bon équilibre entre exigence et accessibilité, à tel point qu’on croirait presque réussir nous-même le tour. Seules quelques stratégies - surtout sur la fin de l’aventure - demanderont une compréhension avancée des cartes. C’est dans ces quelques cas que Nerial accuse un petit manque de pédagogie, qui peut s’avérer frustrant (notez que dans l'équivalent du mode facile, vous pourrez avoir accès à des indices en pleine partie et même gagner sans avoir à jouer). Car bien comprendre un tour, c'est avoir la garantie de le réussir. Et se rater se paie souvent très cher dans la France du 18ème siècle.

Château de cartes

Depuis tout à l’heure, on parle de triche, de gros sous, mais qu’en est-il de la structure de Card Shark ? Car vous n’êtes pas doué au point de tromper l’espace-temps et vous téléporter. Après une courte introduction, vous serez lâché sur les routes de France avec le Comte. Plusieurs destinations vous ouvriront les bras, de Versailles en passant par Toulouse, même l’Allemagne. Elles ne sont pas toutes obligatoires pour progresser dans le scénario mais réservent à chaque fois une nouvelle technique de triche. Chaque mission se découpe ainsi en deux parties distinctes : l’entraînement avec votre mentor, confortablement installé dans une calèche ; puis la mise en pratique de cette technique sur le terrain, face à d’autres joueurs. Une structure forcément pas mal redondante mais souvent challengée. Quelques parties vous réservent de belles surprises (après tout, vous n’êtes pas le seul à savoir tricher) et une défaite peut toujours débarquer. Des fois, ce sera la banqueroute, la prison ou pire : la mort. Mais même dans ce cas funeste, vous pourrez vous en sortir. Notez que Card Shark propose dans sa difficulté maximum de la “permadeath” : soit la perte définitive de votre sauvegarde et personnage si vous accumulez trop d'erreurs.

Card Shark tente donc d’apporter au joueur un semblant de liberté mais qui ne fonctionne pas plus que ça. Choisir sa destination peut s’avérer utile, dans le cas où une mission vous paraît dans un premier temps trop complexe ou que vous n’avez pas assez d’argent pour y participer. Mais cela ne dépasse pas le stade du “petit plus”. C'est le même constat pour les activités annexes sur la carte de France. Au-delà des quêtes principales, il est possible d’accéder à une table de jeu permanente pour regagner de l’argent en cas de pépin (sur celle-ci, vous choisissez le tour à réaliser parmi une sélection de trois techniques) et à votre “camp de tricheur”. Ce dernier permet de retrouver quelques têtes familières et d’aider votre communauté par l'intermédiaire de dons. Malheureusement, cet argent ne sert de toute évidence pas à grand chose, si ce n’est renflouer votre compte en cas de banqueroute. Les changements y sont trop rares pour constituer un réel intérêt. L’un dans l’autre, on aurait aimé voir Card Shark proposé plus de scènes “d’exploration” façon point’n’click pour rythmer l’ensemble, comme c’est parfois le cas au cours de l’aventure.

Une main gagnante

Car oui, Card Shark n’est pas sans défaut. Vous pourrez vous retrouver sans un sous en poche à recommencer d’anciens tours que vous n’avez plus en tête. Ou pesterez de temps en temps pour avoir raté un geste en fin de partie vous obligeant à tout reprendre depuis le début, quand bien même vous auriez juré avoir l'avantage. Mais jamais rien de grave. Dans l’ensemble, Card Shark reste très prenant, accrocheur, parvenant toujours à relancer l’intérêt du joueur avec ses qualités - d’une part - et grâce à la curiosité naturelle provoquée par son concept seul. C’est simple, on veut toujours en savoir plus sur les techniques farfelues du Comte. Surtout que cette quête pour détrousser la France est accompagnée d’un mystère plus grand, à propos du Roi lui-même. Le tout souligné par des dialogues burlesques et soignés, une bande-son bien dans le ton, sans parler de la superbe direction artistique qui donne à ce voyage une superbe patine. Le studio Nerial ne s’est pas joué de nous, et sort de sa manche un titre unique et marquant.

Conclusion