Les plus anciens ou les plus curieux d'entre vous ont peut-être fait partie de cette communauté de joueurs à s'être émerveillée des créations du regretté Benoît Sokal. Derrière ce nom se cache notamment le plus confidentiel l'Amerzone, mais également la saga Syberia, qui met en scène la charismatique Kate Walker dans des aventures paisibles et riches en poésie. Si tel est le cas, sans doute avez vous été refroidis par le retour de Syberia avec son troisième épisode, dont la technique plus que discutable empêchait à son univers comme à son histoire de décoller pleinement. Aussi, le temps de développement de Syberia The World Before a été allongé pour que Koalabs puisse donner naissance à un jeu qui fait honneur à l'aura de la franchise.
Deux salles, deux ambiances
Les choses ne sont pas spécialement réjouissantes pour Kate Walker au début de Syberia : The World Before. Enfermée dans des geôles au cœur d'une mine de sel dans laquelle elle travaille jusqu'à l'épuisement, l'aventurière trouve heureusement très rapidement une occasion de s'échapper. Par quelques événements fortuits, Kate découvrira un tableau oublié depuis des décennies, sur lequel figure le portrait d'une femme dont tout le monde lui dit qu'elle lui ressemble terriblement. Bien qu'assez désespérée et en proie à des tourments personnels et familiaux, Kate se met en quête de cette jeune fille dont pour l'heure elle ignore tout. Cette personne, c'est Dana Roze. Vivant chez ses parents dans la ville européenne fictive de Vaghen à la fin des années 30, elle aspire principalement à devenir pianiste professionnelle. Plutôt du genre rêveuse, Dana n'est pas pour autant indifférente à la montée en puissance d'un groupe fasciste baptisée L'Ombre Brune, qui n'hésite plus à faire étalage de son extrémisme à quelques encablures du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Ces deux différentes plages temporelles permettront tour à tour d'incarner Kate dans sa tentative de lever le mystère sur l'identité de la jeune fille, ainsi que Dana qui devra faire face à la menace de l'Ombre Brune, tout en compilant avec ses ambitions de musicienne. Cela donne un certain attrait à un scénario plutôt bien ficelé, quoique débouchant sur un final qui se précipite un peu, qui vous permettra de voyager et d'évoluer dans des environnements souvent très jolis et diversifiés. Si le ton est sans aucun doute plus sombre que ce à quoi la série nous avait habitués jusqu'à présent, quelques moments plus légers viennent adoucir un peu l'atmosphère, notamment grâce au croustillant tandem Kate / Oscar) (dont on apprécie particulièrement le retour et l'aspect). Si, globalement, les différents dialogues et situations sonnent juste et que l'histoire se suit avec autant de plaisir que d'intérêt, cet épisode de Syberia n'esquive pas quelques clichés un rien manichéens, où les gentils sont très gentils et les méchants très méchants. Si cela pourra peut-être heurter les nouveaux venus dans l'univers de Syberia, les autres sauront que c'est souvent la bienveillance qui prime dans la saga, aussi ne serez vous pas surpris d'être majoritairement entouré de personnages aussi attachants que compatissants.
Sans trop vous en dévoiler, nous émettrons toutefois un petit bémol sur la présence d'une intrigue secondaire mais connnectée à la principale, plus exotique, qui sert finalement assez peu le récit et dont on à le sentiment qu'elle aurait pu être exploitée davantage. Sachez pour finir que s'il est recommandé de connaître les épisodes précédents pour mieux saisir les enjeux de ce nouveau Syberia, Kate et certains documents proposés en jeu sont suffisamment loquaces pour que vous n'ayez pas trop de mal à raccrocher les wagons, ce qui ne vous empêcherait de toute façon pas d'apprécier l'histoire de cet épisode pour ce qu'elle est.
Des puzzles accessibles et cohérents
Votre aventure se déroulera donc sur plusieurs lignes temporelles, nous ne vous dirons pas exactement combien pour ménager la surprise, mais sachez que vous aurez à certains moments l'occasion d'alterner manuellement entre le contrôle de Dana et celui de Kate, et plus encore, car observer des lieux à une époque permet de progresser dans l'autre. Cela donne lieu à des puzzles assez sympathiques et plutôt bien sentis d'un point de vue narratif car pour la plupart du temps très cohérents. Et les puzzles, puisque nous en parlons, constituent un pan essentiel de Syberia et The World Before ne déroge pas à la règle.
Le jeu est divisé en plusieurs zones assez linéaires, qui vous offriront la possibilité d'interagir avec des objets, d'observer plus attentivement certains éléments de décor ou de parler avec quelques PnJ. La plupart des objets récoltables doivent être manipulés et observés pour que vous puissiez vous assurer de leur fonction et vous pourrez naturellement les combiner avec d'autres éléments si le puzzle le permet. S'il ne faudra pas chercher dans cet épisode un challenge relevé, comptez en revanche sur le jeu pour vous soumettre des énigmes plaisantes, originales et cohérentes. Pas de "capillotraction" ici, chaque puzzle aidant à la progression étant parfaitement intégré à l'histoire. Et si d’aventure vous étiez coincé sur une énigme, le titre propose un système d'aide compartimenté et matérialisé sous forme de plusieurs jauges, qui requièrent un petit temps d'attente pour être activées. Lorsque l'une des jauges est remplie, un premier indice assez général vous est révélé. À ce moment, la jauge d'un autre indice plus précis se remplit et vous pourrez en disposer passé quelques secondes. Cela vous "forcera" à essayer de comprendre par vous-même les mécaniques d'une énigme à la faveur d'un premier indice, et si vous coincez toujours, vous pourrez profiter avec un peu de patience de nouveaux éléments visant à éclairer vos lanternes.
Techniquement enfin à la hauteur de son propos ?
Côté maniabilité, on attendait de Syberia The World Before qu'il soit plus souple et fluide que son prédécesseur et c'est le cas dans les faits. Au clavier souris, vous pourrez simplement cliquer pour déplacer Kate ou Dana, et double cliquer pour activer le pas de course. Certes tout n'est pas parfait : cliquer sur un élément interactif déclenchera parfois des déplacements plutôt que des interactions et quelques ratés de caméra rendent la navigation laborieuse, surtout lorsqu'il s'agit de s'engouffrer das un couloir ou une ruelle. En outre, le fait de devoir en permanence cliquer sur le bouton « retour » pour revenir par exemple de votre inventaire vers le jeu est assez peu intuitif là où un simple clic droit aurait rendu les choses plus fluides. Mais dans l'ensemble, The World Before s'en sort bien mieux que son aîné et renoue avec les sensations du point'n clic d'antan.
Enfin, côté technique, on sent que les équipes ont appris des erreurs du passé et sans doute le large report du jeu a-t-il été salutaire pour The World Before. Outre le fait que le jeu soit franchement joli, notamment grâce à une utilisation inspirée des éclairages sublimant l'univers si caractéristique de Sokal, l'ensemble est moins bugué qu'auparavant, même si l'on regrettera des animations corporelles ou faciales toujours un peu trop figées par rapport à certains standards actuels. Notez également que le jeu rencontre de vrais problèmes d'optimisation sur PC, lorsque tous les curseurs sont poussés au maximum, même sur des machines équipées d'un matériel supérieur à la (gourmande) configuration recommandée. Pas de quoi bouder son plaisir pour autant, car Syberia The World Before renoue avec les standards de la saga, et vous embarquera pendant plus de 10h dans une aventure à part, au cœur d'un univers qui ne l'est pas moins.
Conclusion
Points forts
- Un univers toujours aussi poétique et à part
- Dana, personnage touchant et Kate toujours aussi charismatique
- Un scénario plaisant à suivre, sur plusieurs lignes temporelles
- Les puzzles accessibles et toujours cohérents
- Souvent franchement joli
- Bande son d'Inon Zur impeccable
- Le duo Kate / Oscar
- VF plutôt réussie
Points faibles
- Un léger manque de challenge
- Animations corporelles et faciales encore rigides
- Quelques ratés de caméra
- Des imprecisions entre interactions et déplacements
- Problèmes d'optimisation en ultra 4k
- Un intrigue connexe qui sert peu le récit
Note de la rédaction
Après un troisième épisode qui faisait craindre le pire pour l'avenir de Syberia, The World Before parvient à prouver que la licence a encore des choses à raconter et un univers uchronique et onirique à exploiter. Pendant plus de 10h, vous prendrez plaisir à prendre en main le destin de Dana et de Kate, à résoudre des énigmes accessibles et cohérentes et à vous perdre dans la poésie qui se dégage du monde créé par Benoît Sokal. Si l'on pourra pester contre certaines imprécisions entre les interactions et les déplacements, quelques ratés de caméra ou une optimisation PC pas forcément au point, les fans comme les nouveaux venus apprécieront sans aucun doute cette aventure un peu à l'ancienne, certes, mais qui enfin pose ses valises dans la modernité et qui pourrait, si les étoiles sont alignées, avoir un nouvel avenir devant elle et perpétuer ainsi la mémoire et l'univers de son principal architecte.