Alors que Microsoft a abandonné son Project Spark et que Sony essaye encore de démontrer à quel point Dreams est formidable, c’est au tour de Nintendo de proposer son jeu qui sert à créer d’autres jeux par l’intermédiaire de l’Atelier du Jeu Vidéo. Comme toujours, la promesse repose sur la simplicité d’utilisation ainsi que sur les multiples possibilités offertes. Sauf qu’ici, l’accent est mis sur la dimension éducative du logiciel. De quoi faire école ?
Papa, maman, comment on fait des jeux vidéo ?
Les softs qui promettent la création de jeux vidéo à n’importe quel quidam sont nombreux. De Klik & Play au récent Core sur PC, tous vendent le doux rêve de la production de jeux vidéo sans devoir connaître un langage de programmation. Sur consoles de jeux, outre les éditeurs de niveaux bien connus, certains titres se sont spécialisés dans ce genre peu commun qui repose sur la génération de contenus avec LittleBigPlanet, Project Spark ou encore Dreams. Non-content d’avoir proposé un outil extrêmement bien pensé pour concevoir des jeux de plates-formes avec ses deux épisodes de Super Mario Maker, Nintendo embrasse la diversité avec l’L'Atelier du Jeu Vidéo. Pourquoi se concentrer sur un style en particulier quand il est possible d’en concevoir plein d’autres ? Course, puzzle-game, adresse, shoot’em up, party-game… il y a l’embarras du choix. Mais plutôt que de mettre au point un programme de conception de jeux vidéo, la firme de Kyoto envisage son Atelier comme une initiation au game design et au scripting professionnel. C’est pourquoi le logiciel n’est découpé qu’en deux modes de jeu : “Leçons interactives” et “Programmation libre”. Le premier est un long tutoriel qui enseigne les bases du développement d’une expérience vidéoludique tandis que le second ouvre les portes de la production d’un projet en partant de zéro, sans obligation particulière.
Le mode “Leçons interactives” est composé d’une introduction et de sept chapitres principaux. Contrairement à Dreams de Media Molecule qui enseigne ses fondamentaux en partant de concepts précis (la logique, la modélisation, etc.), l’Atelier du Jeu Vidéo s’apprend en fonction des genres. En effet, la première leçon donne des détails sur comment créer un jeu en multijoueur local, la deuxième instruit sur les bases du développement d’un jeu d’adresse en vue de dessus, tandis que la troisième dévoile les secrets de la conception d’un shoot’em up à défilement horizontal. Les autres cours virtuels donnent les clés pour dompter l’élaboration d’un platformer un 2,5D (puis en 3D), d’un puzzle-game avec une caméra fixe à la Resident Evil, ou encore d’un jeu de courses 3D. Décortiquer la manière dont sont scriptés ces jeux fait découvrir des notions précises, telles que la gestion des items, l’affichage des règles, et la vérification des conditions de victoire. De temps à autre, le titre définit certains concepts, comme le passage en “gold”, et donne diverses astuces pour déboguer plus efficacement (téléportation du personnage jouable dès le début de la compilation, etc.). En comptant les tutoriels servant à créer des genres bien définis et ceux présents dans le “Guide d’Alice” (tutos supplémentaires), l’Atelier du Jeu Vidéo comporte plus de 95 niveaux servant à connaître les outils.
Nodons utiles
Tous ces tutoriels insistent sur le fait que le soft de Nintendo est avant tout un point d’entrée pour découvrir puis contourner les problématiques liées au game design et au scripting professionnel. Car oui, le système de scripting visuel utilisé, déjà aperçu dans une moindre mesure dans le “Labo secret” de Nintendo Labo, rappelle le Blueprint de l’Unreal Engine. Il s’agit de boîtes qu’il est possible de paramétrer, représentant des événements, des fonctions, des objets, à relier les unes aux autres dans le but de créer des expériences interactives sans avoir à inscrire de ligne de code. Dans le monde de l’Atelier du Jeu Vidéo, nous retrouvons des Nodons, à savoir de petits personnages rigolos, à connecter grâce à des câbles. Ils sont classés dans quatre catégories : entrée (constante, bouton appuyé, stick poussé, etc.), milieu (calculateur, comparateur, compteur, minuteurs, etc.), sortie (son, musique, modification du monde, etc.) et objet (personnage, itemp, capteur, caméra, etc.). Besoin d’ouvrir une porte fermée à clé ? Il faut utiliser le Nodon d’entrée “Objet détruit” sur la clé, vérifier la présence du joueur dans la zone de la porte avec le Nodon d’objet “Capteur”, tester avec le Nodon de milieu “Et” que les deux conditions sont remplies et lancer l’ouverture de la porte avec un son de victoire grâce aux Nodons “Transposer” et “Produire un son”. En quelques clics, avec un peu de jugeote et beaucoup de liens, il devient alors possible de créer des expériences diverses et variées. Les Nodons ont toujours un mot sympa pour décrire leur fonction et ne sont pas avares en calembours. C’est le principe même de l’Atelier de Jeu Vidéo : présenter de manière ludique et agréable un langage de scripting relativement austère que l’on trouve dans les logiciels professionnels.
Avant de débloquer une nouvelle leçon du tutoriel, et donc de pouvoir découvrir comment scripter un nouveau genre, il est exigé de réussir des exercices de mise en situation. En maître d’école bien attentionné mais intransigeant, Nintendo veut s’assurer que le joueur comprend suffisamment bien ce qui lui est enseigné avant de passer à une étape plus complexe. Ces tâches sont en fait des situations que nous pourrions comparer à des énigmes, qui nécessitent que l’utilisateur change quelques éléments du code pour le déboguer et ainsi valider l’objectif. Quand nous vous disions que l’Atelier du Jeu Vidéo était avant tout un logiciel ludo-éducatif ! Petit à petit, les chemins précis pour trouver les bons Nodons ne sont plus indiqués : l’utilisateur progresse.
Le cas d’école
Malgré toutes les précautions prises par l’Atelier du Jeu Vidéo dans l’enseignement de sa méthode, la difficulté augmente assez soudainement à partir de la sixième leçon du cinquième tuto, quand les compteurs, les raccourcis, les éléments de logique ainsi que les outils de translation se multiplient. Les plus jeunes risquent ainsi de perdre un peu de leur sang-froid. Dans le même ordre d’idées, les explications laissent parfois à désirer. Sûrement afin d’éviter de submerger d’informations le game builder en herbe, le programme demande à certains moments de paramétrer des options sans que l’on sache vraiment les tenants et aboutissants.
Là où Dreams et d’autres logiciels mélangent les informations telles que la logique à l'intérieur de l’éditeur de niveaux en 3D temps réel, l’Atelier du Jeu Vidéo tente une autre approche. C’est à l’intérieur du mode édition, là où il faut connecter toutes les boîtes des Nodons, que le niveau est généré. Cela signifie que pour créer une maison par exemple, il faut générer des Nodons “Objet simple” dans l'interface de scripting afin de construire les murs et le toit. Il n’y a donc pas de retour direct du côté de l’utilisateur du monde 3D : le joueur est obligé de compiler le niveau afin que l’espace 3D prenne vie. Des petites corrections toutes simples qui prennent normalement quelques secondes à éditer dans des moteurs classiques prennent ainsi plus de temps et se révèlent bien moins “user friendly” dans l’Atelier du Jeu Vidéo, ce qui est un comble puisque le soft est censé cibler les plus jeunes. De ce fait, les déplacements d’objets dans le monde 3D prennent du temps, car ils reposent à 100 % sur la logique, et donc sur les outils de translation et de calculs gérés par le script. En d’autres termes, sous sa simplicité de façade, l’Atelier du Jeu Vidéo donnera du fil à retordre aux moins “matheux”. Il n'y a ni outil d’extrusion, ni outil de modélisation. Si le joueur veut une fenêtre dans un mur, il doit placer quatre rectangles autour d’un trou, plutôt que de placer un polygon à l’intérieur duquel il “creuse” un carré. Oui, il y a de fortes chances pour que la plupart des projets de ce Game Builder Garage ressemblent visuellement à des prototypes de jeux vidéo plutôt qu’à des produits finis.
Libre comme l’air ?
Le second mode accessible dans l’écran principal, intitulé “Programmation libre”, octroie la faculté de créer un jeu vidéo à partir d'une feuille vierge. Celles et ceux qui ont déjà tenté d’utiliser des jeux de création de jeux savent que les véritables soucis commencent à partir du moment où l’on prend la décision de créer son soft de A à Z, sans être assisté par l’aide nous indiquant quoi placer et comment paramétrer les options. À l’instar des autres logiciels du genre, ce mode libre récompense les plus pugnaces. Heureusement, le “Guide d’Alice” accessible à tout moment permet de se rafraîchir la mémoire et de retrouver assez aisément l’utilité d’un Nodon. Avec beaucoup de temps et de recherche, il devient possible de prototyper des petits jeux d’arcade. Certes, nous sommes à des années-lumières de ce que Dreams propose dans la puissance de ses outils, mais l’Atelier du Jeu Vidéo demeure une initiation bien exécutée aux “sciences du jeu vidéo”. Il manque néanmoins le traitement de certains domaines liés au monde du jeu vidéo (comme la modélisation 3D, l’animation, l’IA) afin d’en faire le titre ludo-éducatif ultime sur la sphère vidéoludique. Nous regrettons aussi l’absence de personnages issus des licences de Nintendo, l’impossibilité de pouvoir grouper des Nodons pour les copier et les coller, l’impossibilité de créer un jeu qui se joue en ligne, et le manque de clarté général dès qu’il faut gérer les repères orthogonaux xyz. Plus embêtant encore, contrairement aux Mario Maker, aucun game browser n’est disponible dans l’Atelier, ce qui complique la découverte sur le fil de jeux de la communauté. Bien sûr, il existe un système de codes à partager permettant de récupérer des projets afin de les tester ou de les remixer, mais cela ne remplace pas une rubrique dédiée directement dans le programme. D’autant plus que découvrir les créations d’autres utilisateurs est particulièrement important dans le processus d’apprentissage...
Points forts
- Le scripting dans le jeu vidéo n’a jamais été aussi bien expliqué
- De nombreux tutoriels interactifs qui s’attardent sur des concepts précis
- Le multi local est pris en compte
- Un tas de Nodons qui mènent à de multiples possibilités de création...
Points faibles
- ... mais des limites bien réelles dans le mode libre
- Pas de game browser : l’aspect communautaire en berne
- Compilation obligatoire pour vérifier un visuel dans l’univers 3D
- Malgré les efforts de Nintendo dans la vulgarisation, quelques notions restent ardues
- Peu de Nodons “Personnage”
Que de chemin parcouru depuis Nintendo Family Basic ! L’Atelier du Jeu Vidéo est un bon logiciel ludo-éducatif qui enseigne avec panache les fondamentaux du game design et du scripting. Bien que certains choix discutables compliquent légèrement ce qui aurait dû être plus simple, le titre de Nintendo parvient à nous étonner par ses nombreuses possibilités. Si vous voulez offrir à vos enfants un logiciel qui leur apprendra les bases de la création professionnelle de jeux vidéo, ou si vous souhaitez découvrir vous-même ce drôle d’univers avec des personnages loufoques plutôt qu’un patron grincheux qui instaure le “crunch”, l’Atelier du Jeu Vidéo est fait pour vous. L’absence d’un game browser intégré demeure tout de même une énorme limite à la dimension communautaire.