Les amateurs d’Action-RPG et de projets singuliers trépignent d’impatience à l’idée de parcourir les contrées verdoyantes de Biomutant depuis son annonce lors de la gamescom 2017. Maintes fois reporté, le titre des studios Experiment 101 et de l’éditeur THQ Nordic accoste sur nos rives au cours du printemps 2021. Biomutant est-il à la hauteur des espoirs placés en lui ?
Le jouet de la causalité
Biomutant se qualifie lui-même de fable Kung-Fu post-apocalyptique et cette succession de termes détermine la trajectoire prise par le projet d’Experiment 101. Ce conte à la fois sombre et coloré narre l’inéluctable fin du monde, la mort de l’Arbre de Vie, sur fond de prophétie annonçant l’émergence d’un guerrier légendaire. Ce Ronin borgne s’apprête à décider du sort du monde. Tel est le postulat de départ de cette aventure qui laisse libre de ses choix et de ses actes un héros, incarné par le joueur, qui assume les conséquences et les répercussions des décisions prises. Au cours de ce périple doublé et sous-titré en français qui demande de 15 à 20 heures pour se terminer en “ligne droite, le chemin importe bien plus que la destination.
Les auteurs se reposent sur un concept simple, mais qui a fait ses preuves par le passé, la liberté de prendre son destin en mains. Cela se traduit en jeu par une aura où cohabitent ténèbres et lumières. Cette transposition ludique du concept philosophique du "Yin et Yang" se ternit et/ou s'illumine tout au long d’une épopée qui souhaite régulièrement placer l’avatar devant des dilemmes moraux. Manichéens pris séparément, les choix effectués par les joueurs décident à terme du destin du héros et donc du monde. Toutefois, le vent de liberté qui souffle sur Biomutant n’est pas constant. La vision des développeurs se heurte à la nécessité de progresser dans une histoire certes non linéaire, mais parfois trop dirigiste et surtout balisée par de nombreux marqueurs de quête.
L’épopée imaginée par Experiment 101 repose sur plusieurs arcs narratifs qui évoluent en parallèle, se croisent, voire même se télescopent afin de guider le Ronin borgne vers une destinée en particulier. Le dénouement de la guerre des Tribus qui s'affrontent sans cesse, entre soumission par la force et recherche d'harmonie, l'élimination ou non des Mangemondes (qui grignottent inexorablement les racines de l'Arbre de Vie) ainsi que l'équilibre du héros entre la nécessité de Pardon et le désir de Vengeance, fixent la destination. Les multiples fins du jeu sont également liées à l'aura ténébreuse et lumineuse du héros, et donc aux actions entreprises par celuic-ci, même les plus infimes au cours de l’aventure. Les différentes quêtes principales et autres histoires annexes, souvent redondantes, s'intègrent alors au récit. Entre l’unification et la soumission par la force, la main tendue et le meurtre, l’empathie et la soif de sang, l’avenir se dessine assurément en filigrane, même si l’agencement des objectifs restent inéxorablement le même.
Le récit se démarque principalement par son ton léger et son humour, souvent potache, qui dénote avec les thèmes abordés. Biomutant se veut enfantin dans son écriture avec un vocabulaire compréhensible par les plus jeunes, mais souligne habilement les horreurs de la guerre ou encore les conséquences des catastrophes écologiques à venir. Le jeu propose ainsi une double lecture des événements contés par un narrateur omniprésent qui s’efforce d’alléger l’ensemble, quitte à en faire trop. Il est cependant possible et fortement conseillé de réduire la fréquence des interventions de la voix off afin de profiter pleinement du monde qui vous entoure sans être dérangé toutes les deux minutes par un commentaire.
Biomutant souffre néanmoins d’une narration expéditive, à l’image de son introduction presque amorphe qui ne reflète en rien l’aventure à venir, mais qui témoigne d’une mise en scène pour le moins minimaliste. Les cinématiques (trop) statiques peinent à transposer à l’écran l’urgence et l’importance des situations. Il en va de même pour les flashbacks. Ces séquences jouables qui retracent l’enfance du héros manquent cruellement de rythme, et peine à nous impliquer émotionnellement à la différence des actes perpétrés par ce même héros dans le présent. En effet, l'aventure prend ici un malin plaisir à vous mettre face à vos contradictions, vos exactions et votre bonté relative. Et si vous souhaitez découvrir les différents destins du Ronin borgne, l’option "Nouvelle Partie+" vous permet de recommencer l’histoire tout en conservant votre expérience, vos armes et équipements ainsi que votre aura.
Gameplay : L'unification des tribus par la force
Les contrées de l’apocalypse
Les artistes des studios Experiment 101 ont bâti un univers fantaisiste en monde ouvert propice à l’exploration. Cette invitation au voyage assure un dépaysement de chaque instant principalement en extérieur avec ses différents biomes, au nombre de sept, entre forêts, jungles, montagnes, déserts, zones mortes, etc. Dans ce monde apocalyptique, une nature foisonnante née de la contamination et de la pollution reprend ses droits sur les ruines d’une ancienne civilisation dont nous tairons les origines, même si celles-ci sont identifiables au premier coup d'œil. La fusion de la flore et d’éléments urbains de toutes sortes donne naissance à des décors singuliers et variés où vagabonder s’avère plaisant, même si la faune brille par sa faible présence.
Les environnements pourraient paraître vides, voire sans vie... apocalypse oblige, mais dans les faits de nombreux personnages, lieux et mystères agrémentent la visite. L’exploration dans sa forme la plus pure est souvent récompensée par une découverte, même aussi infime soit-elle, une conversation, mais surtout du loot essentiel pour survivre ici bas. La rencontre avec un PNJ, lambda de prime abord, pourrait même avoir des répercussions sur la suite des événements, si ce n’est la fin de l’aventure. De plus, les développeurs facilitent les déplacements récurrents du héros par un système de voyage rapide ainsi que la mise à disposition de plusieurs véhicules improbables tels qu’une main mécanique et diverses montures à apprivoiser.
Biomutant, malgré ses bonnes intentions, peinent à s'élever au niveau de la concurrence techniquement parlant. La réalisation est datée, principalement dans les environnements en intérieur, même si la direction artistique compense le manque de technique par d’habiles touches de couleurs et de lumières une fois à l'air libre. Le titre pâtit au final d’une faible distance d’affichage, de textures parfois grossières, d’apparitions inopinées d’objets (clipping), et de ralentissements sur les consoles de huitième génération. Toutefois, l’expérience Biomutant se vit en 1080p à 60 images par seconde sur PlayStation 4 Pro et Xbox One X, 1080p à 30fps sur PlayStation et Xbox One, et enfin en 4K à 60 i/s sur PC. Experiment 101 fait de son mieux pour concevoir un univers visuellement riche, mais ne parvient jamais à combler l’écart qui le sépare des autres productions en monde ouvert du genre.
Gameplay : Exploration des forêts de Luxudru
Le disciple du Wung-Fu
Survivre dans le monde impitoyable de Biomutant exige l’apprentissage d’un art martial ancestral mêlant habilement armes à distance et corps à corps. Le Ronin borgne maîtrise les arcanes du Wung-Fu depuis son plus jeune âge et sait se défendre quand la situation l’exige. Le système de combat s’appuie majoritairement sur les armes équipées par l’avatar à un instant “t”. Celles-ci déterminent les combos disponibles, les coups spéciaux, et donc la manière d’atteindre le Super Wung-Fu, en d’autres termes une série d’attaques ultimes pour se débarrasser fissa des gêneurs.
Tout est ici une question d’esquives soulignées par un Slow Motion cherchant à rendre épique les séquences, d’attaques à distance pour réduire la santé des ennemis, et de combos en mêlée pour les achever. Le guerrier peut également compter sur divers pouvoirs psychiques et mutations acquis au cours de l’aventure qui lui permettent de venir à bout des adversaires les plus coriaces. Cet Action-RPG n'a rien d'une épreuve en soi. Biomutant demeure en vérité un jeu accessible à tous, bien que les combats exigent un certain temps d’adaptation. Malheureusement, ces derniers manquent de punch. Les impacts, principalement au corps à corps, peinent à retranscrire la violence des coups portés.
Le bestiaire varié, entre personnages antropomorphes et simples créatures... fruits de l'évolution, parvient cependant à conserver intact l'intérêt de ces affrontements en alternant les forces en présence. Les combats de boss, cerises au nombre de quatre sur le gâteau, enrichissent uniquement en surface l’expérience. Les face-à-face avec les Mangemondes sont certes mémorables, mais demeurent conventionnels autant dans leur conception que dans leur réalisation. Il se dégage une certaine maîtrise des affrontements de manière générale, une maîtrise qui aurait mérité de gagner en intensité et en finition pour combler les amateurs d’arts martiaux et de joutes guerrières.
Gameplay : L'art expéditif du Wung-Fu
De bric et de broc
Biomutant débute sans trop de surprise avec la création du personnage principal, et autant le dire sans détour, Experiment 101 offre aux amateurs de customisation un éditeur complet. Ce dernier affiche six races, cinq classes qui déterminent plusieurs aptitudes passives, des options de pelage, des mutations d’ADN, et même un degré de résistance à certains types de contamination. Ces attributs sont généralement et selon les cas difficiles voire impossibles à modifier une fois l'aventure commencée. Vous pouvez bien entendu créer un nouvel avatar, mais cela signifie recommencer de zéro un tout nouveau périple. Il existe tout de même certaines exceptions, à condition de faire les bonnes rencontres lors de vos errances sur la carte.
Bien entendu, la montée en puissance de l’avatar passe par un gain d’expérience qui se traduit en une augmentation successive de différentes statistiques, mais pas seulement. Les mutations et autres pouvoirs psychiques, dont l’accès dépend pour certains de votre aura, s’ajoutent au nombreuses options permettant de décider de l’avenir du guerrier borgne. Sans être essentiels pour survivre, ces capacités surnaturelles pimentent les affrontements, et ajoutent un certain degré d’inattendu ludique et visuel qui n’est pas pour nous déplaire. La destinée du Ronin de la légende se décide par les armes, les choix effectués, mais aussi par son évolution physique au gré de l’aventure.
Pour se défendre, le guerrier borgne met aussi à contribution ses talents pour confectionner des équipements en tout genre imaginés avec ce qu’il chine en chemin. Le système d’artisanat et ses millions de combinaisons se démarque par le foisonnement des différentes composants à assembler dans le but d'obtenir des armes ou des armures toujours plus performantes. De plus, le design improbable obtenu en modifiant encore et encore les items finit par rendre le craft de Biomutant unique en son genre. L’exploration du monde est justifiée par le seul plaisir d’imaginer le prochain fusil, la prochaine épée, puis de les créer. Il en va de même pour l'accoutrement du héros qui, à force de modifications, arbore un style qui n’appartient qu’à lui, et qui sera difficile de recréer tant les possibilités sont nombreuses et l’aléatoire omniprésent lors du loot.
Gameplay : Création d'un guerrier de légende avec l'éditeur de personnage
Points forts
- Des thèmes adultes portés par un ton et un humour léger
- L’impact des décisions prises par le héros sur l'aventure
- Un univers post-apo propice à l’évasion
- Une direction artistique colorée et inspirée
- Un système de combat plaisant et accessible
- L'éditeur de création de personnage
- La montée en puissance et les pouvoirs de l’avatar
- La création et la personnalisation des armes et des équipements
- Le mode "Nouvelle Partie+"
- Un récit doublé et sous-titré en français (VF + VOSTFR)
Points faibles
- Une aventure parfois trop dirigiste
- Une introduction peu engageante
- Une structure et des objectifs de quêtes redondants
- Une réalisation technique loin des standards actuels
- Des affrontements qui manquent de punch
- Des combats de boss trop conventionnels
Biomutant est ce que nous attendions de lui, ni plus ni moins, à savoir un projet généreux, pétri de bonnes intentions, et qui par sa vision atypique de l’Action-RPG souffle un vent de fraîcheur sur le genre. Le titre des studios Experiment 101 est une ode à l’exploration d’un univers post-apo coloré, à la destinée karmique, à la personnalisation de l’avatar, et aux arts martiaux. Il peine, il est vrai, à concrétiser ces différents aspects et à les fusionner. Il n’en demeure pas moins que cette expérience, égale à aucune autre, dépayse, surprend, et désarçonne au point d’en devenir mémorable. Il faut cependant passer outre une réalisation technique qui accuse un retard certain et une progression parfois trop dirigiste.