La crise sanitaire a été source d’inspiration pour bien des créateurs de contenus. Chez les trois Lyonnais du jeune studio Burning Sunset, le contexte actuel a fait mûrir l’idée d’une aventure en full-motion video : The World After. Une production sci-fi réalisée durant la pandémie en 2020 par des habitués du cinéma.
La FMV, ou full motion video, est un procédé technique qui consiste à insérer des fichiers vidéo pré-enregistrés dans un jeu. Cela peut aussi bien concerner des séquences de dessins animés comme pour Dragon’s Lair, sorti sur Arcade en 1983, que des séquences avec de vrais acteurs, comme le mémorable Gabriel Knight: The Beast Within ou les plus récents Her Story et Telling Lies.
Écrivain originaire de Paris, Vincent a fui le vacarme de la ville en espérant trouver l’inspiration pour son prochain livre dans un cadre plus champêtre. Depuis, la pandémie a sévi et voilà la France totalement confinée. Mais notre protagoniste semble moins préoccupé par la crise sanitaire que par ses cauchemars insolites et l'étrange lettre reçue sous sa porte. “On ne peut fuir ce qui n’existe pas”, peut-on lire sur un papier signé “Third Eye”. Une piste est laissée : celle d’un ancien château où Vincent va découvrir le moyen de transformer le jour en nuit ; un nouveau pouvoir qui ne sera évidemment pas sans danger. Avec The World After, les développeurs de Burning Sunset ont décidé de jouer avec l'actualité en la pigmentant d'une grosse dose de science-fiction et de mystère. Forcément, de notre côté, la recette intrigue.
Confinement à la campagne
Polyvalentes, les trois têtes pensantes qui forment le studio lyonnais s'occupent aussi bien de développer le jeu que d'endosser le rôle des personnages, en comptant tout de même sur l'aide d'une poignée d'acteurs supplémentaires. Très vite, The World After prend la saveur d'une petite production sans grands moyens, confectionnée avec grand soin par des passionnés de cinéma qui s'essayent au jeu et à l'incarnation. Devant la caméra, la prestation est parfois fébrile, d'autres fois très correctes. Le casting compte sur la présence forte de Jean-Claude Dreyfus (La Cité des Enfants perdus, Delicatessen), un soutien incontestable qui apporte une certaine prestance. Et puis, il est plaisant de pouvoir apprécier un film interactif entièrement français, également doublé en anglais pour les joueurs internationaux. Aidé par le charmant cadre de l'Auvergne, le titre profite souvent de jolis plans larges et d'une image jaunie tout à fait agréable. On aimera plus particulièrement le travail sonore qui, s'en être vraiment imposant, enveloppe impeccablement le récit ; l'attention qui y est portée est soulignée par quelques détails : le bruit de l'horloge en bois dans la maison de campagne ou celui des oiseaux au petit matin.
Si le jeu fait partie de ces flopées de productions qui s'emparent de la crise sanitaire actuelle pour former leur intrigue, celle-ci sert surtout de prétexte à un mystère bien plus extravagant et nébuleux. Si bien que nous restons guidés par une envie constante d'en apprendre plus. Les péripéties comme l'élément de résolution ne surprendront jamais un habitué de sci-fi, mais on reste curieux. N'en disons pas plus sur le scénario, l'histoire n'occupant tout juste qu'une heure environ ; Si la durée de vie fait pâle figure, elle s'étire néanmoins en trois fins distinctes et seule l'une d'entre elles répondra à toutes les questions. Trouver comment accéder à l'ensemble reste excessivement abordable dans un récit à plusieurs embranchements qui ne vous place malheureusement que face à deux choix. On retiendra une autre idée qui ne manque pas de densifier l'intrigue : les QR Code parsemés un peu partout que vous devez scanner à l'aide de votre téléphone. Ceux-ci révèlent des témoignages vidéo (nommés "logs" en jeu), soit des flashbacks plutôt bien joués, qui viennent dérouler l'intrigue par le biais de monologues parfois un poil trop pédants.
Du Point'n click classique
Si comme évoqué plus tôt, les choix proposés au joueur sont bien trop restreints, la progression entre un point A à un point B se voudra similairement très linéaire. Une carte aurait peut-être aidé à offrir plus d'ouverture au périple et ainsi éviter quelques chemins intermédiaires entre deux spots clés. Détail utile : la possibilité d'appuyer sur la barre d'espace pour sauter des transitions déjà vues. Côté mécaniques de jeu, The World After fonctionnera comme un point’n click à la fois très classique et épuré : il vous demandera de cliquer sur des objets, de les ajouter à votre inventaire, et de les combiner pour en former de nouveaux. Le doublage est minutieux, Vincent ayant son petit commentaire à partager au sujet de chaque élément sur lequel vous cliquez. Et puis il faudra faire la discussion à une poignée d'habitants, entre un ami garagiste, sa femme ou l'agriculteur du coin ; pas réellement d'intrigue secondaire au menu des rencontres, les discussions menées servant principalement à vous livrer la réponse à une énigme ou les outils dont vous aurez besoin pour progresser.
Le jeu repose sur un concept qui ajoute un peu de matière au gameplay : le héros met rapidement la main sur un interrupteur qui fait basculer le jour en nuit et dont il devra comprendre l'origine. Ce dernier est utilisable pour presque chaque lieu, les décors pouvant alors dévoiler de nouveaux objets ou personnages avec lesquels interagir. Par exemple, si quelqu'un refuse de vous prêter un item indispensable le jour, celui-ci pourra très bien être récupéré la nuit tombée, une fois le champ libre. Dans leur entièreté, les puzzles ne représenteront aucun défi particulier et auraient peut-être mérité une difficulté plus accrue. Ils ont toutefois le mérite de rester cohérent dans l'écriture. Le titre représente globalement un divertissement très accessible et grand public.
Points forts
- De jolis plans
- Un travail sonore très agréable dans l'ensemble
- Le cycle jour/nuit qui densifie le gameplay
- L'idée des "logs" pour rythmer le récit
- Une production française doublée en français/anglais
Points faibles
- Très court
- Des casse-tête parfois peu stimulants
- Des choix trop limités
- Une progression très linéaire
Qu'il est agréable de pouvoir profiter d'une production FMV française qui met en lumière les paysages champêtres de l'Auvergne qu'on aimerait voir encore plus. Les décors et l'appétence des développeurs pour le cinéma donnent parfois vie à de jolies images habillées d'une bande-son plutôt plaisante. Ajoutons à cela une poignée de bonnes idées : une intrigue oscillant entre actualité et science-fiction qui rend forcément curieux, une bascule jour/nuit qui apporte beaucoup au contenu et les enregistrements vidéo à dénicher, outils essentiels à la compréhension de l'histoire. Les adeptes de sci-fi ne seront toutefois pas dépaysés par une écriture qui surprend peu, mais qui profite néanmoins d'un rythme correct - pour une expérience tout de même très courte - et n'ennuie jamais. Mais quand même : dommage que le jeu s'ouvre à la narration à choix en offrant finalement un champ d'actions si léger. Avec The World After, Burning Sunset signe en tout cas une production encourageante pour un studio qui ne fait qu'entamer son périple vidéoludique.