Il y a quelques semaines, nous avions pu nous entretenir avec Hironobu Sakaguchi, le créateur de Final Fantasy, en amont du lancement de Fantasian. Ce J-RPG disponible exclusivement via Apple Arcade nous a intrigué, notamment à cause de son parti pris esthétique radical. En intégrant de véritables dioramas dans son univers, cette aventure se crée une identité visuelle forte et originale. Mais Fantasian a-t-il plus à proposer ou n’est-il qu’un exercice de style de la part d’un développeur en quête de nouveaux moyens d’expression ?
Après plusieurs projets mobiles dont l’excellent Terra Battle, le studio Mistwalker a adhéré au programme Apple Arcade du constructeur à la pomme pour laisser libre cours à sa créativité. Prenant la forme d’un J-RPG traditionnel, Fantasian est à n’en pas douter une des figures de proue du catalogue par abonnement d’Apple. Loin d’un gacha mobile opportuniste ou d’un portage sans ambition, le dernier jeu de Sakaguchi est une véritable aventure s’inscrivant dans la droite lignée des Final Fantasy pré-FFX. Décors « pré-calculés » sur lesquels nous reviendrons, combats au tour par tour, narration centrale, bande-son composée par Nobuo Uematsu… Fantasian sent bon le RPG Squaresoft de l’époque Playstation One. Ce classicisme est flagrant et impacte directement le scénario du titre.
Alors c'est l'histoire d'un héros amnésique...
Le joueur incarne donc Leo, un jeune homme amnésique se réveillant dans une mystérieuse cité mécanique hostile de laquelle il devra s’échapper. Une fois revenu en territoire humain, Leo fait la rencontre de Kina, une jeune fille aux origines inconnues capable de manier la magie. Trouvant l’un chez l’autre une épaule sur laquelle se reposer, ils décident de faire voyage ensemble pour trouver leur voie et tenter d’endiguer la propagation du « Mechteria », une infestation mécanique nocive pour l’homme. Le mot « classique » est un pléonasme pour décrire le pitch de Fantasian. Malgré tout, en conservant une échelle restreinte et en s’intéressant pleinement à ses personnages, il parvient à raconter une histoire prenante et intéressante. Le joueur découvre l’univers et les règles qui le composent aux côtés de héros attachants. Et si l’aventure finit par gagner en envergure au bout d’une dizaine d’heures de jeu, on apprécie que Fantasian prenne la peine d’aborder les origines de chacun de ses personnages clés. Dommage cependant que le budget relativement modeste du titre se fasse sentir lors de ces séquences narratives. De nombreux moments riches en émotion limitent leur mise en scène à un bloc de texte posé sur une illustration. Le tout est toutefois sauvé par la superbe bande-son qui les accompagne. On note également la propension du titre à aller droit au but. Jeu mobile (entre autres) oblige, le joueur ne doit pas être accaparé trop longtemps par des phases de dialogues. Sur ce point, pas de soucis, on ne se sent jamais submergé par de longs échanges textuels.
Si nous avons été pleinement engagés dans son scénario, nous ne pouvons malheureusement pas nous prononcer sur son dénouement ou toutes ses péripéties, car à l’heure actuelle seule la Partie 1 de l’aventure est disponible. Un second segment viendra donc se greffer dans le courant de l’année et cette dernière promet de gagner en ampleur et en profondeur de jeu. Nous prenons pour preuve que le joueur débloque un élément de gameplay extrêmement important dans la dernière heure de cette première partie. D’une vingtaine d’heures de jeu, ce premier segment ne laisse pas nécessairement un gout de trop peu, car il a de belles choses à proposer, autant narrativement qu’en termes de gameplay.
La magie du bout des doigts
Si sur le fond, Fantasian est un J-RPG très traditionnel, il apporte tout de même quelques idées de gameplay bien pensées et parfaitement adaptées à ses supports. Pouvant être lancé depuis un iPhone, un iPad ou un Mac, le dernier titre de Sakaguchi-san a donc été pensé pour offrir une expérience agréable sur toutes ces plateformes. En plus d’offrir un rythme soutenu et des points de sauvegarde omniprésents, il peut être entièrement parcouru à la souris, à la manette ou à l’écran tactile. Hormis quelques petits soucis de déplacements dus au pathfinding lors des déplacements en « Point & Click », le tout se fait sans encombre. En combat, on sent de suite que le tout a été pensé pour fonctionner sur téléphone et tablettes. L’interface est limpide et on cible aisément nos adversaires. Notons que le titre supporte le contrôle au pad et que les contrôles sont parfaitement adaptés à l'expérience. Certaines capacités peuvent être orientées et courbées pour traverser de multiples cibles. Ainsi en déplaçant le curseur, le joueur peut aligner de nombreux ennemis et s’en défaire en une fraction de seconde. Une idée jouissive et plaisante qui fonctionne à merveille avec l’autre mécanique de gameplay phare de Fantasian.
Très vite, Leo met la main sur une machine de « Dimengeon ». Cet artéfact dont le nom contracte les mots « Dimension » et « Donjon », permet d’expédier les monstres rencontrés aléatoirement dans une autre dimension. Une fois piégé, ces ennemis peuvent être affrontés par le joueur quand bon lui semble. Ce dernier décide donc lui-même du moment où il effectue ses phases de grind et peut explorer chaque zone à sa guise avant d’aller se défaire de tous les monstres rencontrés simultanément. En plaçant judicieusement ses sorts, il peut anéantir le groupe d’adversaires en quelques tours à peine. Pratique pour farmer en attendant le bus ! Notez que le joueur doit déjà avoir rencontré un ennemi au moins une fois avant de l'envoyer dans le Dimengeon. Pour le reste Fantasian fait dans le très classique avec un système de faiblesse élémentaire à exploiter intelligemment pour venir à bout des plus gros monstres. Côté progression, le tout n’atteint pas la profondeur des ténors du genre, mais offre un peu de customisation. Chaque héros a sa classe et son type d’armes. La mécanique introduite en fin de cette première partie laisse toutefois penser que de nouvelles options seront offertes au joueur dans la seconde. En dernier lieu, on note des combats de boss parfois plutôt retors qui forcent le joueur à user des bonnes tactiques pour être vaincus. Par exemple, lorsqu’un griffon voit ses attaques renforcées par ses compères, le groupe de héros doit orienter sa stratégie autour de la classe capable de provoquer ses ennemis. Ainsi, plutôt que buffer leur patron, ces sous-fifres attaqueront le héros ce qui affaiblira considérablement le boss. Chaque affrontement de gros ennemis repose sur cet aspect puzzle qui fonctionne très bien. Rien de bien neuf pour qui a déjà touché à un Final Fantasy, mais le tout est bien intégré à l’univers et les ennemis offrent suffisamment de résistance pour rendre ces affrontements tendus.
Un parti pris artistique radical
S’il est clair qu’il ne fera pas l’unanimité, le style visuel de Fantasian ne peut pas laisser indifférent. La presque intégralité des décors traversés par le joueur a été modelée à la main par les artistes de Mistwalker pour ensuite être photographiée sous toutes ses coutures et intégrée dans le moteur de jeu. Si la technique de la photogrammétrie n’est pas nouvelle, son utilisation couplée aux sublimes dioramas composés par les équipes de développement offre un cachet certain aux environnements du jeu. Visuellement, Fantasian est un jeu empreint de nostalgie, un sentiment également retransmit par les thématiques qu’il aborde. Ce rendu artistique imposant des plans de caméra zénithaux pratiquement fixe rappelle bien évidemment les environnements précalculés des épisodes VII, VIII et IX de la saga Final Fantasy. La technique photogrammétrique et le photoréalisme qui en découle sont finalement un aboutissement des décors précalculés de cette époque. Le joueur ayant grandi avec ces épisodes ne saura rester insensible à la vision des nombreux décors construits avec minutie.
Le tout n’est cependant pas exempt de défauts. On peut régulièrement constater que ces décors disposent d’une résolution plutôt faible créant un effet de flou marqué. Ainsi les personnages modélisés en 3D se détachent parfois fortement de l’arrière-plan, un peu à l’instar des remaster HD des épisodes de FF précédemment cités. Les effets de fumée ou de lumière dénotent avec l’environnement et il en résulte un aspect figé qui pourra déranger les plus tatillons. On remarque également des effets de profondeur de champ parfois mal gérés. Par exemple, lorsqu’un personnage traverse une zone normalement plongée dans le flou de l’objectif de la caméra, ce dernier reste parfaitement net et jure avec l’environnement. Sur téléphone, ce constat est cependant atténué de par la petitesse de l’écran. Il faudrait cependant faire preuve d’une insensibilité aigüe pour nier que Fantasian réussit son pari. Le jeu de Mistwalker ne ressemble à aucun autre et l’on a parfois l’impression d’évoluer dans un conte ou un rêve d’enfant. Que ce soit les métropoles civilisées ou les quartiers infestés par le Mechteria, chaque décor est singulier et brillamment construit, dans tous les sens du terme.
Les héros ne s’intègrent pas toujours au mieux à l’environnement mais on peut toutefois aisément attester de leur superbe design visuel. Créés par Takatoshi Goto, ayant déjà officié sur Terra Battle 1 & 2, ces personnages aux designs divers et variés trouvent toutefois une très belle cohérence et ne dénotent jamais les uns des autres. Et si l’apparence de Leo rappelle furieusement le travail de Akihiko Yoshida, l’artiste à l’origine des protagonistes de NieR Automata, Bravely Default, Vagrant Story et autres Final Fantasy Tactics, nous sommes loin de la copie carbone et le casting dispose de son identité propre. Que ce soit la princesse Cheryl ou l’ultra charismatique méchant Vam, chaque acteur de l’histoire marque par la vivacité de son design et l’originalité de ses traits. Bien entendu, l’ombre des héros archétypaux de J-RPG plane au-dessus de l’aventure et l’on retrouve évidemment le jeune homme taciturne, le vieux briscard, le triangle amoureux, etc. Un fond très classique pour une forme saisissante.
C’est le maître Nobuo Uematsu qui signe la bande originale de Fantasian. Fidèle à lui-même, l’illustre compositeur offre à ce RPG une partition fantastique. Plus que les compositions en elle-même, c’est bien la sélection hétéroclite d’instruments qui impressionne. Des instruments d’orchestre traditionnel, à l’accordéon, en passant par de nombreux synthétiseurs, la bande-son couvre un large spectre d’outils et d’ambiances. La dualité entre le monde des humains et des machines est ici très bien exploitée. Les bruits de robot et les synthétiseurs remplacent les cordes et les percussions. Mention spéciale au thème de la base secrète des robots, plein de bonhommie. Occasionnellement le fan de Final Fantasy se demandera si tel motif musical renvoie au VIIIe épisode ou si cette section de cordes est un rappel au IXe tant le tout ne dénoterait pas dans un de ces épisodes. On regrettera cependant une orchestration qui manque parfois d’envergure. Le manque de budget visible lors de certaines séquences narratives semble s’étendre aux compositions musicales qui auraient pu profiter de quelques rangées de cordes et de cuivre supplémentaires pour faire honneur aux superbes compositions d’Uematsu-san.
Points forts
- Un vrai J-RPG pensé de A à Z pour ses multiples supports
- Le Dimengeon, une des meilleurs idées amenées au genre
- Un Character-Design fantastique signé Takatoshi Goto
- Les combats, basés sur des sorts à diriger et à courber
- Une bande originale incroyable par Nobuo Uematsu
- Globalement très joli
- Un bel hommage aux FF époque PS One
- Les superbes dioramas offrent une identité indéniable…
Points faibles
- … Mais la technique montre ses limites (effet de flou, personnages pas pleinement intégrés aux environnements…)
- Une narration parfois trop sommaire (Blocs de texte accompagnés d’illustrations)
- Une orchestration qui aurait pu bénéficier de plus d’ampleur
- Japonais ou Anglais uniquement
- On attend la suite ! (Seconde partie prévue pour le courant de l’année)
Fantasian est un projet fascinant à plus d’un titre. Pour ce qui pourrait être son baroud d’honneur, Hironobu Sakaguchi renoue avec ses premiers amours et offre à ses fans sa vision d’un Final Fantasy à l’ancienne. Nostalgique, classique, mais pas dénuée d’idées intelligentes, cette première partie a tout d’un plaid chaud et réconfortant pour les afficionados de la saga de Square et de ses épisodes PS One. Ses systèmes de jeu solides sont au service d’une histoire prenante profitant d’un univers singulier et original. Les dioramas confèrent une identité marquée à Fantasian, malgré les limites parfois flagrantes de l'utilisation de la technique photogrammétrique. Si la deuxième partie prévue pour cette année est au moins à la hauteur de la première, cet hommage formel n’aura rien à envier à ses illustres prédécesseurs. En l’état, Fantasian est un excellent J-RPG que l’on ne saurait trop vous conseiller si vous êtes nostalgique des anciens épisodes de Final Fantasy.