Comme nous avons pu le voir dans notre dossier consacré aux coulisses d'Astérix, la bande dessinée franco-belge a été un véritable vivier d’inspirations pour l’éditeur Infogrames. Des Les Schtroumpfs à Tintin en passant par Spirou ou notre célèbre gaulois, la firme lyonnaise s’est taillée une solide réputation grâce à des œuvres – certes difficiles – mais très respectueuses des matériaux d’origine. De nos jours, il est intéressant de constater que Microids a repris le flambeau des jeux issus des planches de BD et l’arrivée de ce remaster des Tuniques Bleues est plus que jamais symbolique puisqu’il s’agit de la première adaptation de bande dessinée chez Infogrames. À l’époque, ce titre était une porte d’entrée dans le monde de la stratégie et l’adaptation NES (console plutôt orpheline de ce genre de cartouches) a été particulièrement remarquée. Plus de vingt ans après, que reste-t-il du fameux North & South ? Voilà notre dissection en « bon uniforme ».
Avant de nous immerger dans cet univers mêlant action et stratégie, un petit pitch culturel s’impose. Les Tuniques Bleues est une œuvre imaginée en 1968 par Louis Salvérius (dessinateur) et Raoul Cauvin (scénariste). En pleine Guerre de Sécession, le sergent Cornélius M. Chesterfield et le caporal Blutch font face à l’armée des confédérés et le ton humoristique employé permet de relater, avec plus de légèreté, ces évènements tragiques ayant façonnés l’Amérique d’aujourd’hui. Dans le mode principal, le joueur doit donc conquérir les territoires du Sud et vaincre les armées adverses. Et bien évidemment, toute une série de paramètres entre en compte.
Bleus contre rouges
En début de partie, un rapide tutorial explicatif détaille les bases du concept. L’action se déroule sur la carte des États-Unis et chaque soldat posté à l’écran matérialise une armée. Les Bleus représentent l’armée de l’Union tandis que les rouges symbolisent l’armée des confédérés. En déplaçant ses unités sur la carte, le joueur s’empare des États, un peu comme dans le jeu de société Risk. Dès qu’un camp rencontre l’autre camp, une phase d’action se met en place et le but est d’éliminer l’intégralité des unités ennemies. Mais bien évidemment, ça serait trop simple si les joutes se limitaient à ce principe. Sur la carte, plusieurs éléments permettent de se renforcer afin de prendre l’ascendant sur les opposants.
C’est bien connu, l’argent est le nerf de la guerre et le titre de Microids ne déroge pas à cette règle. Pour récupérer de l’or, qui permet d’accéder à la boutique et de se procurer différents effets ou des renforts, les armées doivent s’emparer de forts. Ces bâtiments assurent en effet le trafic ferroviaire d’un État à un autre et il est absolument indispensable de veiller aux déplacements de la locomotive (qui transporte le précieux métal), que vous soyez détenteur du fort ou non. Dans ce cas présent, le joueur peut décider de se positionner sur un État assurant la liaison ferroviaire pour attaquer le train et s’emparer du butin. En parallèle de cette progression, l’accès à la Caroline du Nord permet également d’obtenir du renfort par la mer.
Pour contrôler les mouvements ennemis, il est vital d’augmenter le nombre de ses armées pour ensuite décupler leur puissance. Cela passe par la fusion de ses unités (jusqu’à trois unités peuvent fusionner entre elles) mais aussi l'utilisation des bons effets au bon moment. Sur chaque carte, les Indiens et Mexicains surveillent les territoires en bordure et n’hésiteront pas à vous attaquer pour annihiler votre armée. Il faut donc veiller à ne s’approcher de la frontière qu’en dernier recours ou bien opter, en échange de bons gros sacs d’or, pour un sort qui empêche toute attaque extérieure. Parmi les autres particularités, on note quelques effets amusants comme le fait de bloquer l’orage qui se déplace d’État en État de façon aléatoire. Si votre personnage se fait surprendre par le nuage, il sera incapable de bouger lors du prochain tour. Au fil des parties, on s’aperçoit de la richesse cachée du jeu Les Tuniques Bleues. Et celui-ci est loin de livrer tous ses secrets immédiatement…
Entre stratégie, FPS et action
Lorsqu’une unité bleue rencontre une armée rouge (et vice-versa), un affrontement se déclenche. Celui prend alors la forme d’un mini-jeu en caméra aérienne, durant lequel le joueur doit coordonner les déplacements et offensives de ses escouades. Elles sont de différentes natures et demandent donc un certain temps d’adaptation. Les fantassins usent de leurs fusils en privilégiant le tir à distance, les canonniers sont lents mais disposent d’une grosse force de frappe tandis que les cavaliers sont assez fragiles mais ont cette capacité à agir vite et avec efficacité. Inutile de dire qu’il vous faudra plusieurs parties pour gérer tout ce petit monde simultanément. Ce n’est vraiment pas évident car il arrive très souvent qu’en privilégiant une approche, les autres unités subissent des pertes. C’est pourtant le prix à payer pour surprendre l’ennemi.
C’est ainsi que l’on conquiert, territoire après territoire, les États-Unis. Les combats font rage et les pertes dans chaque camp sont souvent nombreuses. Mais alors qu'on pense avoir tout vu, le jeu surprend avec des phases de FPS en vue à la première personne ! Eh oui, souvenez-vous, les forts et les locomotives font partie intégrante de la réussite de l’armée de l’Union. Ainsi, lorsqu’une unité bleue décide d’attaquer un train ou de braver une forteresse, la surprise est de taille ! Le jeu passe en vue subjective et le joueur doit se diriger dans un environnement entièrement en 3D, façon FPS classique, pour dégommer les ennemis. On peut tirer, donner un coup, sauter, courir, s’accroupir pour se planquer derrière les éléments du décor et il y a même de la vie à récupérer (en cas de blessure) ou des munitions lorsque le chargeur est vide. Disons-le tout de suite, on est à des années-lumière des standards actuels en termes de réalisation (graphismes, animations…) et d’intelligence artificielle. Que ce soit pour prendre ou défendre un fort ou une locomotive, la simple utilisation de la visée fait perdre un temps fou et toute efficacité, il est donc préférable de garder son fusil en tirant dans le tas (la hitbox est assez étendue donc ça aide). Ces phases ne sont pas une grande réussite – même si elles peuvent être amusantes au départ – mais demeurent bien plus fun dès qu’on y invite un ami. Car oui, Les Tuniques Bleues propose un mode 2 joueurs qui permet de participer à la campagne principale (avec ses quelques missions) mais aussi aux mini-jeux dans un mode libre. Et grâce à l’écran splitté, les phases de FPS peuvent s’avérer amusantes. De là à y passer toute une soirée... probablement pas.
On devine malheureusement trop rapidement les faiblesses du jeu. Outre la réalisation colorée mais dépassée, Les Tuniques Bleues souffre de divers problèmes. La difficulté est très mal dosée et l’ennemi peut rapidement prendre l’ascendant, il n’y a qu’une seule et unique carte et le contenu est d’une pauvreté abyssale. Bien évidemment, le remaster apporte un impact visuel par rapport à l’original mais il manque de vie (même le jeu sur NES avait de petites animations contextuelles avant une rixe) et tourne en rond très vite. On aurait pu aussi imaginer que les développeurs reprennent le côté plate-forme du titre 8-bits mais ils ont finalement opté pour l’approche shooter pour la conquête des forts et du trafic ferroviaire. Les intentions du studio de développement sont palpables mais on ne peut s'empêcher qu'avec un peu plus de moyens, le titre aurait pu être plus ambitieux.
Points forts
- Le mélange des genres
- Plus profond qu'escompté
- La présence d'un mode 2 joueurs
- Les phases d'action en accès libre
- Plutôt fidèle à l'original
Points faibles
- Contenu très pauvre
- Réalisation d'un autre temps
- Les phases de plate-forme ont disparu
- Manque de vie
- Aucun bonus (interviews, croquis...)
Les Tuniques Bleues : Nord & Sud part d’une bonne intention mais les problèmes sautent vite à la figure. En plus de se limiter à une seule carte, le jeu souffre d'une trop grande répétitivité et d'un manque criant de contenu. Si la présence d’un mode deux joueurs est appréciable, il aurait fallu plus de variété dans les séquences d’action et une réalisation globale plus solide. Par son côté multi-genre et son concept, le remaster dispose d'un capital sympathie évident mais se heurte trop rapidement aux attentes du moment.