Les jeux et films d’horreur se placent quasi-systématiquement du côté des personnages : on suit leur déambulation dans des couloirs obscurs et leurs sursauts au moindre bruit qui vient briser le silence. On ressent ainsi tout ce qu’ils pourraient ressentir. Mais Carrion, le nouvel indé estampillé Devolver, prend le parti inverse. On y incarne un monstre captif d’un complexe de recherche qui fera des pieds et des mains (ou plutôt des tentacules et des tentacules) pour s’en échapper. Et qui ravagera tout sur son passage, humains comme robots. Pour notre plus grand plaisir sadique.
Ce test a été réalisé sur la version PC de Carrion. Pour la version Switch et Xbox One du titre, nous n'avons constaté aucune différence notable. Le jeu est fluide sur tous les supports.
Comme dans la plupart des films d’horreur, le scénario de Carrion est simple comme bonjour. Vous incarnez une créature qui veut quitter le laboratoire dont elle est prisonnière. Point. Le titre est très expéditif côté scénario, laissant dès les premières secondes les mains libres au joueur. Pas une ligne de script viendra compter l’histoire de ce formidable monstre rouge, même si quelques flash-back à propos de son origine ponctuent l’aventure. Dans ces derniers, vous délaisserez votre enveloppe monstrueuse pour contrôler un humain, venu dans le complexe scientifique pour comprendre ce qu’il se trame. Des phases qui sont bienvenues pour casser la monotonie qui s’installe à de rares moments en jouant à Carrion. Mais qui se font absentes dans la dernière ligne droite du jeu, sans qu’on puisse vraiment s’expliquer pourquoi. Une absence qui n’est pas vraiment un défaut, tant le plaisir sadique qu’offre le titre est jouissif.
Plaisir monstrueux
Car oui, contrôler la créature est un plaisir coupable qui restera grisant et stimulant jusqu’à la fin de l’aventure (comptez environ six-sept heures pour en voir le bout). Et cela s’explique par plusieurs choses : tout d’abord la fluidité avec laquelle le monstre se déplace, utilisant ses petites tentacules pour s’accrocher aux parois des niveaux. Il sera ainsi très facile de foncer dans le tas à toute vitesse puis de changer de stratégie pour prendre les ennemis à revers, en empruntant l’un des très nombreux conduits du jeu. Ou alors d'attraper les adversaires par le haut voire en ouvrant délicatement une porte, afin d'embrasser pleinement les films comme The Thing auxquels le jeu rend très clairement hommage.
À noter toutefois que cette rapidité de déplacements sera impactée par la taille de la créature, qui gagnera en puissance et en poids à mesure que vous progresserez dans l’aventure. Le monstre peut varier entre trois niveaux d'envergure, dont la dernière forme devient plus compliquée à manoeuvrer. En fonction de votre niveau de vie, vous passerez ainsi d’un petit monstre à un énorme bus de chair composé d’une dizaine de bouches. Des allures qui feront aussi varier les pouvoirs que vous pourrez utiliser.
Combats tentaculaires
C’est aussi grâce à ces pouvoirs que la créature de Carrion est si plaisante à utiliser. En fonction des formes, elle pourra devenir invisible, lancer des membranes pour attraper ses adversaires, s’entourer d’un bouclier, s’habiller de pics acérés et faire d'autres trucs chouettes que nous ne détailleront pas pour préserver le plaisir de la découverte. Des techniques dont certaines sont soumises à l’utilisation d’une ressource, l’électricité, qu’il sera possible de récupérer assez régulièrement dans les niveaux. Le tout complété par un coup de base, sous la forme d’une tentacule qui peut agripper tout est n’importe quoi (aussi bien les adversaires que les bouches d’aération ou les leviers pour ouvrir une porte). Un coup qui peut d’ailleurs être orienté dans n’importe quelle direction, que ce soit à l’aide du stick droit de la manette ou de la souris en fonction de votre support. Donnant à Carrion des airs de “twin-stick monster”.
L'éventail de coups est varié, complet et offre au joueur une jolie gymnastique entre infiltration et bourrinage sans foi ni loi. Ainsi, en fonction de la forme du monstre, il sera beaucoup plus avisé de se cacher que de foncer dans le tas. Surtout que la mort peut parfois être assez punitive, vous ramenant au dernier checkpoint, souvent plusieurs salles en arrière. Face aux ennemis les plus féroces, il faudra donc bien réagir pour rester efficace malgré une forme moins propice au combat.
Carrion - Dix minutes de combats et d'exploration (Gameplay)
Les ennemis d’ailleurs, parlons-en : il y en a pas mal dans Carrion. Des ennemis armés d’un simple revolver aux combattants mieux équipés dont il faudra contourner le bouclier, en passant par les méchas qui demanderont d’être désossés pièce par pièce avant de tomber. Le tout étant accompagné de tourelles et de drones que le joueur devra projeter contre les murs pour en venir à bout. Sans oublier les scientifiques sans défense, seulement là pour satisfaire vos envies les plus sombres. En définitive, Carrion parvient à trouver un bel équilibre du côté des affrontements, sachant très régulièrement se renouveler pour ne pas lasser le joueur (mise à part peut-être pour son dernier segment).
Même si vous incarnez une créature puissante, vous n'êtes pas pour autant immortel. Dans Carrion, il est possible de regagner de la vie en mâchouillant les cadavres des humains, ce qui pourra aussi vous permettre de passer d'une forme à une autre - ce qui s'avère souvent utile pour poursuivre l'aventure, face à une énigme qui demande une compétence particulière par exemple. Autre solution pour se remettre en forme : retourner aux checkpoints, symbolisés pas de grandes bouches édentées, qu'il est possible de retrouver facilement en émettant un cri.
Progression qui colle à la peau
D’ailleurs, tous les pouvoirs que nous avons évoqués plus haut ne vous sont pas offerts dès le départ, et viennent s’ajouter au fur et à mesure de la progression du joueur. Des pouvoirs qu’il sera d’ailleurs possible d’améliorer en revenant sur vos pas avec de nouvelles compétences et dénicher de nouveaux chemins. Carrion emprunte ainsi au metroidvania, genre qui se retrouve d’ailleurs dans le level design du titre, labyrinthique au possible. Précisons au passage que le titre ne dispose pas de carte, mais que la construction des niveaux est suffisamment bien gérée pour ne pas avoir à tourner pendant dix minutes pour trouver la suite. Même si un système de guidage n’aurait pas été de trop pour éviter les doutes, comme cela nous est arrivé.
Le metroidvania a ici toute sa place : il permet de concrétiser le côté animal et désorienté de la créature. Mais la structure de Carrion n'est pas exempte de défauts, surtout dans la manière dont on débloque chaque zone. Pour ce faire, il faudra répandre la chair de la créature à des endroits précis pour ouvrir une porte. L’opération demandera au départ d’être répétée deux fois pour déverrouiller le passage, puis trois, quatre voire cinq fois. Un défaut qui jure un peu face à la lente évolution de la créature qui balise la progression de pas mal de surprises. Des (bonnes) surprises aussi incarnées par les énigmes du jeu, qui demanderont de jongler entre différentes formes (et donc différents pouvoirs) pour avancer. Jamais rien de bien compliqué au programme, mais le tout a l'avantage de faire varier les situations et de rendre le rythme du jeu encore meilleur.
Réal' animale
Finissons enfin par la réalisation du titre, qui embarque un pixel art très soigné. De ce côté-là, c’est un quasi-sans faute : la direction artistique est très réussie, et parvient à faire varier les ambiances (plutôt sous l’eau, dans un coin envahi par la jungle, à l'intérieur d'un bunker, etc). Ce qui n’était pas forcément gagné d’avance pour un jeu se déroulant dans un complexe scientifique. A noter aussi le très bon travail sur le son, que ce soit sur les cris de vos victimes ou celui des tentacules de la créature qui s’accrochent aux murs, donnant un côté grouillant et rebutant au monstre. Le seul petit bémol est à trouver du côté de la musique, qui restera la même du début à la fin. Mais qui fait quand même le job. Dans tous les cas, rien ne pourra vous enlever le plaisir de déchiqueter des ennemis par dizaines. Car c'est bien là la grande force de Carrion.
Carrion - Trailer
Points forts
- Le plaisir d'incarner une créature à la The Thing
- La physique et les animations du monstre
- Le système de pouvoir et d'envergure de la bête
- La manière dont le jeu se renouvelle souvent
- Graphiquement très soigné
- Le travail sur le son
Points faibles
- On est parfois un peu paumé
- Structure assez répétitive
- Le manque de lisibilité dans certains combats
Carrion est une expérience jouissive où le plaisir sadique est roi : attendre ses adversaires depuis un conduit d'aération pour les empogner subitement ou foncer dans le tas dessinera toujours un sourire sur votre visage, même après les six-sept heures qu'il faut pour boucler l'aventure. Surtout que le jeu n'est pas qu'un simple film d'horreur inversé bien réalisé. Le dernier titre estampillé Devolver sait se renouveler et baliser sa progression de surprises pour ne pas lasser le joueur. Plusieurs pouvoirs sont ainsi au programme pour faire varier les situations, imposées par de nouveaux ennemis qui arriveront progressivement. Pour encore plus rythmer l'ensemble, Carrion s'autorise quelques phases d'énigmes pas trop redondantes ni trop lourdes, ainsi que des flash-back sous forme humaine pour en apprendre plus sur l'origine de la créature. Oui, le jeu manque de lisibilité quand il y a trop d'ennemis. Oui, son level design perd parfois le joueur. Mais Carrion est un jeu abouti qui pousse le fait d'incarner un monstre à l'extrême. Et qui le fait très bien.