Depuis des décennies, l’Angleterre demeure une place forte de la créativité numérique. Certains des studios les plus emblématiques de l’histoire du jeu vidéo ont émergé sur la terre de nos amis anglais et il suffit de citer quelques noms, parmi Psygnosis, Rare ou encore les Bitmap Brothers, pour se remémorer des centaines de souvenirs. Née en 1990, Revolution Software – que l’on connaît avant tout pour la saga des Chevaliers de Baphomet – s’est spécialisé dans les jeux d’aventure avec des univers marqués, des personnages hauts en couleur et un humour typiquement british. Bien avant le « clown » de George Stobbart, le studio a exploré le Moyen-Âge avec Lure of the Temptress et le cyberpunk avec Beneath a Steel Sky. Satire de la société britannique de l’époque (une réponse à la « brutalité de Margaret Thatcher » selon ses auteurs), ce dernier se voit aujourd’hui affublé d’une suite qui a pour mission de sublimer le lore et les ficelles de l’original. Et on ne peut pas dire que Dave Gibbons (le dessinateur et co-créateur de Watchmen) et Charles Cecil ont pris les choses à la légère. Alors, plus de vingt-ans plus tard, la découverte d’Union City est-elle toujours aussi immersive ?
Il en aura fallu du temps pour que ce bon vieux Robert Foster reprenne du service. Depuis la fin du développement de Beneath a Steel Sky, Charles Cecil et Dave Gibbons s’étaient jurés de retravailler ensemble mais les aléas du temps ont rendu la chose impossible... jusqu'à aujourd'hui. Les gens n’ont jamais oublié les pérégrinations de l’orphelin et de son acolyte robotique Joey et nombreux sont ceux à avoir envoyé des missives aux deux concepteurs pour demander une suite. Lorsque l'opportunité s'est présentée, les intéressés n'ont pas hésité mais, pour cela, il a fallu faire des choix. Jadis, les graphismes étaient conçus sur Amiga – via le logiciel Deluxe Paint – et l'immersion passait par des décors en 32 couleurs. Désormais, l’intrigue se déroule en 3D, en temps réel et le joueur évolue avec une caméra à la troisième personne mais on y reviendra plus loin.
Tout commence lorsque Robert Foster, héros du premier jeu, accompagne Max et son fils Milo pour une partie de pêche. Le gamin se vante d’avoir bricolé des capteurs permettant de capturer les poissons avant qu’ils mordent. Soudainement, l’appareil émet une alarme et une gigantesque machine bipède émerge des profondeurs du lac pour s’emparer du garçon. Max étant mal en point, Robert Foster est le seul à pouvoir retrouver Milo pour le ramener à bon port. C’est ainsi que débute l’aventure, sous la forme d’une bande dessinée à la tonalité anglo-saxonne et aux sous-titres en français.
Retour à Union City
Après une rencontre fortuite dans le désert, Robert Foster arrive à cette ville qu’il a tant arpenté dans le passé : Union City. À l’image de son enseigne Welcome qui s’effondre, la mégalopole prône le bonheur et le progrès mais cache sa véritable nature derrière un Conseil constitué de cinq ministres. Aspiration, Bien-Être, Abondance, Confort et Sécurité sont les maîtres-mots de cette cité qui a bien changé depuis les derniers exploits de Robert et son pote Joey. Le robot est devenu une figure incontournable de la ville et chaque citoyen s’épanouit en obéissant aux règles imposées par les hautes instances gouvernementales. Pour extirper Milo de ce capharnaüm politique, Robert Foster va devoir tromper le système et cela passe par une série d’objets et de gadgets aussi loufoques qu’efficaces.
Comme dans le passé, l’intérêt de Beyond a Steel Sky , au-delà de son enveloppe, repose sur ses énigmes. Sans révéler l’intrigue, sachez que vous aurez à interagir avec votre environnement en utilisant, pêle-mêle, l’emblématique pied-de-biche, des saucisses puantes, des hologrammes ou encore du plastic explosif. Si l’ensemble est assez logique (genre, on balance un pétard pour faire dégager une bande de piafs), on aurait aimé que certains puzzles soient plus originaux. Le tout manque de folie, de côtés très drôles (même s’il y en a) comme on a pu le vivre dans Maniac Mansion , Monkey Island ou même des Chevaliers de Baphomet. Il est vrai que l’univers prête moins à sourire mais tout de même. Heureusement, le jeu se rattrape avec un outil omniprésent : le scanner !
Le parfait pirate
Assez tôt dans l’aventure, Robert Foster obtient un appareil qui lui permet de pirater tous les systèmes à proximité et une très grande partie des énigmes gravite autour de ce concept. Il suffit de sortir le MINOS Hacker pour tromper les machines, qu’elles soient douées d’intelligence artificielle ou non. Le joueur est ainsi amené à détourner la fonctionnalité des appareils qui l’entourent pour atteindre chacun de ses objectifs. Là où ça devient très intéressant, c’est dans l’utilisation des androïdes qui pullulent à Union City. En effet, la transition des informations s’effectue en coordonnant les nombreux postes holographiques de la ville aux déplacements des androïdes qui sont omniprésents. Les situations qui font appel au scanner sont très nombreuses et cet outil est tout simplement indispensable à la bonne tenue de la mission de Foster. Rien de tel que la diffusion d’un message d’alerte – à la place d’un feu d’artifice artificiel – pour mettre une bonne pagaille ! Oui, les expérimentations avec le scanner sont vraiment l’un des points forts de ce nouvel épisode.
Bien évidemment, en tant que suite directe de Beneath a Steel Sky, le jeu de Revolution Software remet au goût du jour le duo Foster/Joey pour quelques séquences cocasses. Comme dans l’original, le robot prendra la forme de plusieurs androïdes – dont un aspirateur vêtu d’un bonnet. Cette relation apporte beaucoup à l’intrigue et donne l'impression d’avoir deux « ancêtres » perdus dans un monde ultra-moderne. L’aspect satirique de la trame allié à une écriture incisive donne beaucoup de charme à cette équipe robo-organique. Les personnages que l’on rencontre participent également à cette cacophonie ambiante et à la découverte d’une ville aux contours décidément particuliers.
Immersion urbaine
Imaginée par Dave Gibbons, Union City est un personnage à part entière. Elle est dépeinte comme une cité ultra-moderne, très colorée, où se côtoient les humains et les androïdes. L’omniprésence de l’IA, sous forme holographique ou physique, appuie cette notion d’omnipotence robotique. Pour se déplacer, les habitants utilisent des capsules et ce sont ces engins que le joueur exploite pour passer de l’une à l’autre des zones. Il suffit d’entrer dans le pod, de demander sa destination et le véhicule démarre pour vous transporter au lieu souhaité (avec son « chargement en cours » qui va bien). Bien évidemment, pour atteindre certaines localités, il vous faudra ruser pour obtenir des passes spéciales et détourner les regards de vos actions rebelles. Les environnements, dans l’ensemble, sont assez variés mais on note tout de même que certaines places sont moins vastes et inspirées. On sent que Charles Cecil et son équipe ont essayé d’apporter de la vie mais ça manque bien souvent d’animations en arrière-plan. Il en va de même pour la mise en scène qui est, il faut bien le dire, plutôt plate. Mais l’univers, les personnages et le scénario font qu’on accroche. On veut savoir ce qui est arrivé à Milo et ce qui se trame derrière les murs de cette citadelle imprenable. En ce qui concerne l'aspect technique, la 3D est réussie et nous n’avons eu aucun problème pour contrôler le personnage et le faire interagir (malgré un côté pataud évident). L’utilisation de la caméra à l’épaule et l’exploitation d’un monde semi-ouvert font qu’on prend vite ses marques. La modélisation est correcte, les décors sont détaillés et le cel-shading donne de la profondeur à chaque scène. Il faut aussi souligner la qualité de certains effets (explosions) et de la gestion des lumières. Mais il est évident que Beyond a Steel Sky a souffert d'un budget limité et peut sembler, par de nombreux aspects, dépassé. Est-ce rédhibitoire pour autant ? Pas le moins du monde. En revanche, pour le peaufinage...
Foire aux bugs ?
La première prise de contact avec le jeu avait fait ressortir plusieurs bugs et on craignait que certains subsistent dans la version finale. Pas de chance, c’est bien le cas. Plusieurs joueurs ont ainsi fait état d’un bug se déroulant à la toute fin de l’aventure et qui empêche l’utilisateur d’arriver au bout. Il faut alors relancer une ancienne sauvegarde quand il ne faut pas carrément réinstaller le jeu. Pour notre part, nous n’avons pas eu ces problèmes mais nous avons eu un script qui ne se déclenchait pas, des boites de dialogue qui disparaissaient soudainement (après avoir mis le jeu en pause), des personnages qui se coinçaient dans le décor ou encore des textes qui restaient en anglais. Un petit patch ne ferait pas de mal mais le jeu, dans sa globalité, est quand même plus stable que la bêta que nous avions pu toucher il y a quelques semaines. Beyond a Steel Sky est une aventure honorable, plutôt respectueuse de l’original et qui offre huit/dix heures prenantes. Et il est même possible, pour les novices, d’accéder à des astuces via le menu. Toutes les trente secondes, à raison de quelques indices par énigme, une astuce apparaît pour vous guider. C'est fûté et ça évite de (trop) tourner en rond.
Points forts
- L'idée du scanner...
- Union City aussi belle que dangereuse
- L'atmosphère très 80/90
- Musiques réussies
- Les personnages et situations
- L'intrigue est un miroir du monde actuel
- Graphismes agréables
Points faibles
- ... bien qu'un peu trop omniprésente
- Quelques bugs persistants
- Assez court en ligne droite
- Certains actes moins inspirés
- Le manque d'expressions des personnages
Sous son enveloppe de jeu d'aventure à l'ancienne, Beyond a Steel Sky allie tradition et modernité en instaurant des idées très intéressantes. Union City paraît réelle et on sent que le duo Dave Gibbons/Charles Cecil a pris sa mission de restauration au sérieux. En optant pour un monde semi-ouvert et un gameplay en 3D, Revolution Software a fait le bon choix et permet aux anciens comme aux nouveaux joueurs de découvrir les péripéties de Robert Foster. Qu’il s’agisse de la réalisation, de l’écriture piquante et drôle ou des diverses situations, l’œuvre du studio britannique respecte ses origines et mérite que l’on s’y plonge. Un peu de folie dans les situations n’aurait pas été de trop mais l’esprit ’90 qui sommeille dans Beyond a Steel Sky devrait vous ramener quelques années en arrière tout en vous faisant profiter d’une approche contemporaine. Quelques correctifs ne seront toutefois pas de trop pour apprécier pleinement cette épopée dystopique riche en enseignements.