Dévoilé pour la première fois en 2013 via une démo technique avant d’être annoncé officiellement à l’E3 2015, Dreams a pour ambition de “rendre la création de jeux aussi accessible et plaisante que d’utiliser une caméra, une guitare, ou un stylo”. C’est en tout cas le doux rêve de la société Media Molecule, laquelle connaît bien son affaire quand il s’agit de rendre la conception de jeux accessible. La dernière fois que nous nous sommes plongés dans le programme imaginé par le studio britannique, nous étions autant emballés par ses possibilités qu’impressionnés par sa raide courbe d’apprentissage. Après une longue période d’accès anticipé, la version finale est enfin là. Il est temps de vérifier si le jeu de création ultime ne se prend pas trop les pieds dans ses nombreux câbles.
L’art, le travail, la technique
Disponible depuis le mois d’avril 2019, l’Early Access de Dreams n’a attiré qu’une centaine de milliers de curieux. Avec son concept relativement flou plaçant la création au centre de son expérience, le titre de Media Molecule n’a jusqu’à présent pas attiré les foules. Les fins observateurs pourraient le comparer à une sorte de Project Spark où chaque élément destiné à la création aurait drastiquement évolué. Les outils mis en place encouragent l’invention de personnages, d’animations, de sculptures, de musiques… afin de les intégrer dans de véritables niveaux de jeux vidéo. Un simple détour par la rubrique dédiée aux jeux conçus par la communauté suffit à faire comprendre l’astronomique potentiel émanant du logiciel.
Dreams peut être joué à la DualShock 4 (avec ou sans détection de mouvements) et aux PS Move. Dans tous les cas, les contrôles demandent un certain temps d’adaptation, et disposent chacun d'avantages et d'inconvénients.
Oui, Dreams est incroyable dans ce qu’il permet de produire. Il va plus loin que n’importe quel Project Spark ou LittleBigPlanet . Il propose aux artistes les plus ingénieux de concrétiser leurs idées par l’intermédiaire de dizaines de gadgets capables de transformer presque n’importe quel songe en jeu vidéo, image, musique, ou film d’animation. Dreams est un rêve pour le créateur touche-à-tout motivé, qui peut se transformer en cauchemar pour celui qui n’a pas la tête solidement attachée à ses épaules. Elle est là, toute l’ambivalence du concept : l’utilisateur est invité à laisser virevolter son imagination à des niveaux rarement atteints, mais il doit également adhérer à l’inextricable logique mathématique du scripting.
Une logique exigeante qui peut faire péter des câbles
Le nerf de la guerre, c’est la logique, ou plutôt la Game Logic. Les tutoriels d’introduction, revus, corrigés et complétés par rapport à ceux de l’early access, s’avèrent indispensables à un démarrage en douceur dans le royaume de la création. Pour faire simple, dans Dreams, le scripting se fait en reliant différentes boîtes entre elles par l’intermédiaire de câbles. Si nous voulons que notre personnage saute lorsque nous appuyons sur “triangle”, alors nous devons placer une boîte d’entrée “Capteur de manette” (qui permet d’analyser les touches de la DualShock 4), puis de relier via un câble la touche “triangle” et le fait de faire sauter l’avatar présent dans la scène. Les gadgets disponibles regorgent d’éléments indispensables au scripting d'une œuvre, à l’image des micropuces, des fonctions, des compteurs et autres générateurs (d’aléas, de signaux). Bien entendu, la logique se complique dès que nous entrons plus profondément dans les mécaniques qui régissent les univers virtuels. Avec beaucoup de temps et après beaucoup d’essais infructueux, vous commencerez peut-être à lire entre les lignes de la matrice.
Dreams autorise le 60 images par seconde si le soft détecte qu’il est possible de le faire, c’est-à-dire si l’univers n’est pas trop chargé. Nous avons également vu des scènes tellement remplies d’effets qu’elles faisaient chuter le framerate sous la barre des 30 images par seconde.
Contrairement à ce que Media Molecule peut laisser sous-entendre avec ses messages rassurants, la progression se fait à la dure. Pour développer un jeu qui tient un minimum la route, il est nécessaire de faire de nombreuses recherches sur Internet, mais aussi de poser des questions sur les forums, ou encore d'ouvrir des niveaux déjà publiés. Contrairement à Project Spark néanmoins, les auteurs ont le pouvoir d’empêcher les curieux de parcourir leurs jeux. Nous regrettons ce parti-pris qui, certes, rassure les créateurs ne voulant pas voir leurs secrets dévoilés, mais empêche surtout un apprentissage plus collaboratif. Malgré le fait que le système général à base de câbles à connecter soit très visuel, sans un fort investissement personnel, le bidouilleur risque de passer à côté des nombreuses forces du programme. Quoi qu’il en soit, le moteur conçu par Media Molecule est suffisamment flexible pour autoriser bien des facéties artistiques. L’outil qui sert à créer des animations, entre autres, est aussi complexe qu’étonnant, puisqu’il donne la possibilité de changer tout un tas de propriétés liées aux objets par l’intermédiaire d’une simple timeline.
Si vous voulez confectionner des jeux pour vous faire de l’argent et les distribuer, il est temps de vous mettre aux moteurs professionnels. Dreams se contente d’être un formidable outil tout-en-un qui ne demande aucun plugin en plus d’être tourné vers l’expérience utilisateur.
L’apogée du “fais-le toi-même”
Dreams survole les autres softs de création de jeux en faisant briller sa philosophie jusqu’au-boutiste exceptionnelle. En effet, le titre du studio britannique donne accès à une véritable suite d’outils octroyant la faculté de créer aussi bien des personnages que des musiques. Il vous manque un objet impossible à trouver dans les librairies fournies par Media Molecule et par les autres joueurs ? Pourquoi ne pas tout simplement le concevoir de A à Z ? L’outil de sculpture dispose de tout ce qui est nécessaire à l’élaboration d’éléments graphiques. Il repose en fait sur un système d’addition de formes, de fusion et de soustraction. En activant les repères et les options de miroir, il devient plutôt aisé d’expérimenter des formes complexes avec un minimum d’efforts. Imaginer les assets et trouver un moyen de les façonner demeure un exercice délicat qui demande un certain temps d’adaptation, mais c’est le prix à payer pour jouir d’une liberté totale de création. Dans le même ordre d’idée, les outils liés à l’animation (par images clés) donnent la possibilité de créer n’importe quel mouvement, que ce soit pour un personnage ou un objet. Les effets spéciaux ne sont pas oubliés grâce aux pinceaux capables de dessiner des explosions, des nuages de particules ou encore des cascades d’eau. Même l’ambiance sonore est totalement personnalisable par l’intermédiaire d’une timeline musicale donnant accès à une multitude d’instruments avec lesquels il est possible de composer ses propres mélodies. Si vous vous posez la question, oui, le micro est utilisable pour enregistrer sa propre voix.
La possibilité de développer avec et pour le PSVR n’est pas encore intégré à Dreams. Cependant, les développeurs assurent que cette option arrivera “bientôt”.
Cette ôde à l’aspect “do it yourself” n’entre pas forcément en conflit avec la possibilité de prototyper rapidement des œuvres numériques, puisque des librairies graphiques comme sonores (développées par Media Molecule ou par la communauté) sont accessibles à tout moment. Parfois, se servir d’un modèle existant pour le modifier apporte des résultats tout aussi convaincants que de créer un élément à partir de zéro. Avec Dreams, chaque joueur/créateur trouve son domaine de prédilection et celui qui le repousse. Mais pour concevoir une œuvre entière, il faut toucher à tout, se servir des librairies existantes ou trouver des camarades avec lesquels coopérer via le partage privé. Dreams, c’est aussi connaître les joies du crunch à domicile sans avoir l’épaule d’un Schreier sur laquelle pleurnicher. Il est également nécessaire de faire avec les quelques limites du logiciel qui, certes, sont peu nombreuses, mais sont bien là. Il n’est par exemple pas possible (pour le moment) de faire un jeu en écran partagé en utilisant un gadget prévu à cet effet, ou de fabriquer un soft pensé pour être joué en ligne simultanément avec d’autres utilisateurs. Le compteur de mémoire (gameplay, graphisme, audio), quant à lui, montre assez rapidement. Il est donc primordial de trouver des façons de contourner cette limite (en clonant des objets plutôt que d'en placer de nouveaux). Dans tous les cas, le "Dreamer" a la faculté d’ajouter plusieurs niveaux à son jeu (séparés par des écrans de chargement) afin de faire retomber les compteurs à zéro.
Jouer, c’est gagner ?
Les “Dreamers” qui ne veulent pas créer mais juste s’amuser (ou trouver un peu d’inspiration) s’adonneront aux joies du “Voyage Onirique”. Cette rubrique expose toutes les œuvres conçues sous Dreams, qu’elles soient développées par Media Molecule ou par la communauté. Les filtres mettent en avant les créations les plus impressionnantes sélectionnées par l’équipe. Pour percer et se faire connaître, il est presque obligatoire d’avoir le coup de pouce du studio afin d’avoir sa création en tête de liste. Les essais de la communauté se contentent généralement d’être des expériences assez courtes. Nous pensons qu’il n’y a aucun problème avec cela : il faut accepter que le programme propose des bulles de gameplay que l’on butine à l'envi. Pour ce lancement officiel, les créations de la communauté sont déjà étonnantes. Tous les styles ont des représentants de choc, que ce soit le FPS, la course futuriste, le jeu d’aventure ou encore le puzzle-game. Il n'est pas rare de tomber sur des propositions à la fois drôles et originales en parcourant les œuvres populaires. Le titre le plus impressionnant est évidemment conçu par Media Molecule. Intitulé “Le Rêve d’Art”, il fait défiler différents types de gameplay au sein d’un univers charmant aux styles graphiques variés. Cette proposition, aussi courte qu'impressionnante, montre ce qu’il est possible de faire sous Dreams quand les bons outils sont placés entre de bonnes mains.
Il est possible de s’amuser aux expériences des autres joueurs sans devoir être membre PlayStation Plus.
Les premières minutes du mode solo conçu par Media Molecule
Points forts
- Une puissante suite d’outils pensés pour la création (de musiques, d'animations, de personnages, de scripts, de niveaux, etc.)
- Des possibilités quasiment infinies
- De nombreux tutoriels et textes explicatifs
- Le mode solo montre un bel aperçu des possibilités
Points faibles
- Demande énormément d’implication personnelle pour comprendre les outils et la logique
- Les créations verrouillées empêchent un réel apprentissage collaboratif
Avec Dreams, la créativité atteint des sommets prodigieux. Non, le tout-venant ne réussira pas à créer sa pépite indé sans passer des heures de recherche et de production, mais la philosophie jusqu’au-boutiste du programme ne peut être que félicitée. Media Molecule livre le jeu de création de jeux ultime, quand bien même il nécessiterait un investissement personnel dépassant l’entendement. Il est juste regrettable que l’exploration des projets produits par d’autres auteurs soit régulièrement bloquée : nous n'aurions pas été contre un véritable cercle vertueux entre créateurs. Avec la promesse de Sony d’un soutien sur plusieurs années et le support de la VR à venir, Dreams a toutes les clés en main pour s’imposer durablement chez les artistes motivés. De quoi rester sur un petit nuage.