Après deux épisodes sortis au premier semestre, personne n'aurait parié sur un nouvel Atelier dès l'automne. En pourtant, les stakhanovistes de Gust rendent leur copie en temps et en heure, initiative déjà couronnée de succès au Japon. Galvanisé par l'écho produit par le nouvel illustrateur Toridamono, le développeur se risque à de nombreuses innovations pour renouveler l'expérience de jeu.
Test réalisé à partir d'une version japonaise, sur une partie complétée de 54h de jeu.
L'île de la tentation
Le prologue de Atelier Ryza : Ever Darkness & the Secret Hideout nous plonge dans un univers bucolique. Ryza, Tao et Lent sont trois adolescents qui ne rêvent que d'une chose : fuir leur quotidien ennuyeux et partir à l'aventure, par-delà le lac qui les séparent du continent. Tous trois vivent en effet sur l'île de Kûken, une communauté renfermée sur elle-même qui craint le monde extérieur. Un jour qu'ils quittent l'île en cachette, ils ne tardent pas à tomber dans des embrouilles mais seront sauvés par un alchimiste errant du nom de Empel. Voyant là une voie vers de nouveaux horizons, Ryza décide d'apprendre l'alchimie auprès d'Empel.
Si les plus assidus y auront déjà vu des similitudes avec Atelier Firis : The Alchemist and the Mysterious Journey, la comparaison s'arrête là. Quand Atelier Firis laissait tomber la trame scénaristique dès le début pour laisser libre cours à l'exploration en monde ouvert, Atelier Ryza s'accroche désespérement à son pseudo-drame insulaire dans un prologue très, voire beaucoup trop long. Il y en a en effet facilement pour 15-20 heures à assister aux querelles familiales, juvéniles des uns et des autres, dans un ensemble difficilement passionnant qui donne l'impression d'assister à un mauvais drama japonais... En outre, une grande quantité des dialogues ne sont pas doublés. Le joueur est alors dans le même état d'esprit que Ryza : il a vraiment envie d'aller voir ailleurs.
Fort heureusement, le niveau de la narration s'élève dans la deuxième partie, où des sujets comme les errements de l'alchimie sont évoqués, un peu à la manière de Atelier Ayesha. Sans pour autant surprendre, l'histoire prend une dimension plus sérieuse et on sent une connotation philosophique, écologique aussi. C'est aussi le moment où Empel et Lyla rejoignent l'équipe, nous sauvant de Tao et Lent qui, c'est le moins qu'on puisse dire, ne sont pas les plus réussis en termes de charisme... Le jeu se limite à six personnages, et du côté masculin on a vraiment personne de la carrure d'un Sterk de la quadrilogie Rorona, de Keithgriff de Atelier Shallie ou même Alt de Atelier Lydie & Suelle. Les autres regrets se situent sur l'humour, qui a complèment disparu. Il y a certes ce parti pris de la gravité des évènements, mais le comique de situation a toujours été un des plaisirs de la série. Autre tradition qui prend du plomb dans l'aile : il n'y a aucune fin alternative, et les illustrations sont étonnament rares quand on sait combien Toridamono est apprécié. Bref, il n'y a pas de miracle : le jeu arrive six mois après le précédent, et il est moins riche qu'auparavant.
Recettes en ligne
Mais là où Atelier Ryza reste riche, c'est dans son gameplay. Le système d'alchimie ne subit pas la petite inflexion habituelle mais innove totalement. Les ingrédients doivent être introduits sur un espèce de parcours constitué de cases, sachant que chaque objet à fabriquer a son propre parcours plus ou moins étendu. Chaque case a besoin d'un ingrédient (précis ou générique) pour être validée. Si deux ou trois cases remplies suffisent généralement à créer l'objet voulu, plus l'on remplit de cases, plus l'objet sera puissant et de bonne qualité. Chaque case à des effets, qui peuvent améliorer la qualité de la création, changer sa typologie, augmenter les statistiques du porteur, octroyer une capacité spéciale... les ramifications sont très vastes car il y a énormément d'objets différents (plus de 100) qui demandent tous une optimisation particulière et minutieuse.
Les parcours renferment aussi d'autres recettes, qui s'obtiennent majoritairement comme ça même si certaines sont encore dans des livres qu'il faut trouver en ville. Il faudra donc placer un ingrédient spécial dans les cases "recettes" disséminées ici et là. Il y a donc une véritable exploration à l'intérieur même du système pour progresser dans la conception alchimique et c'est tout à fait captivant.
Atelier Ryza introduit deux systèmes miraculeux qui sont les gammes et le Item Rebuild. Tout objet peut être consommé pour produire une certaine quantités de gemmes, qui sont ensuite utilisées pour améliorer les objets ou équipement déjà construits. C'est là que l'innovation est remarquable : le joueur peut reprendre la fabrication d'un objet pourtant terminé pour le rendre absolument parfait! Il reprend le "parcours" et remplit les cases qu'il n'avait pas pu finir au moment de la synthèse initiale, moyennant des gemmes. Les gemmes permettent d'évacuer tout les objets en trop qui encombrent la réserve, la boucle est bouclée.
Cela a un énorme impact sur le gestion de l'équipement, puisque l'Item Rebuild peut passer le niveau d'une armure ou d'un accessoire par exemple d'un niveau de base 30 à 40 ou 50. On fera encore une fois la chasse aux capacités passives les plus puissantes, comme jiyu na tamashii qui augmente les soins et l'esquive, pour les conférer à l'équipement que l'on crée : à chaque fois que l'on place un ingrédient sur une case, l'objet produit peut "hériter" des capacités qu'elle comporte. Celles-ci sont toujours à extraire des ingrédients disséminés à trouver le monde de Atelier Ryza et le système d'Item Rebuild permet de facilement remplacer une capacité par une autre plus puissante sans reprendre la recette depuis le début. A noter que les capacités sont maintenant classées en fonction de leur rareté, une information bien précieuse pour l'optimisation. Le gain de temps est phénoménal et la confection d'armes ou de potions est plus poussée : le système donne vraiment les clés pour se faire une panoplie surpuissante réunissant les meilleures capacités disponibles.
L'Item Rebuild est d'autant plus important que certains skills passifs fonctionnent maintenant par niveau. HP++ par exemple peut aller jusqu'au niveau 99 pour maximiser les PV. Par exemple, si une armure a déjà HP++ nv 10 et qu'elle est retravaillée avec un ingrédient qui contient HP++ nv 6, elle ressort à HP++ nv 16. Ceci est vrai pour toutes les stats et en se servant de la complexité des innombrables recettes, on peut obtenir le niveau maximal en un rien de temps et être très compétitif dans les combats ardus.
Teamfight Tactics
Du côté des combats, Atelier Ryza réalise les plus gros changements depuis que la série existe en Europe. Premièrement, ce n'est plus un tour par tour classique mais un déroulement en semi temps-réel : le temps ne s'arrête pas au moment de choisir une action. Par cela, le joueur ne contrôle qu'un seul personnage à la fois, les deux autres étant gérés par l'IA. On peut toutefois promptement changer de leader avec L1 et R1, ce qui est extrêmement bienvenu. Le menu de combat comporte les commandes objets, skills et attaque. Contre toute attente, "attaque" est la plus importante car celle-ci inflige des combos proportionnels au niveau dit de Tactics. Plus celui-ci est elevé, plus le combo sur rond augmente et inflige des dégâts, et plus le nombre maximal d'''Action Points (AP) augmente. AP qui eux-mêmes servent à déclencher les skills offensifs, donc il est nécessaire d'en avoir un stock. L'indice de Tactics'' progresse simplement en attaquant.
Le joueur doit donc subtilement gérer sa stratégie en dosant ses AP puisque le niveau de Tactics s'incrémente manuellement quand le nombre d'AP atteint son plafond, mais les réinitialise totalement. Par exemple, il y a 20 AP disponibles en Tactics 2. Mais en passant en Tactics 3, on perd les 20 en échange de meilleurs combos et d'une nouvelle limite à 30. Il faut alors attaquer pour reconstituer son stock d'AP. Atteindre un niveau de Tactics élevé est avantageux mais le timing est crucial afin de ne pas manquer d'AP quand il y en a besoin. Les alliés vous donneront en effet régulièrement des instructions comme utiliser un objet, une attaque de glace, les soigner, etc. Et à chaque fois que leurs demandent son satisfaites, ils lanceront une attaque supplémentaire assez puissante.
Dans Atelier Ryza, les personnages sont à répartir entre différents rôles, qui sont attaquant, défenseur et support. L'effet en combat est comme leur nom l'indique : le défenseur absorbe les dégâts, l'attaquant les inflige et le support fait office de pivot avec sa vitesse élevée. Ce dernier est d'ailleurs judicieusement placé à l'arrière et évite la plupart des dégâts. La répartition des rôles est donc une richesse de plus du système de combat, qui n'a une fois de plus rien à envier à l'alchimie en termes de profondeur. Le niveau de rôle dépend des recettes des armes, armures et accessoires : au début, les membres de l'équipe ont un niveau de rôle un ou deux, mais avec beaucoup d'équipement perfectionné, ils peuvent devenir High Attacker, High Defender ou High Supporter.
Presque systématiquement durant les combats, les ennemis vont charger une attaque puissante capable d'amocher gravement votre équipe. R2 permet à ce moment-là d'utiliser une capacité offensive via le Quick Action, après quoi les alliés lanceront des techniques encore plus puissantes en soutien pour interrompre l'adversaire. Cela coûte très cher en AP et c'est pour ça que la planification du Tactics est primordiale. Tout va très vite et il faut prendre en une fraction de seconde des décisions pour lesquelles on avait auparavant tout le temps de réfléchir ! Quel objet utiliser ? Où est la faiblesse du boss ? Qui dois-je soigner en premier ? etc. C'est un formidable gain en matière de dynamisme et les combats en sont d'autant plus excitants sans pour autant renier l'aspect stratégique. Autre nouveauté, la caméra est plus dynamique et suit davantage le rythme de l'action avec du zoom, ce qui ajoute au côté vivant.
Le dernier aspect important est le monde de Atelier Ryza. Le petit dernier de Gust tente d'émuler Atelier Firis sans l'égaler complètement. La carte est plus vaste que celle des deux précédents mais n'est en rien comparable avec la richesse de l'univers de Firis. Et surtout, le monde de Ryza n'est pas "ouvert", les zones s'explorant dans un ordre prédéfini. Si on tente de prendre un chemin différent pour aller voir ailleurs, Ryza rappelle poliment que "ce n'est pas par là". Le point d'intérêt réside dans l'approvisionnement des ingrédients qui est géré différement, car il y a maintenant plusieurs outils qui rapportent des types d'objets différents sur un même point de collecte : entre autres, le marteau permet d'extraire de la sève, la serpe de petites plantes et la hache le minerai (les haches coupent les rochers, sachez-le). Ces ustensiles, comme presque tout dans Atelier, doivent être fabriqués entièrement et leur efficacité varie grandement en fonction de la synthèse alchimique. Comme toujours, le jeu pousse à avoir la meilleure gestion possible pour remporter la victoire.
L'exploration ne s'entend alors que par les découvertes du paysage, qui sont autant de lieux remarquables à ajouter à sa collection. De jolis à passables, les environnements de ce dernier opus sont assez quelconques en terme de contenu, abritant des monstres toujours peu variés et quasiment pas de contenu annexe. L'histoire se fait en ligne droite sans beaucoup de surprises, et ne comporte que trois boss majeurs (en comptant le boss de fin, c'est dire si c'est peu...). Graphiquement, Atelier Ryza affiche des textures d'une qualité bien supérieure à il y a deux ou trois ans, confirmant ainsi la progression technique de la série. Cela se ressent bien dans pas mal d'aspects (villes, végétation, etc) mais la modélisation sommaire de certains personnages comme Klaudia laisse penser que le titre n'a pas été totalement optimisé pour la PlayStation 4. Les combats sont véritablement transformés par les améliorations successives au point qu'on est là dans du grand spectacle digne des plus grandes séries de JRPG.
Points forts
- Système de combat renouvelé, plus dynamique
- Alchimie toujours plus précise et pratique
- L'Item Rebuild, une innovation majeure
- Solides progrès visuels
- Design absolument charmant
Points faibles
- Prologue aussi interminable que consternant
- Progression linéaire
- Exploration limitée, régions plutôt vides
- Peu d'illustrations, quasiment pas d'évènements liés aux personnages
- Une seule fin
Arrivant beaucoup plus tôt qu'escompté mais avec des innovations décisives, Atelier Ryza aurait pu rejoindre les sommets de la série si Gust avait fourni un peu plus d'effort sur l'histoire, les personnages et le lore en général. L'alchimie offre des heures de réflexion dans un système très bien calibré, les combats prennent une dimension plus énergique, les progrès techniques sautent aux yeux mais le contenu fait défaut. Le scénario poussif a des longueurs insupportables et l'aventure en elle-même, linéaire qui plus est, manque singulièrement de richesse. Avec quelques mois de développement de plus, on aurait sûrement eu plus de surprises et de satisfaction.