Faisant partie des dernières grosses productions à destination (unique) de la PS4, Days Gone semble s'enfermer de lui-même dans un genre peinant quelque peu à se renouveler (l'open world) à travers un univers vu et revu, l’apocalypse zombie. Bien que troquant les morts-vivants par des mutants, le titre de Bend Studio affiche une construction très classique dans un univers a priori sans surprises. Pourtant, à travers son gameplay et quelques excellentes idées, cette nouvelle production Sony réussit à nous retenir contre vent et marée et ce malgré un scénario poussif et une technique défaillante. Mais commençons par le commencement...
En 1954, Richard Matheson écrivait le formidable roman I Am Legend qui donnera lieu à trois adaptations cinématographiques dont la dernière en 2007 avec Will Smith. 65 ans plus tard, Days Gone reprend plusieurs idées de ce roman, notamment à travers ses créatures évoquant les zombies mais restant plus jamais assimilées à des animaux dans leurs comportements. Ces derniers évoluent ainsi en meutes pour donner naissance à de gigantesques hordes de plusieurs centaines d'individus, renvoyant également, sur le principe, aux macchabées de The Walking Dead. Alors que le récent World War Z a usé de cette capacité à afficher simultanément plusieurs centaines d'individus à l'écran, afin de dynamiser son shooter, Days Gone la met à profit afin de faire monter progressivement la tension. De fait, les quelques groupes épars du premier tiers de l'aventure se mueront rapidement en rassemblements de plus en plus denses à mesure que le scénario progressera. Le joueur n'aura alors de cesse de préparer ses assauts avant de faire face à ces entités organiques, sortes de marées humaines distillant un véritable sentiment d'oppression et de terreur. Sur ce point, le jeu de Bend Studio effectue un sans-faute même si on frémira davantage en tant que joueur plutôt que pour notre avatar, Deacon St John, dont l'histoire peine à nous impliquer émotionnellement.
St. John is a Legend
Au delà d'un scénario essayant vaille que vaille de faire naître l'émotion sans jamais vraiment y parvenir, c'est surtout la construction scénaristique de Days Gone qui étonne, dans le mauvais sens du terme. Revendiquant ouvertement son influence Netflix, la story line est éclatée en de multiples scénarios eux même imbriqués les uns dans les autres. Les missions principales et annexes se retrouvent alors liées à des arcs narratifs que vous pourrez réaliser dans l'ordre qui vous plaît le plus. Dans l'absolu, cela semble être une bonne idée sauf qu'en définitive, cette structure s'avère brouillonne, une mission terminée augmentant par exemple le pourcentage de complétion de l'arc dont elle dépend mais aussi celui d'arcs annexes sans qu'on sache vraiment pourquoi. Ainsi, à trop vouloir en faire en arguant la liberté de choix pour le joueur, les développeurs se sont perdus en chemin, ceci desservant la lisibilité globale tout en mettant en lumière d'autres problèmes scénaristiques.
Bien que le fil rouge de Days Gone reste l'histoire de Deacon et de sa femme Sarah, Bend Studio a fait graviter autour du couple plusieurs personnages, amis comme ennemis, qu'ils soient survivants, leaders esclavagistes ou adeptes d'une secte. Le problème est qu'en cherchant à se concentrer sur le scénario de Deacon tout en multipliant les intrigues parallèles, l'histoire a perdu en force et en émotion. Paradoxalement, ceci se ressent encore plus lorsque les scénaristes ont cherché à émouvoir coûte que coûte à travers des passages en moto sur fond de ballade musicale ou des hors-champs éludant un acte violent tout en montrant le déchirement de Deacon face à un choix cornélien, rompant de manière factice avec la violence du gameplay initial. Si le parti pris de ne pas trop en montrer durant les cinématiques était fort compréhensible et louable, il se heurte ici de plain pied à la sauvagerie de Deacon lorsque ce dernier élimine furtivement ses ennemis, la plupart du temps sous couvert d'injures bien salées. Difficile dans ce cas de ressentir de l'empathie et ce malgré certains flash-backs avec Sarah, se déroulant avant l'invasion mais devant ici composer avec une modélisation des visages ne parvenant jamais à créer le sentiment voulu chez le joueur.
Inégal dans sa progression découpée en trois actes, Days Gone essaie tant bien que mal d'aborder des thèmes forts, en évoquant une fois de plus, à la manière d'un The Walking Dead, ce que nous serions près à faire pour survivre ou défendre nos proches en pareille situation. Malheureusement, peu aidé par des dialogues parfois poussifs (voire coupés par des lancements de mission) et une mise en scène pataude forçant trop souvent le trait, le titre échoue à créer véritablement l'empathie. Et si Bend a beau fortement s'inspirer de The Last of Us à travers l'arc de Lisa, jeune survivante passablement déboussolée, rien n'y fait, l'évolution du chapitre étant lui aussi tributaire de la construction en scénarii. En effet, assujetti au bon vouloir du joueur à lancer rapidement la suite de la quête, ce scénario pourra perdre de sa force émotionnelle pour peu qu'on ait accepté plusieurs missions annexes avant d'y revenir. Usant d'ellipses malvenues tout en ne parvenant pas à développer correctement certains arcs (celui des Rippers notamment), Days Gone esquisse plus qu'il ne maîtrise et ce malgré une seconde moitié de jeu gagnant en intensité.
Un sentiment de déjà-vu ?
La construction du jeu s’avérant des plus classiques, on ne sera pas étonné de retrouver tout ce qui compose les open world depuis plus de 10 ans. Une map gigantesque, des objectifs principaux et secondaires, des événements aléatoires afin de pimenter les déplacements, une kyrielle de collectibles, Days Gone a bien appris sa leçon d'autant qu'il intègre également plusieurs éléments des productions Sony à commencer par Horizon Zero Dawn. Ainsi, au fur et à mesure que vous progresserez, vous rencontrerez plusieurs camps alliés dans lesquels il sera possible d'acheter de nouvelles armes, d'améliorer sa moto ou bien encore de se reposer. C'est également ici que vous pourrez récupérer des jobs qui, une fois terminés, vous procureront de l'argent mais aussi de la confiance. A mesure que celle d'un camp augmentera, vous aurez accès à davantage de matos et ainsi de suite. Mais ce n'est pas tout puisqu'au grès de vos pérégrinations, vous débloquerez des missions annexes consistant la plupart du temps à éliminer des camps de maraudeurs et d'anarchistes ou à brûler des nids de mutants afin de rendre les routes plus sûres. Ceci faisant également augmenter le niveau de confiance du camp de la région où vous vous trouvez tout en vous faisant gagner de l'XP pour débloquer une quarantaine de compétences (actives ou passives), vous comprendrez très vite l'intérêt de mener à bien tous ces objectifs.
Dans les faits, on évolue en terrain connu et si l'IA des humains et des mutants reste très limitée, le fait de pouvoir alterner entre infiltration et action pour vider un camp procure de bonnes sensations. On n'aura alors de cesse de contourner ses adversaires pour les éliminer en silence ou au contraire de mettre à profit les nombreuses armes à disposition (de l'arbalète au BFG en passant par une mitraillette Thompson) auxquelles s'ajouteront une gamme de grenades ou bien encore des cocktails Molotov, pour profiter d'une action frénétique. Disposant d'un menu radial plutôt pratique et de la possibilité de ralentir le temps en pleine action pour changer d'armes ou utiliser divers items remplissant notre santé, endurance ou concentration, les gunfights s'avèrent plutôt jouissifs. Il faudra cependant bien choisir sa stratégie et son équipement, l'approche pour affronter une Beuglarde (sorte d'équivalent à la Witch de Left 4 Dead) n'étant pas la même que face à un groupe de pillards armé de battes cloutées.
Gaming Live : Petite balade en Oregon
De plus, on aura parfois la possibilité d'affronter des renégats, ceci donnant lieu à des courses-poursuites durant lesquelles il conviendra de viser juste pour détruire le véhicule de la cible afin d'empocher la prime. Ici, c'est donc l'amélioration de la moto qui primera puisqu'à l'instar de Mad Max, vous pourrez améliorer différentes parties de la carlingue pour la rendre plus résistante, ainsi que sa vitesse de pointe, agrandir son réservoir pour rouler plus longtemps, acheter des turbos, etc. Il est simplement dommage qu'à l'inverse du titre d'Avalanche, il ne soit pas possible d'avoir un bidon d'essence sur soi. Il faudra donc faire constamment attention à sa jauge de carburant et s'arrêter à intervalle régulier à une station service ou dénicher un bidon, se trouvant la plupart du temps dans des bâtiments ou sur des dépanneuses abandonnées, pour ne pas se retrouver bêtement en panne sèche, au milieu de nulle part, à la merci de mutants ou de la faune sauvage constituée d'ours, de loups ou bien encore de couguars un brin hargneux.
State of Deacon
Bien que Days Gone verse dans le conventionnel à travers ce qu'il propose, il se rattrape néanmoins via une ambiance survivaliste parfaitement retranscrite. Le mutant représente une menace bien réelle et lorsqu'on roule de nuit, un véritable sentiment de stress nous étreint, les créatures étant bien plus nombreuses à ce moment de la journée. On aura donc tôt fait, dans la mesure du possible, de réaliser nos missions de jour ou de faire attention à bien utiliser un silencieux afin de ne pas rameuter tout un groupe de créatures en tirant sur l'une d'elle. C'est sans doute la plus grande réussite de Days Gone : obliger le joueur à prendre son temps en lui demandant de fouiller chaque bâtiment, chaque véhicule, pour trouver des munitions ou des matériaux pour crafter items de soin, grenades ou ustensiles afin de détourner l'attention des mutants.
Rendons également grâce au Freak-O-System amenant une grande variété de situations et offrant énormément de vie au monde de Days Gone. Ce système, basé sur les interactions entre les individus, vous vaudra souvent de belles surprises, surtout lorsque des mutants viendront s'attaquer de façon inopinée à des pillards que vous étiez en train d'affronter. Les ennemis de nos ennemis n'étant pas nécessairement nos amis, il faudra néanmoins se cacher pour assister à ce joyeux spectacle, les mutants ayant tôt fait de vous foncer dessus à peine repéré. Outre le fait de rendre l'univers plus vivant, vous pourrez également user de ces interactions pour modifier vos stratégies. Par exemple, en faisant venir une meute de loups dans un camp, vous aurez le champ libre pour récupérer tranquillement des matériaux pendant que tout ce beau monde s'affrontera. Idem avec les Brutes, de véritables sacs à PV n'ayant pas leur pareil pour éliminer leurs congénères plus faibles. Ainsi, en usant habilement du Freak-O-System, le sentiment de redondance sera minimisé même si il ne sera pas possible d'y échapper au terme des 50h de durée de vie, surtout si vous vous mettez en tête d'éliminer la quarantaine de hordes dispersées sur la map.
Gameplay : Entre infiltration et Freak-O-System
Un entité nommée Horde
Comme nous le mentionnions quelques lignes plus haut, Days Gone permet d'afficher, à l'image de World War Z, plusieurs centaines d'individus simultanément. Ces énormes meutes étant pareilles à des vagues humaines n'ayant qu'une chose en tête, vous massacrer, les affronter ne sera pas une mince affaire. Associé à un excellent sound design, difficile de rester de marbre devant ces flots de mutants fondant sur vous en vociférant. Si on aura tôt fait de les éviter soigneusement lors du premier tiers de l'aventure, il nous faudra cependant en éliminer quelques unes afin de faire avancer le scénario. Et autant dire que le challenge sera épuisant même armé jusqu'aux dents. Représentée par une barre d'individus descendant progressivement à mesure qu'on élimine des créatures, la Horde n'en conserve pas moins une structure propre et des réactions la rendant plus crédible.
De fait, si vous parvenez à la distancer en usant habilement des éléments du décor pour la ralentir et ainsi réduire ses rangs, elle arrêtera de vous suivre et se séparera en plusieurs groupes d'individus qui iront «vaquer à leurs occupations». Il ne tiendra alors qu'à vous de vous cacher, de l'attirer avec des leurres sonores puis de balancer Molotov au napalm et grenades avant de vous faire à nouveau poursuivre afin qu'elle fonce droit sur des mines et autres pièges que vous aurez posé au préalable. En répétant cette méthode, vous devriez en venir à bout mais attention car sans repérer les lieux, vous aurez tôt fait de vous retrouver bloqué dans un bâtiment et assailli par des centaines de mutants, ceci étant synonyme de mort quasi instantanée. Certains affrontements pouvant durer pas loin de 20, 25 minutes, vous aurez donc compris que ces rencontres seront elles aussi placées sous le signe du stress et de l'adrénaline.
Gameplay : Seul face à une Horde
Patch me if you can
Days Gone ne manque donc pas de qualités et parvient sans peine à poser une ambiance incroyable à travers son action et ses panoramas sauvages, la plupart du temps superbes, renforcés par des éclairages de toute beauté en fonction du moment de la journée. On retiendra également des conditions météo dynamiques bluffantes de réalisme, surpassant même ce qui se faisait dans Red Dead Redemption II. Ainsi, à travers ses rayons de lumière perçant une brume au petit matin, ses tempêtes de neige, sa pluie abondante ou ses journées ensoleillées, Days Gone flatte souvent la rétine. Malheureusement, les qualités esthétiques du titre trouvent écho dans de nombreux soucis, cette fois d'ordre technique.
Bien que les développeurs aient d'ores et déjà sorti un patch de 21 Go, il n'en reste pas moins que le jeu conserve encore de nombreux problèmes allant de bugs divers et variés à un framerate poussif sur PS4 et PS4 Pro surtout lors de l'apparition des Hordes. On citera également de nombreux micro-freezes à moto lors du chargement des zones, des QTE n’apparaissant parfois pas et nous demandant de recharger des missions, des textures s'affichant tardivement ou bien encore quelques (rares) bugs sonores. Etonnant pour un titre ayant demandé six ans de développement et surtout peu raccord avec les précédentes productions Sony généralement impeccables du point de vue de la finition. Cependant, si on excepte l'absence de gros coup de polish et ses maladresses d'écriture et de mise en scène, Days Gone conserve suffisamment d'atouts pour que vous ne voyiez pas les heures défiler. Une bonne raison de se laisser tenter si vous n'avez rien contre une énième «apocalypse zombie».
Points forts
- Une gigantesque map
- De très beaux panoramas
- Des effets de lumière maîtrisés
- Une météo dynamique extrêmement bien rendue
- Un véritable aspect survie
- Le sentiment de puissance à mesure qu'on progresse
- La conduite et la physique de la moto
- Les Hordes représentent une véritable menace
- Le Freak-O-System apporte énormément à l'ambiance
- Le sound design en règle générale et une belle bande-son
- Excellente durée de vie (environ 50h pour les 100%)
Points faibles
- Une histoire convenue et une mise en scène assez maladroite
- L'émotion pointe aux abonnés absents
- Personnages caricaturaux
- Système de scénarios brouillon
- Techniquement très irrégulier (aussi bien sur PS4 que PS4 Pro)
- Beaucoup de bugs (malgré un patch de 21 Go)
- Construction très classique
- Gestion de l'essence plutôt agaçante
- L'IA des mutants et des humains
Affichant d'évidentes qualités et un contenu généreux, Days Gone est malheureusement rattrapé par de gros impairs techniques et une narration brouillonne, peu subtile et mettant en avant des personnages caricaturaux. Néanmoins, grâce à son gameplay très agréable, une énorme panoplie d'armes et un aspect infiltration/action sympathique, le jeu de Bend Studio réussit son examen de passage. Affichant également un sentiment de stress constant, grâce à ses hordes de mutants, couplé à un aspect survie bien retranscrit, Days Gone procure de bonnes sensations malgré une construction extrêmement classique. Ne parvenant pas à rivaliser avec les précédents AAA de Sony (Horizon Zero Dawn, Spider-Man), il n'en reste pas moins que Bend peut être fier de ce premier pas dans le monde de l'open world. Affichant des erreurs de jeunesse, leur titre demeure néanmoins solide et servira sans nul doute de base à une prochaine production. C'est du moins tout ce qu'on leur souhaite.