Après Detention, qui avait su séduire la critique, Red Candle Games revient avec Devotion, un titre horrifique narratif à la première personne se situant à Taïwan. Nous plongeant au coeur des souvenirs d’une famille composée d’une actrice, d’un scénariste, et d’une petite fille voulant devenir chanteuse, le studio aborde l’horreur par le prisme du foyer et de la culture taïwanaise. Devotion réussit-il à faire de sa proposition un titre solide ? Oui, sous certains aspects tout du moins.
Bande-annonce de Devotion
L'enfer, c'est chez soi
Le Taïwan du début des années 1980 s'offre au joueur - composant une belle toile de fond - lorsqu’un jeune couple s’installe dans son appartement. Li Fang est une star internationale, et Feng Yu un scénariste en quête de succès. Rapidement, le couple donne naissance à Mei Shin, une petite fille à la santé fragile, désirant plus que tout être aussi connue que sa mère en devenant chanteuse. Si l'histoire aurait pu être belle, on comprend vite que la vie n'aura pas épargné notre famille, laissant au joueur tout le loisir d’explorer la vie de cette dernière, et de remettre les éléments du puzzle en place.
Conçu comme un walking simulator horrifique, le titre de Red Candle Games met allègrement l'accent sur les notions de foyer et de croyances, omniprésentes. Ainsi, on assiste à de nombreuses scènes de vie quotidienne au travers des dialogues et des documents, en chinois sous titré anglais cependant, mais également des cauchemars bien plus inquiétants, faisant appel à la religion et aux dieux. En ce sens, les premiers instants de Devotion fonctionnent extrêmement bien, puisqu’on est tout de suite immergé dans les traditions, en témoigne un document expliquant qu’on agite divers objets liés à des thèmes devant un nouveau-né pour déterminer vers quoi il tendra plus tard.
Les concepts de foyer et d’espace personnel sont eux aussi très présents, à travers la chambre de Mei Shin ou le bureau de travail de Feng Yu. Cet espace commun dans lequel les personnages évoluent tant physiquement que psychologiquement, mêlé à la santé fragile de Mei Shin, est central dans Devotion, qui parvient à en faire son fil conducteur. Nous n'en dévoilerons pas plus, l'intérêt du jeu reposant sur ce qu'il a à raconter.
Le temps du souvenir
Devotion est aussi centré sur l’idée de la mémoire. A ce titre, on parcourt l’appartement en quête d’objets et de documents qu’il faut replacer et / ou lire, afin de déclencher les souvenirs du personnage que l’on contrôle. Sur ce point, Red Candle effectue un travail remarquable. Effectivement, même en étant totalement étranger aux traditions locales et malgré les trous volontaires dans le développement de l’intrigue, le joueur n’est jamais perdu. La mise en scène, ou un élément permettant de comprendre ce qu’on voit, y contribue fortement.
Le titre tire ainsi son épingle du jeu, grâce à une direction artistique efficace, intelligente et inspirée, au service de la narration. Même constatation du côté technique puisque là où de nombreux jeux du genre abusent des effets de lumière et de particule, Devotion s’en sert habilement, ne poussant le curseur que pour des moments proches du contemplatif. Contrairement à la plupart de ses pairs, qui adoptent une structure linéaire, Devotion fait le choix du récit parcellaire, réparti entre différentes années entre lesquelles on navigue, lequelles ne sont pas placées dans l'ordre chronologique. Pour reconstituer l’histoire de la famille, de plus en plus glauque, allant jusqu’à verser dans le mysticisme, il faut se contenter de morceaux, suffisamment évocateurs, pour savoir quoi chercher. Pour éviter que le joueur ne comprenne trop rapidement la finalité de l’histoire, les puzzles, qui ne consistent d’ailleurs qu’à récupérer un objet puis à le replacer ailleurs, se résolvent en passant d’une année à une autre, et en comprenant leur sens grâce aux informations des documents. Si la mise en place est certes basique, on ne peut lui enlever son efficacité, qui confère au joueur le sentiment d'imbriquer les élements au fil de l'eau, et de progresser sans cesse dans le jeu.
Entre ambiance glauque et structure défaillante
L’ambiance du jeu constitue l'une de ses principales qualités. Par son camaïeu de couleurs, sa mise en scène déroutante et ses élements horrifiques - notamment les personnages désincarnés ressemblant à des mannequins - il installe une atmosphère qui dérange, angoisse et perturbe. Sa mise en scène, associée à sa thématique religieuse et intimiste, donne au joueur une véritable impression de huis-clos cauchemardesque, au moins durant la première moitié du titre. On regrettera peut-être que les rares jumpscares soient finalement assez convenus, et ne s'avèrent efficaces que sur les âmes sensibles.
Car malheureusement, Devotion souffre de problèmes liés au rythme. Si la première moitié des trois heures que durent le titre se déroulent dans une ambiance très réussie, la seconde partie brise l’immersion par l’introduction d’un petit hub, trahissant la structure du titre. La fluidité de la narration en prend un gros coup, et on se retrouve à agir dans une logique de complétion au lieu de continuer naturellement à dérouler le fil de l’histoire. Sur un jeu disposant d’une durée de vie de trois heures, cela pèse assez lourdement. Comme on le disait, l’ambiance globale est travaillée, réussissant à mêler l’histoire, la direction artistique et le gameplay, mais Devotion a également du mal à digérer de ses influences.
Il n’y a bien sûr pas de problème à s’inspirer de PT, What Remains of Edith Finch, voire Gone Home, mais la production de Red Candle en donne une interprétation quasi-littérale, laissant aux amateurs du genre un goût doux-amer de déjà-vu. Le trait, ainsi trop grossier, empêche le jeu de réellement se démarquer, malgré de belles idées et un sens certain de la mise en scène.
Points forts
- L'utilisation de la culture taïwanaise
- La navigation entre les années bien pensée
- Une ambiance prenante
- Le lien entre mise en scène, objets et narration
- Une direction artistique sobre et très efficace
Points faibles
- Une deuxième partie qui brise l'immersion
- Des inspirations trop visibles
- Jumpscares et puzzles convenus
- Pas de traduction française
Devotion est un jeu intéressant de part la situation choisie et la manière dont il aborde son sujet. Soutenu par une direction artistique efficace et une ambiance soignée très bien reliées à son récit, il parvient à captiver durant au moins une heure et demie. La seconde partie, si elle dispose également de bonnes idées et de parti pris artistiques assumés, est bien moins maîtrisée, laissant apparaître sa structure ainsi qu’une gestion du rythme plus hasardeuse. Enfin, ne réussissant pas à se défaire de ses inspirations, Devotion rate le coche et n’arrive pas à se démarquer suffisamment des autres productions du genre. Malgré tout, il mérite qu’on s’intéresse à ce qu’il a à proposer.