Ça y est, cette fois, il est là. Après plusieurs reports, Crackdown 3 est arrivé à la rédaction et nous avons enfin pu découvrir dans sa globalité un titre qui aura été conçu par pas moins de quatre studios différents. Un développement que l’on devine long, difficile et confus, mais qui a fini par aboutir. Mais comme l’on pouvait s’y attendre, le titre de Sumo Digital affiche de sacrées cicatrices.
Présenté à l’E3 2014, Crackdown 3 est le troisième épisode d’une série plutôt populaire outre-Atlantique ; le premier épisode, qui accueillait la démo de Halo 3, avait attiré plusieurs millions de joueurs qui avaient découvert un titre rigolo et coloré, sans grande prétention sinon d’amuser celui ou celle qui lui accorderait un peu de son temps. Un pari plutôt réussi à l’époque puisque Crackdown s’était révélé être un titre plutôt frais, à qui des titres plus récents comme Just Cause et les derniers Saints Row doivent beaucoup. Mais après un deuxième épisode à oublier, que pouvait bien proposer Crackdown 3 aux joueurs, en 2019 ? Eh bien, pas grand-chose, en vérité.
Les bases sont là
Nos premiers contacts avec Crackdown 3 ne nous avaient pas franchement rassurés sur le plan établi par les équipes de développement. Le game-design paraissait alors confus et dire que les studios travaillaient un peu à l’aveugle serait un euphémisme. Manifestement Microsoft Studios (aujourd’hui Xbox Game Studios) a su reprendre les choses en mains puisqu’ aujourd’hui, Crackdown 3 tient sur ses pattes. C’est simple, mais efficace : on incarne un Agent et l’on est envoyé sur New Providence, une petite île isolée du reste du monde mais sur laquelle s’est installée une entreprise diabolique, TerraNova. En détruisant les différentes installations de la firme, l’Agent ou l’Agente la déstabilise et force ses différents leaders à sortir de leur tanière. Ce qui permet d’aller les combattre et de se créer un chemin jusqu’au boss final, la grande patronne de TerraNova. La formule n’a rien de bien original, on en convient, mais elle fonctionne plutôt bien. Imaginez : en réduisant en cendres les centres de formation des soldats de TerraNova, on limite le nombre d’ennemis présents au moment du dernier assaut ; prendre le contrôle du mono-rail de la ville permet d’obtenir un soutien armé pendant les combats, puisque le rail peut être équipé de canons autonomes qui prendront pour cible quiconque s’en prendra à vous. Et ainsi de suite. Le tout est assez mécanique mais il fonctionne et l’on constate avec un certain plaisir que nos actes ont parfois un effet qui peut se vérifier à l’écran.
Côté combat, pas grand-chose à signaler non plus. Le tout est diablement dynamique et plus l’on avance dans le jeu, plus les affrontements sont nerveux. Grâce à des contrôles maîtrisés, l’Agent répond au doigt et à l’œil ; il y a certes quelques soucis d’accroche, parfois, sur le système de verrouillage des ennemis, mais l’ensemble reste plaisant et au bout de quelques heures de jeu, on prend un certain plaisir à sauter dans tous les sens, à esquiver les tirs ennemis avant de répliquer avec toute la terrible puissance de feu de notre Agent. C’est d’ailleurs l’un des points forts du jeu : si les premières armes sont assez convenues, Crackdown 3 met régulièrement à disposition du joueur de nouvelles pétoires, et la plupart sont assez originales. Comme le générateur de masse, qui fait imploser les cibles touchées par ses projectiles, ou la gravitochaîne, qui va créer un lien magnétique entre deux cibles. Au joueur de trouver les façons les plus délirantes de s’en servir et les possibilités ne manquent pas. Vous seriez surpris de constater les effets de la gravitochaîne sur un corps humain, subitement lié par un aimant à un poids lourd en mouvement ! Mention spéciale à la grenade à singularité, qui crée à son explosion un petit trou noir qui attire vers lui tout ce qui se trouve à proximité ; et plus votre Agent est expérimenté, plus son effet est puissant. Bref tout ceci fonctionne fort bien et devrait satisfaire celles et ceux qui avaient aimé Crackdown pour son action frénétique et décomplexé. Le jeu ne se prend jamais au sérieux et cela fait du bien, à une époque où beaucoup de studios et d’éditeurs jouent la carte du « jeu plus adulte », comme s’il s’agissait d’un argument de qualité.
L’autre bon point, c’est évidemment la montée en puissance susmentionnée, par laquelle votre Agent se transforme petit à petit en véritable super héros. Une évolution qui se fait au gré de vos pérégrinations, mais aussi de votre capacité à explorer New Providence. La ville regorge d’orbes verts qui permettent d’augmenter l’agilité de votre héros, mais aussi d’orbes bleus qui vont faire grimper toutes ses autres compétences. Les ramasser peut se montrer amusant puisqu’en soit, c’est déjà un petit défi : certains ne sont pas faciles à atteindre et il faudra utiliser intelligemment les capacités de l’Agent pour les attraper. Avec le temps, il est possible d’aller chercher des orbes qui paraissaient jusque là inatteignables ; c’est véritablement là que l’on se rend compte du chemin parcouru. Les ennemis qui au début vous embêtaient tant pourront être éliminés en un seul tir, un seul coup de poing, ce qui est d’ailleurs un bon prétexte pour vous sous vos flingues toujours plus d’ennemis. Une gradation plutôt réussie, même si l’on pourra déplorer que vos ennemis soient capables de vous détecter à 800 m en milieu urbain, alors que vous cherchez simplement à escalader un bâtiment pour ramasser une nouvelle orbe. Agaçant.
Des limites qui pointent vite le bout de leur nez
Seulement voilà, malgré ces qualités indéniables, Crackdown 3 tourne vite en rond, la faute à un game-design qui montre trop rapidement ses limites. Le système évolutif décrit plus haut n’a hélas pas beaucoup de profondeur et l’impact de nos actions est finalement assez restreint. Pour ne pas dire inexistant. Par exemple, à partir d’un certain niveau, chacune de vos attaques déclenche une contre-mesure particulièrement létale : un bombardement violent de votre position, par des batteries de missiles installés un peu partout à travers la ville. Heureusement, avant de heurter le sol, les missiles dessinent sur le sol un cercle jaune, ce qui permet au joueur de savoir où ne pas se trouver. Toutefois, lorsque les trois centres de lancement de missiles ont été détruits, ils sont en quelques sortes remplacés dans le jeu par des véhicules blindés qui eux aussi lancent de puissants projectiles. La seule vraie différence ? Les cercles représentés au sol sont rouges. On se sent de fait un peu lésé par le jeu qui, de toute manière, doit bien trouver une façon de répondre à la menace que représente le joueur, qui est toujours plus fort. Si l’évolution du conflit se veut organique, il manque donc le coche à plusieurs reprises, puisque même certains dialogues ne se mettent pas à jour. On retiendra ici les petites phrases envoyées au joueur pour lui enjoindre de mettre à bas tel ou tel ennemi, quand bien même cela a déjà fait… et que les deux interlocuteurs principaux de l’Agent l’évoquaient quelques minutes auparavant.
Au-delà de ce qui pourrait paraître, aux yeux de certains, de simples détails, précisons toutefois que l’on retrouve ces limites sur l’ensemble du game-design, et notamment la façon dont est structurée l’aventure du joueur. S’il faut reconnaître que les premières heures de découverte sont plutôt sympathiques, on réalise rapidement que les objectifs à réaliser pour déstabiliser l’hégémonie de TerraNova peuvent être résumés à : 1) Tuer tous les ennemis d’une base pour en prendre le contrôle ou 2) Attaquer une installation industrielle et détruire les différentes vannes se trouvant sur les conduits ou 3) débarquer dans une station de mono-rail, tuer des ennemis jusqu’à pousser le chef de station à apparaître, pour pouvoir l’éliminer. Bref tout cela est extrêmement redondant et pas vraiment original, ne nous mentons pas. Si les combats et l’utilisation de nouvelles armes permettent de varier les plaisirs, difficile d’échapper à la lassitude lorsque le jeu vous ressert constamment les mêmes missions.
Un sentiment de répétition désagréable qui sera constamment renforcé par l’agacement suscité par un level-design inégal. New Providence est plutôt intéressante dans la mesure où ses différents quartiers sont variés, et faciles à identifier des uns des autres. En revanche, la construction de la ville est calamiteuse, et y naviguer devient vite une gageur. La faute à des axes routiers qui semblent posés ici et là un peu par hasard et qui ne desservent pas intelligemment les différents points principaux de la ville. Ainsi, on a passé parfois de trop longues minutes à chercher une entrée, un échangeur, quelque chose qui permet de prendre le simili périphérique pour se déplacer plus facilement d’un point à l’autre de la ville. On finit par parcourir la ville à pieds, parfois en cherchant à passer des obstacles avec les moyens du bord (et aussi quelques glitches de physique). Des errances que l’on retrouve aussi côté narration puisque si l’on nous avait promis un scénario solide, avec de beaux moments épiques, les choses sont assez… minimalistes. L’évolution du conflit se fait assez mollement, avec les remarques occasionnelles du Commandant Goodwin, le supérieur de notre Agent, et surtout celles d’Echo. Cette dernière appartient à un mouvement de résistance local et conseille très régulièrement le joueur. Mais au-delà de l’intérêt premier, celui de diriger le joueur vers ses potentiels futurs objectifs, Echo et Goodwin n’ont pas beaucoup d'intérêt. Entre la répétition constante de grossièretés, et le mauvais discours anti-système, anti-capitaliste d’Echo, on est constamment assailli de remarques peu inspirées, trop cliché, qui ne parviennent jamais à taper là où il faudrait. Si Crackdown 3 se voudrait volontiers corrosif et poil à gratter, il n’est jamais ni vraiment drôle, ni suffisamment juste pour pouvoir y prétendre.
Une technique en dents de scie
Dans notre récente preview, nous avions étrillé Crackdown 3 pour son visuel daté. Nous serons heureusement plus mesurés aujourd’hui, mais le titre de Sumo Digital souffre tout de même d’un certain retard technique qui fait beaucoup de mal à l’ensemble du titre. Si les ombres portées disparues sur notre version preview ont fait leur retour, le système de lumière du jeu pose toujours autant problème, avec des écrans souvent brûlés, et à l’inverse, des phases de jeu absolument insupportables dès lorsque la nuit s’étale sur New Providence. Tantôt trop lumineux, tantôt trop sombre, Crackdown 3 nous a régulièrement forcé à ajuster le gamma de notre écran, sans que nous ne parvenions à trouver le bon équilibre. À noter qu'avec un bon écran option HDR, une partie de ces problèmes s'en vont. Nous pointions également du doigt la physique du jeu et comme l’on pouvait s’y attendre, le jeu final ne corrige pas ce défaut que l’on ressent constamment, que ce soit dans le pilotage des différents véhicules du jeu, lors des phases de combat au corps-à-corps, ou plus simplement dans les objets que l’on peut balancer sur les ennemis. De quoi rappeler, par moments, un certain Goat Simulator, qui avait tellement fait rire les gamers, il y a quelques années. À noter d’ailleurs que la Gravitochaîne, qui utilise le moteur physique du jeu, a généré plusieurs plantages.
Ajoutons à cela que si la direction artistique du jeu pourra plaire (c’est notre cas), elle est constamment gâchée par la pauvreté des textures des bâtiments et un brouillard omniprésent. La 4K, c’est bien, encore faut-il que l’ensemble des assets affichés à l’écran bénéficient de la même définition. Cela donne parfois la sensation que Crackdown 3 est l’un de ces remasters un peu paresseux qui fleurissent dans nos boutiques préférées depuis quelques années. Une sensation confortée par certaines animations de l’Agent, notamment ses attaques de corps-à-corps, extrêmement raides, ou ses roulades trop « glissantes », les travers de vieux jeux d’action en somme. On passera sur les phases d’escalade qui se font parfois un peu trompeuses, notamment lorsque l’Agent refuse subitement de s’accrocher à certains rebords, ce qui ne le dérangeait pas deux minutes auparavant, pour résumer le constat : sur de nombreux points techniques, Crackdown a plusieurs années de retard.
Un multijoueur bien décevant
Là encore, c’est un point que nous avions abordé dans notre dernier aperçu et la version complète de Crackdown 3 a malheureusement confirmé toutes nos inquiétudes. Même s’il a le mérite de proposer quelque chose de nouveau, le multijoueur de Crackdown 3 repose sur un contenu bien trop maigre pour peser dans la balance. Deux modes de jeu, trois cartes et une poignée d’armes, voilà tout ce que les joueurs auront à se mettre sous la dent ; quant au fameux cloud-computing, chargé de gérer en temps réel les destructions de bâtiments, il n’impressionne guère : les différentes constructions qui habillent les trois arènes du jeu sont extrêmement simplistes et l’on en vient à se dire que la technologie est soit sous-exploitée, soit encore trop jeune pour contribuer de manière significative à l’évolution de notre loisir préféré.
Reste néanmoins un jeu de tir en ligne semblable à nul autre, dans lequel le talent ne réside pas dans la visée (puisque verrouillage automatique), mais dans la capacité à fuir les tirs ennemis en jouant avec le décor destructible. Le rythme des combats est plutôt bon et l’on regrettera simplement que si peu d’armes de la campagne solo aient fait le voyage jusque dans ce mode multijoueur, qui se révèle être assez anecdotique, en fin de compte. On est bien loin de la révolution promise il y a quelques années.
Points forts
- Direction artistique originale
- Les contrôles de l’Agent sont plutôt agréables
- Plein d’armes amusantes à utiliser
- Des phases de combat plutôt réussies
- L’évolution de l’Agent(e), toujours plus puissant(e)
- Le jeu en coopération, avec plusieurs configurations possible
Points faibles
- Des objectifs simplistes, qui se répètent trop vite
- Le design de la ville et des axes routiers, qui rendent la navigation vraiment désagréable sur les longues distances
- Narration minimaliste, entre écrans semi-animés et répliques peu inspirées
- Une technique datée
- Système d’éclairage défaillant : écrans brûlés de jour, nuits trop sombres
- Physique limitée à sa plus simple expression
- Multijoueur anecdotique, malgré les promesses
Avoir Crackdown 3 entre les mains aujourd’hui tient presque du miracle. Le jeu a connu un développement extrêmement compliqué et si l’on a cru pendant un temps qu’il serait finalement annulé, il a réussi à se frayer un chemin jusqu’à nous. Malheureusement, le titre de Sumo Digital souffre de nombreuses faiblesses techniques qui trahissent ses origines, et d’un game-design trop limité, qui peine à captiver passé les premières heures de découverte. Si la réalisation n’est hélas pas à la hauteur des attentes que l’on peut avoir en 2019, Crackdown 3 a toutefois le mérite de proposer quelques bonnes idées et de remplir la plupart de ses promesses de base : celles de proposer un gros défouloir rigolo, qui ne se prend pas au sérieux.