Dire que Get Even est un projet atypique serait un doux euphémisme. Multi-facettes, tortueux, intelligent et presque inclassable, le dernier-né du studio polonais The Farm 51 ne se laisse pas facilement étiqueter sous un genre en particulier. Ni vraiment FPS, ni tout à fait jeu d’enquêtes, le titre nous plonge dans la peau d’un détective privé prisonnier d’un asile psychiatrique délabré théâtre d’expériences étranges sur la réalité alternative et l’exploration des souvenirs de ses patients névrosés. Héritière des grandes œuvres du cinéma d’anticipation, la narration de Get Even se dote d’une approche mature favorisant l’immersion totale du joueur. Parviendrez-vous à découvrir la vérité avant que la folie ne s’empare de votre esprit ? C'est en tout cas ce que vous souhaite Bandai Namco en éditant ce projet à la base indépendant, prévu sur PC,PS4 et Xbox One le 26 mai prochain.
En rouge et noir j'oublierai ma folie
Tout commence lorsque le joueur se réveille dans un vieil asile délabré. Un mal de crâne, des souvenirs nébuleux, vous ne savez pas du tout pourquoi vous avez atterri au beau milieu de cet étrange endroit. Votre environnement proche n’a pas vraiment de quoi vous rassurer avec cette pièce aux couleurs ternes et aux murs couverts de graffitis. Votre nom reste votre seule certitude, vous vous appelez Cole Black et vous êtes détective privé. Comment sortir de cette cellule d’isolement ? Que diable faites-vous ici ? Tant de questions pour si peu de réponses… C’est un fait, Get Even joue dans la cour de ces jeux pleins de mystères où un effort d’investigation est nécessaire pour tenter de démêler les ficelles d’une intrigue plutôt velue.
Un écran s’allume soudain devant vos yeux et la silhouette d’un homme masqué dans l’ombre apparaît. Il s’agit de Red, votre ravisseur, qui de sa voix posée nous livre les premières clés de compréhension de cette étrange situation. Selon ses dires, vous êtes chargé d'enquêter sur différents évènements au sein d’un établissement psychiatrique à la pointe de la technologie mentale. L’asile utilise en effet des casques de réalité virtuelle sur ses patients afin de les replonger au plus profond de leurs souvenirs. Une façon pour eux de revivre certaines expériences du passé et – pourquoi pas – d’en modifier l’issue. Malgré nos tentatives d’en apprendre un peu plus sur ce dispositif, Red reste peu prolixe sur les conditions réelles de notre détention. Tout juste nous conseille-t-il de nous montrer moins curieux et de suivre ses ordres à la lettre. La relation patient/médecin prend rapidement des airs de jeu de pouvoir entre prisonnier et tortionnaire. Peut-on accorder une confiance aveugle en Red, lui qui transpire la manipulation ? Bien sûr que non ! Mais faute d’autres alternatives, il faudra bien faire avec et tenter d'avancer.
Bande-annonce de Get Even
Crime OS, l'application du détective
Vos premiers pas dans l’asile ne permettent pas vraiment de dissiper vos doutes. Le lieu semble quasi abandonné avec ses jardins en friche et ses graffitis tout droit sortis d’esprits que l’on sent très perturbés. Toutefois, la zone ne semble pas tout à fait dénuée de vie car des gardes armés rôdent au milieu de quelques patients perdus dans leur folie virtuelle, le casque vissé sur la tête. Black récupère très tôt un smartphone multifonction qui servira d’accessoire central au gameplay de Get Even. L’appareil est doté d’un détecteur de chaleur, d'un appareil photo, d’un capteur environnemental capable de révéler certains indices, d’un éclairage d’appoint, de l’affichage en temps réel de la carte et de la ligne de vue des ennemis ou encore d’une fonction messagerie grâce à laquelle certains interlocuteurs communiqueront des éléments de l’intrigue.
L'outil est essentiel à la bonne mise en place de toutes les facettes du gameplay du titre si bien que notre regard observe bien souvent l'environnement par le prisme de l'écran de ce précieux smartphone. Une façon de plus de nous faire douter du bien-fondé de notre perception du réel ? Sans doute ! Du simple FPS à la première personne auquel tout le monde semblait s’attendre après sa dernière présentation durant la gamescom 2016, Get Even prend soudain des airs de jeu d’enquête immersif à la narration soignée. On scanne, on analyse une série d’indices toujours dans l’idée d’en apprendre plus sur notre détention inexpliquée. Les fragments du passé ressurgissent devant nos yeux grâce à la technologie « Crime OS » du smartphone. Elle permet entre autres d’accéder aux rapports de police de plusieurs scènes de crime ou aux dossiers de différents patients.
Une expérience protéiforme
Et tandis que l’investigation commence à se préciser au fil des indices récoltés, un garde armé apparaît au détour d’un couloir. Le bougre ne semble pas avoir détecté notre présence, l’occasion idéale de nous familiariser avec le système d’éliminations furtives et de nous fournir notre première arme, un simple pistolet équipé d'un silencieux. Ce flingue introduit l’aspect FPS du titre. Néanmoins, ne comptez pas faire parler la gâchette sur des convois entiers d’adversaires armés jusqu’aux dents, Get Even mise la plupart de ses cartes sur une narration et son ambiance solides plutôt que sur sa partie shooter. Le joueur est d’ailleurs libre de tuer, de contourner ou de faire marcher sa cervelle pour résoudre la plupart des rencontres. D’aveux de développeurs, il sera même possible de terminer le jeu sans tuer le moindre PNJ (excepté un seul à l'heure actuelle).
Get Even commence comme un jeu d’horreur, se pare ensuite de toutes les caractéristiques d’un jeu d’enquête, se mute dans la foulée en une expérience narrative avant de nous rappeler qu’il est aussi un FPS. Bref, c’est un peu déstabilisé par cet aspect protéiforme, mais réellement impatient d’en découvrir plus que nous progressons dans les dédales glauques de cet asile pas vraiment hospitalier. Red nous informe qu’une jeune femme est retenue prisonnière quelque part autour de nous et qu’elle porte sur elle une bombe qui ne devrait pas tarder à exploser. Pourquoi est-ce à nous d’aller la sauver ? Qui est-elle ? Autant de nouvelles questions qui resteront pour le moment sans réponses satisfaisantes. Manque de bol, la bombe explose alors que vous étiez sur le point de sauver la captive… Vous vous réveillez alors dans un tout nouvel environnement toujours guidé par la voix de votre mystérieux tortionnaire.
Le FPS sous un autre angle
C’est ici que vous découvrirez le fameux Corner-gun, une arme capable – comme son nom l’indique – de tirer dans les angles. À vrai dire, il s’agit plus d’un bras mécanique capable de pivoter sur les côtés dans lequel vous insérerez à la fois votre smartphone et votre arme de poing afin de réaliser des tirs sous couverture. Si une telle arme est parfois utilisée par certaines forces militaires réelles à travers le monde, son introduction en jeu est une excellente idée. L’arme est jouissive à utiliser, diablement précise et modifie en profondeur notre approche des phases de tir de Get Even. Le FPS sous un autre angle en quelque sorte !
Sans trop vous en révéler au sujet de l’intrigue principale, sachez que le jeu utilise un HUB central mémoriel dans lequel Cole Black pourra suivre l’avancée de ses multiples enquêtes paralèlles. Le joueur naviguera au sein de tableaux dans lesquels il faudra régulièrement se replonger afin de farfouiller toujours un peu plus. Le tout s'entrecroise dans une expérience brouillant avec un certain brio les frontières entre le réel, le virtuel et la folie mentale. En ce qui concerne les énigmes, Get Even en proposera à intervalle régulier : casse-tête chiffrés, raccordement de tuyaux afin de faire circuler de l’eau jusqu’à un point particulier, découverte d’indices cachés sur des photos, on espère que ces moments de réflexion parviendront à nous tenir en haleine durant toute la durée de l’aventure.
Immersif, Get Even utilise plusieurs techniques de capture directe d'environnements réels afin d’offrir des graphismes plutôt convaincants. Si les premiers trailer du jeu laissaient entrevoir les prémices d’un rendu quasi photoréaliste, force est constater que l’ensemble des lieux visités ne bénéficie pas de la même qualité d’affichage. Si l’on remarque aisément l’utilisation de la photogrammétrie et autres techniques de scaning 3D lorsque l’on prend le temps d’observer de près certaines textures (murs, sols, etc.), leur fidélité contraste avec le rendu global de certaines zones intérieures et extérieures, certes jolies, mais loin de nous coller une claque graphique. Même constat du côté de l'intelligence artificielle des ennemis, encore trop limitée à notre goût.
On reste, en revanche, impressionné par la conception sonore générale du titre. Inquiétante, oppressante, la spatialisation des sons est rendue avec une très grande justesse. Guidé par la voix de Red, à l’affût du moindre son suspect autour de nous, Get Even prendrait presque des airs de jeu d’horreur. Saluons aussi le travail du français Olivier Derivière (Remember Me, Assassin's Creed IV : Black Flag - Le Prix de la Liberté, The Technomancer, etc.) qui livre ici un habillage musical rythmé par la thématique du temps, un élément central de l’intrigue du jeu. Entêtante, tortueuse, captivante, la bande-son de Get Even s’annonce comme l’une de ses réussites.
Get Even est un jeu dans lequel la question de ce qui est réel et ce qui ne l'est pas se pose à tout moment. Vivre une série d’émotions différentes au cours d’une plongée dans les tréfonds de l’âme humaine, de la folie et de différentes strates temporelles, voilà – en gros – ce que souhaite nous proposer le studio polonais The Farm 51. « En gros », car coller une étiquette prédéfinie sur ce projet est une tâche ardue et finalement assez vaine. Ni vraiment FPS, ni tout à fait expérience narrative d’enquête, Get Even est est un OVNI, un Objet Vidéoludique Non Identifié. De déclaration de développeurs, on pourrait tenter de le définir comme un First Person Thriller, un jeu à la frontière d’un film tel que L’effet Papillon dont le chaos psychotique ambiant n’est pas non plus sans nous rappeler certains des excellents épisodes de la série Black Mirror. Bref, on a hâte de plonger dans la folie !