Un Mafia pur jus ?

Pour les quelques-uns au fond qui ne le sauraient pas encore, rappelons brièvement que Mafia 3 se déroule en 1968, à La Nouvelle Bordeaux, version revisitée de la Nouvelle-Orléans, célèbre ville de l'état de Lousiane. Vous y incarnez Lincoln Clay, orphelin afro-américain rapidement recueilli par la pègre de la ville, organisation aussi connue sous le nom de mafia noire. À son retour de la guerre du Vietnam, Lincoln perd brutalement tous ceux qu'il considérait comme sa famille et part dans une quête de vengeance destinée à faire tomber la Mafia italienne. Cette vendetta s'inscrit dans une époque particulièrement troublée, sur fond de tensions raciales exacerbées, d'assassinats et de Mouvement des droits civiques.

Si la gravité des sujets abordés par Hangar 13 laisse entrevoir une approche très intéressante pour un jeu estampillé « Mafia », il nous restait à savoir avec quelle pertinence les développeurs ont mis en scène ces thématiques. Soyez immédiatement rassurés, la qualité du traitement est à la hauteur de la profondeur des problématiques posées par l'époque du jeu et l'histoire de notre personnage.

Tout commence par un disclaimer, rédigé par Hangar 13, affirmant que les développeurs ne cautionnent en aucun cas les propos odieux tenus par certains personnages du jeu, mais qu'édulcorer leur langage reviendrait à manquer de respect à celles et ceux ayant souffert de toute forme de ségrégation. Dans un jeu qui cherche à tout prix à restituer l'esprit de l'époque qu'il recrée, les démonstrations de haine raciale seront fréquentes et dans un contexte assez tendu outre-Atlantique, on comprend aisément la présence de ce disclaimer. Mafia 3 nous a semblé aborder avec sérieux et pas mal de subtilité les questions du racisme (sous toutes ses formes) et ne prend pas de gants lorsqu'il s'agit de montrer crûment la violence et la ségrégation. Le ton est donné.

Une fois l'affichage du texte écoulé, l'introduction du jeu nous fixe immédiatement sur la qualité de la narration du titre. Il est ici question de témoignages des protagonistes du jeu, évoquant le passé de Lincoln et les affaires dans lesquelles il a été impliqué. Un prêtre très poignant parle alors de la psychologie de votre avatar, tandis que d'autres personnages évoquent davantage ses exactions et le rôle qu'ils ont eu à jouer dans leur mise en œuvre. L'ensemble est monté comme un documentaire, où chaque personnage parle à un journaliste ou à un enquêteur, le tout entrecoupé de véritables images d'archives. En somme, dès les premières secondes, l'immersion est totale.

La description de certains faits ouvre bien sûr la porte à la prise de contrôle de Lincoln lui-même, vous permettant de jouer les événements que les différents témoignages ont commencé à décrire. Le jeu brouille assez régulièrement les pistes, jongle avec le temps et offre une galerie de personnages très bien brossée. En somme, les surprises sont assez nombreuses dans la première portion du jeu. Lincoln quant à lui a profité d'un très bon traitement, et n'est pas simplement la brute épaisse éprise de vengeance que l'on aurait pu imaginer. Le retour du protagoniste auprès de sa famille d'adoption permet, grâce à une mise en scène soignée et des dialogues habiles, de fixer rapidement l'affection que l'on porte aux personnages, tandis que les interactions de Lincoln avec son entourage permettent de mieux comprendre son histoire, consistante et crédible. Loyauté et sens de la « famille » sont au rendez-vous, ne croyez donc pas que le bond dans le futur de la série Mafia interdit de développer une intrigue et une atmosphère "mafieuse".

Sans vous en spoiler la nature, sachez enfin que l'élément déclencheur de l'histoire, celui sur lequel repose la narration de Mafia 3, est un régal de mise en scène. Si nous étions assez inquiets quant à la capacité de Hangar 13 à respecter l'essence de la saga, le traitement accordé aux dialogues, à la réalisation et à la profondeur des personnages nous a largement rassurés. En outre, si les cut-scenes nous ont semblé plus que maîtrisées, c'est aussi l'atmosphère globale du jeu qui est parvenu à nous séduire.

New Bordeaux, une ville qui respire

New Bordeaux, théâtre des événements du jeu, est une version remaniée de La Nouvelle-Orléans dont on oublie souvent qu'elle a également, à l'instar d'un Chicago, abrité de nombreuses familles et activités mafieuses. Il faut reconnaître qu'il y a eu manifestement beaucoup de passion chez Hangar 13, qui s'est employé à insuffler de la vie à sa ville, fidèle à celle de Louisiane. Proposée en open-world, New Bordeaux est un lieu qui respire, avec ses habitants, sa musique, sa moiteur, son carnaval, ses bars... Conçue comme un personnage à part entière, la ville parvient rapidement à séduire grâce à son atmosphère atypique, apportant notamment des éléments architecturaux finalement assez peu exploités dans le petit monde du jeu vidéo.

La crédibilité de l'environnement ne s'arrête d'ailleurs pas à sa seule apparence, puisque l'esprit de la fin des années 60, avec ce qu'il a de bon et de mauvais, se retrouve dans la bande son du jeu, tout simplement impeccable, mais aussi dans les différents événements, qu'ils soient aléatoires ou non, qui vous surprendront si vous prenez la peine d'arpenter les rue de la ville. Il nous est par exemple arrivé, en flânant dans les rues, de nous faire invectiver par une police multipliant les allusions racistes, ou de croiser au détour d'une ruelle, quelques personnes ivres mortes, simplement affalées au petit matin sous la moiteur de New Bordeaux. Cette vie foisonnante est d'ailleurs mise en avant au cours de certaines missions. On pensera notamment à cette scène plus que maîtrisée où vous devez traverser le quartier français en plein carnaval. Cette séquence, bien que scriptée, est une franche réussite et donne encore un bon indicateur du soin apporté à la réalisation du titre.

La ville est donc crédible et immersive, et heureusement, car Mafia 3 ne brille pas vraiment pour son aspect technique. À l'exception de très jolis effets de lumière, les textures lointaines sont un peu brouillonnes et l'ensemble manque de finesse, essentiellement sur PlayStation 4. La technique ne rend donc pas justice au travail artistique réalisé sur l'ensemble de la ville.

Un open-world "sérieux"

Nous l'évoquions plus haut, une fois la longue introduction au jeu terminée, les développeurs nous ont proposé de jouer à une sauvegarde avancée, nous propulsant à un peu plus de la moitié du titre. Cela nous a permis d'éprouver les mécaniques de l'open world. Comme nous l'avions mentionné dans notre précédent aperçu, l'objectif de Lincoln sera de prendre le contrôle des différents districts de New Bordeaux. Chacun d'entre eux abrite une activité illégale : trafic en tout genre, prostitution... libre à vous de choisir quel business vous désirez passer sous votre commandement. Pour cela, plusieurs objectifs sont à votre disposition : éliminer des hommes de main, causer un maximum de dégâts à certaines infrastructures.... Tous les prétextes sont bons pour faire sortir le dirigeant du business illégal de sa tanière afin que vous puissiez vous confronter à lui. Une fois le boss déchu, vous prenez le contrôle du district.

Ainsi, Mafia 3 reste un "Mafia" dans l'âme. Ne vous attendez pas à des activités fantaisistes à l'image d'un GTA, chaque objectif disponible servant le dessein de Lincoln. Une fois un district tombé sous votre égide, vous aurez la possibilité d'en affecter la gestion à l'un de vos lieutenants. Ces derniers débloqueront à terme des capacités spéciales pour votre personnage : nouveaux objets, vitesse de rechargement d'arme plus rapide, vous gagnerez en performance à mesure que vous progresserez dans l'aventure, que ce soit à coups de flingues ou à pas de loup.

Un gameplay classique

Comme nous avions déjà pu le voir précédemment, vous pouvez remplir vos objectifs de deux manières : brutale ou furtive. Côté furtivité, l'ensemble n'est pas désagréable à prendre en main, même s'il faut reconnaître que les mafieux ne brillent clairement pas par leur intelligence. Il nous est tout de même arrivé d'éliminer un homme accoudé à un bar avec son compère, sans que ce dernier se rende compte de quoi que ce soit. Lincoln ayant en outre la possibilité de siffler pour attirer un garde près de lui, vous aurez plus que de raison recours à cette feature, attendant patiemment que vos adversaires viennent un à un observer la source du sifflement. Il est donc très facile de se placer à un endroit stratégique, d'attirer l'attention des gardes et d'entasser discrètement les corps au même endroit pour libérer un passage. Dernier point de discorde : la gestion des déplacements à couvert est assez imprécise, vous déplacer d'une caisse à une autre étant assez souvent laborieux.

Heureusement, les combats sont plus haletants. Mafia 3 est brutal, voire un poil exigeant. Effectivement, n'attendez pas de Lincoln qu'il soit résistant outre-mesure. Au contraire, seules quelques balles parviendront à le terrasser. Il faudra donc être vigilant, observateur, afin de voir où se trouvent les nombreux ennemis qui chercheront à vous encercler. Enfin, ne croyez pas que vous pourrez effectuer vos exactions en toute impunité : si un témoin passe à proximité de votre méfait, il pourra se ruer vers la première cabine téléphonique disponible afin d'avertir la police. À vous de choisir de le laisser faire, de l’assommer ou tout simplement de le tuer si le cœur vous en dit.

Un dernier mot aussi sur la conduite, composante essentielle de tout Mafia digne de ce nom. Le feeling des différents véhicules est plutôt bien travaillé et un bolide réagira évidemment plus vite qu'un vieux tacot des années 60. Hormis une caméra un brin capricieuse, conduire dans New Bordeaux se révèle très agréable en mode automatique, mais les plus puristes pourront choisir une conduite manuelle dans les options du jeu.

Notre deuxième portion de gameplay ne nous a donc pas pleinement convaincue. Même si nous avons eu une brève introduction au contexte avant d'être lancé dans l'open world, nous avons trouvé les objectifs un brin redondants. Si le scénario des tâches à accomplir diffère en fonction du trafic établi dans les districts, le processus reste globalement le même d'un quartier à un autre. Nous espérons ainsi que l'ensemble sera un peu plus diversifié et que le joueur ne sera pas contraint d'effectuer sans cesse les mêmes opérations pour progresser dans l'aventure principale, qui rappelons-le, est plus que prometteuse.