Présenté à la surprise générale lors de la dernière Paris Games Week, Gran Turismo Sport est resté plutôt discret depuis. Et pourtant, les joueurs s'en sont posés, des questions. Qui est-il ? Quid de Gran Turismo 7 ? Est-ce le grand retour de la série mythique de Polyphony Digital ? Eh bien, toutes ces interrogations ont enfin trouvé des réponses.
C'est donc à Londres que PlayStation et Polyphony Digital ont réuni la presse européenne pour présenter leur nouveau bébé. Et on peut dire qu'ils avaient mis le paquet : 180 invités, une salle gigantesque décorée aux couleurs de la franchise et remplie de concept cars, et une très grande scène, le tout dans une élégance et une sobriété toute japonaise. Au vu des moyens, on se serait presque cru à l'E3, à vrai dire. Pourtant, après une longue présentation du jeu par Kazunori Yamauchi, le créateur de Gran Turismo, les choses se sont gâtées, puisqu'il a vite été question d'essayer le jeu. On aimerait vous dire que le premier contact avec Sport nous a emballés, mais ce serait mentir.
Nous avons pu tester Gran Turismo Sport dans deux conditions différentes : au volant (Thrustmaster T300 RS) et à la manette. Nous avons également eu la possibilité d'accéder aux paramètres du jeu et donc de jouer avec les différentes aides au pilotage. L'essentiel de notre temps de jeu s'est donc déroulé sans aucune forme d'aides, même si nous avons pris le temps de vérifier leur impact sur le pilotage. Temps de jeu estimé : entre 4 et 5h.
Le Grand Tourisme pour tous
Il fallait voir le visage des premiers journalistes français lâcher la manette après leurs premières sessions d'essai : qu'ils viennent de médias spécialisés jeux vidéo, ou plutôt automobiles, on sentait comme une gêne. Une incompréhension. Il ne nous aura fallu que quelques minutes, volant en mains, pour comprendre. Sur scène, Yamauchi avait affirmé que tout avait été refait à zéro ; ill y a un élément sur lequel on ne contredira pas le maître : oui, clairement, le moteur physique de Gran Turismo Sport est tout neuf. Il n'a absolument rien à voir avec celui que l'on connaissait, et que l'on avait apprécié, sur Gran Turismo 6.
Dire que Gran Turismo Sport est un jeu de course typé arcade serait pousser mémé dans les orties. Globalement, la série a toujours été une simulation automobile grand public ; à la manière du rival Forza Motorsport, "GT" peut se montrer généreux et permissif à l'occasion, à l'inverse de simulations beaucoup plus poussées (comme Assetto Corsa) qui sanctionneront la moindre imprécision. Mais, et c'est bien ce qui nous a tous surpris, on effectue avec Sport un virage à 180° vers le tout public. Le nouveau titre de Kazunori Yamauchi propose des sensations de pilotage bien différentes de ce que l'on connaissait : il ne faut pas se laisser tromper par l'esthétique générale du jeu, et notamment son HUD qui nous rappelle que l'on est bien chez Polyphony Digital. Alors, qu'est-ce qui change, demanderez-vous judicieusement ? Eh bien, en fait, tout.
Gran Turismo Sport est extrêmement permissif. Mordre dans le gazon, ou rouler dessus, ne déséquilibrera pas votre voiture ; les contacts n'ont aucun impact et puisque la gestion des dégâts est inexistante, vous aurez finalement assez peu de remords à venir vous appuyer sur la portière d'un adversaire. Et que dire des transferts de masse, relativement mous et impactant finalement trop peu la conduite. L'impression de vitesse est là, mais on a souvent l'impression que les voitures sont collées à l'asphalte (merci le super appui aérodynamique), et que le jeu conduit pour nous, venant compliquer la tâche à l'occasion avec un soudain regain d'intensité. On se laisse d'ailleurs avoir ici et là, sur certains virages, tant on est persuadé que ce nouveau Gran Turismo ne nous bousculera pas trop si l'on change trop brusquement de direction. Mais claquer la Nordschleife en moins de 7 minutes dès la première tentative, quand le record actuel est de 6 minutes 48... On est loin de la subtilité des Gran Turismo précédents qui demandaient des heures d'entrainement pour afficher de telles performances.
Nous ne dirons pas ici que la conduite de Gran Turismo nous a déplu : elle est simplement différente, ce qui très subjectivement est assez décevant, car ce n'est pas ce que l'on attendait de lui. La conduite rappelle parfois celle d'un DRIVECLUB, ou d'un Forza Horizon, des titres grand public, avant tout basé sur le plaisir de conduire de belles voitures. Des jeux typés arcade, certes moins délurés qu'un Need For Speed, mais suffisamment généreux pour que le chaland puisse s'amuser rapidement. Mais ce n'est pas ce que l'on attend d'un Gran Turismo, clairement. Alors on se dit que, peut-être, Kazunori Yamauchi a d'autres plans pour la licence.
Il fut question pendant un temps de proposer Gran Turismo Sport en bêta, en amont de sa sortie. Un procédé classique, surtout pour un jeu donnant autant d'importance à sa partie online. Kazunori Yamauchi nous a néanmoins appris que cette bêta ne se tiendrait jamais, la faute à un agenda trop serré. Le manque de temps serait-il le seul responsable ?
Viser un nouveau public
Nous avons eu la possibilité de nous entretenir avec le grand patron de Polyphony Digital. L'homme semblait plutôt heureux, ce jour-là, et il faut dire qu'on le comprend : l'événement organisé pour fêter la présentation de sa nouvelle créature a de l'allure. Mais lorsque l'on évoque le prestigieux passé de Gran Turismo, et que l'on rappelle les progrès effectués par la concurrence ces dernières années, l'homme se rembrunit. Il nous explique alors que sa volonté n'a jamais été de dominer le marché, mais d'agrandir celui-ci. De toucher toujours plus de joueurs, de les intéresser aux sports automobiles.
C'est en gardant cela en tête que nous avons relu nos notes de la conférence et peut-être deviner les intentions de Polyphony Digital. C'est bien simple, les jeux de course intéressent de moins en moins de joueurs, et les quelques-uns restant se concentrent surtout sur des simulations plus ou moins pointues ; il faut donc reconquérir le grand public. Et cela pourrait donc passer par un jeu au nom prestigieux, toujours aussi sexy en apparence, mais à la prise en main plus aisée.
On retrouve d'ailleurs, dans le mode Campagne, des éléments qui ne trompent pas. Celui-ci comporte un vaste tutoriel, fait de leçons de conduite et de conseils en vidéo, et également une section intitulée, en anglais « racing etiquette », dans laquelle le joueur pourra apprendre les bonnes manières. Savoir quand et comment doubler, les manœuvres à éviter, comment revenir sur le circuit en cas de pépin… En somme on comprend que le jeu veut éduquer un nouveau public. Que cela déteigne sur la conduite, même lorsque toutes les aides sont désactivées, est sans doute un peu dommage : les fans de la première risquent d'avoir du mal à avaler la pilule.
Un jeu plutôt complet
Pourtant, Gran Turismo Sport n'a pas lésiné, en matière de contenu. Le jeu proposera à sa sortie en novembre prochain 19 destinations pour 27 tracés différents, et 137 bolides. Toutes disposent d'une vraie vue intérieure (on le précise car cela n'a pas toujours été le cas), et, GT oblige, on trouve un choix plutôt varié d'autos. Les voitures sont divisées en différentes catégories. On retrouve des petites voitures type Mazda Roaster S ou Golf VII, jusqu'à des modèles puis puissants (Lotus Evora, Nissan GT-R), ou encore des GT (Alfa Romeo 4C, BMW Z4…), jusqu'aux proto (Toyota TS030 Hybrid, Mazda LM5 Vision Gran Turismo). Toutes les voitures n'étaient pas présentes, sur la build présentée ce jour-là, mais la sélection nous a paru satisfaisante, et pertinente. Même si on imagine que les fans de Gran Turismo, habitués à faire leurs petites courses parmi des milliers de modèles, risquent de peu goûter au régime imposé au catalogue. On finit par se dire que, clairement ce public-là n'est plus la cible du studio...
Pourtant, le jeu semble penser à eux à chaque instant, conduite mise à part : le mode de jeu principal, Sports, est divisé en deux Coupes dont le fonctionnement vise clairement les amateurs de compétition en ligne, et donc plutôt un public d’aficionados du genre. Que vous décidiez de courir pour une marque ou votre pays de résidence, vous devrez suivre un planning bien défini qui chaque mois vous imposera de nouvelles épreuves, face à de nouveaux adversaires. Le jeu fait d'ailleurs bien attention à identifier votre niveau de jeu et vous proposer des adversaires à votre mesure. Notez que nous n'avons pas été en mesure de le vérifier par nous-mêmes : il s'agit ici des affirmations de Yamauchi ; nous devrons attendre la sortie du jeu pour le constater manette en mains.
Avec son système de qualification par régions, et ses différentes catégories de joueurs, Gran Turismo Sport lorgne clairement du côté de l'e-sport. Polyphony s'est d'ailleurs acoquiné avec la FIA et vous pourrez bientôt jouir de votre carte personnelle de pilote GT Sport. L'idée, là encore, c'est de faire du jeu une passerelle vers le véritable sport auto. Peut-être cela fonctionnera-t-il, peut-être pas. Quand on voit que Supercell a des envies d'e-sport avec Clash Royale, on se dit que ce nouveau Gran Turismo ne serait pas moins légitime... D'autant que le fonctionnement de Sport est vraiment séduisant.
Des bonus bienvenus
En furetant dans les différents modes de jeu de Sport, on comprend tout de même que le studio japonais ne se moque pas des joueurs : du contenu, il y en a. Outre les différents modes de jeu, notre œil s'est arrêté un moment sur le mode photo du jeu, baptisé Scapes. Bon, le fait que Yamauchi nous l'ait présenté pendant près d'un quart d'heure y est probablement pour quelque chose. Mais on comprend qu'il soit fier de Scapes : le résultat est franchement sympa. L'idée est simple : choisissez un spot (un petit millier sera disponible au lancement du jeu), placez-y une ou plusieurs voitures, jouez avec les différents effets proposés, et hop, prenez un joli cliché que vous pourrez ensuite partager sur les réseaux sociaux.
Petit coup de cœur pour l'éditeur de livrée, qui devrait nous permettre, en principe, de donner fière allure à nos bolides et de nous distinguer une fois en ligne. Car c'est vraiment là le cœur du jeu : alors tant qu'à éclater la concurrence, autant le faire avec style…. Ou avec son par-choc.
Comme l'on pouvait s'y attendre, Gran Turismo Sport ne nous a pas dévoilé sa partie « réalité virtuelle » lors de cet événement londonien. Nous avons pu interroger Kazunori Yamauchi sur la question, qui nous a répondu sans détour : l'intégralité du jeu sera compatible avec le PlayStation VR.
Un bon coup de polish… et vite
Car autant vous le dire, puisque le jeu ne dispose toujours pas vrais dégâts mécaniques et que les chocs ne sont absolument pas punitifs, vous risquez de passer un moment à admirer de près les carrosseries des voitures adverses… Ou le paysage. Vous vous rendrez d'ailleurs vite compte que le jeu ne fait pas honneur du tout à la puissance de la PlayStation 4. DRIVECLUB et Project CARS sont loin devant : c'est simple, on a souvent l'impression de voir une version lissée de Gran Turismo 6. Sans être laid, le jeu n'impressionne à aucun moment, même si certains effets de lumière sont plutôt réussis, et notamment les réflexions sur les carrosseries. En revanche, on remarque vite aliasing (particulièrement présent dans le menu de sélection de la voiture), clipping, et surtout tearing. C'est particulièrement vrai sur le Nürburgring, où le jeu souffre le plus : la densité de la végétation semble donner du mal à Gran Turismo Sport, dont le framerate, jusque là impeccable, commence à tousser ; les ombres et les éléments du décor apparaissent tardivement, les barrières scintillent...
La critique est sévère car Sport n'est pas une disgrâce visuelle. Mais l'on en attendait tellement plus d'une licence qui, depuis ses débuts, nous fait rêver grâce aux sublimes bolides qu'elle met en scène… Surtout pour ses premiers pas sur PlayStation 4.
Notez pour finir que côté son, le jeu ne fait pas forcément mieux : les moteurs manquent de pêche, voire carrément de fidélité (particulièrement probant sur des modèles tels que la GT-R Nismo que nous avons pu essayer). Les crissements de pneus, monocordes, ont tendance à agacer, car ils surviennent trop régulièrement, et surtout manquent cruellement de dynamisme. On espère que d'ici novembre, la bande-son du jeu aura été affinée.
Nous ne sommes qu'en mai et avant sa sortie, Gran Turismo Sport a largement le temps d'être peaufiné, et donc de s'améliorer. Si l'on doute assez peu que le jeu soigne son apparence d'ici novembre, il est peu probable que la conduite évolue beaucoup puisqu'il faudrait carrément revoir le moteur physique du jeu. Dans l'immédiat, le nouveau Gran Turismo semble surtout lorgner sur le très grand public, ce qui tranche clairement avec sa volonté de développer la compétition automobile vidéoludique, pourtant au centre du jeu. Alors, qui vise Polyphony avec ce nouveau titre ? On a du mal à comprendre où le studio veut en venir, mais s'il y a bien une chose dont on ne doute pas, c'est que les fans de la franchise risquent d'être déçus. Dans l'immédiat donc, le titre ne nous emballe que très modérément, même si l'on peut comprendre ce choix, ce nouveau positionnement. Pas sûr que tout le monde soit aussi ouvert d'esprit.