Indubitablement, Deus Ex est une licence culte. Née de la collaboration entre les studios Ion Storm, Eidos Interactive et de l’esprit créatif de Warren Spector, le premier volet de la licence aura vu le jour en 2000 sur PC. Acclamé autant par la critique que par les joueurs, l’univers dystopique de Deus Ex aura connu une suite, Invisible War, sortie fin 2003, moins appréciée tout de même que son illustre prédécesseur. Il aura fallu attendre 2011 pour voir renaître la franchise sous la houlette d’Eidos Montréal avec un Deus Ex : Human Revolution prenant des airs de reboot à l’esprit cyberpunk conservé. En février 2016, Adam Jensen son héros reprendra du service dans Deus Ex : Mankind Divided. Nous avons eu l’occasion d’approcher la toute première démonstration jouable du titre dans les locaux de son développeur.
Notre preview vidéo de Deus Ex : Mankind Divided
Augmentés, divisés !
En 2029, soit deux ans après les tragiques évènements de Human Revolution, les choses se sont gâtées entre les pro et anti augmentations. Suite au pétage de plombs en règle d’une bonne partie des humains augmentés, il règne sur Mankind Divided comme un lourd climat d’apartheid propice à une forme d'obscurantisme moderne que les artistes et développeurs d’Eidos Montréal ont retranscrit à la fois dans la trame du jeu, mais aussi dans sa direction artistique. Sublimée par un nouveau moteur graphique, le Dawn Engine, en grande partie basée sur le Glacier 2 d’IO Interactive déjà utilisé pour Hitman Absolution, ce nouvel opus offre un rendu plus détaillé que son prédécesseur. Les tonalités noires et or de Human Revolution sont reprises ; noir pour la prédiction d’un futur sombre et pour les hommes de l’ombre qui tirent en secret les ficelles, or pour l’espoir, le côté solaire de la technologie et d’une certaine façon un rappel à la figure d'Icare. Si on retrouve toujours cette atmosphère dans Mankind Divided, elle s'offre à nous de façon moins évidente. Car le progrès est à double facette, l’une synonyme d’évolution et d’espoir pour des millions de citoyens, l’autre plus sombre, entraînant jalousie, utilisation détournée de la technologie et rejet de la différence.
C’est dans ce contexte noir d’oeuvre d’anticipation que l’on retrouve Adam Jensen. Il ne fait désormais plus partie du service de sécurité de Sarif Industries, chose plutôt logique lorsque l’on sait où son travail l’a conduit à l’issu de l’épisode précédent. Sans spoil aucun, il est intéressant de vous signaler que les développeurs ont adoptés une trame canonique pour ce second opus. Certains choix de Human Revolution - dont votre ultime décision parmi les quatre fins possibles - seront en partie imposés ici. Au lieu de se rouler les pouces mécaniques en fumant des clopes sur son canapé de Détroit, Adam travaille désormais pour une organisation anti-terroriste luttant contre l’utilisation des augmentations à des fins militaires. L’univers de Mankind Divided risque donc fort d’être truffé d’intrigues politiques et de conspirations industrielles sur fond de racisme anti-augmentés de tous les instants.
Dubaï cash cash
Eidos Montréal a souhaité apporter plus de diversité aux décors visités dans cette suite. Le nouveau boulot d’Adam l’embarquera donc à travers le monde à la poursuite de terroristes et autres trafiquants d’augmentations. La démo jouable testée durant quelques heures nous aura permis de nous frotter à la toute première mission du jeu, dont l’action se situe dans une Dubaï ravagée par le conflit. Un décor plutôt inhabituel pour la saga qui démontre l’orientation artistique multi facettes voulue par le studio. Comme lors de la première mission de Human Revolution, le choix des armes nous est donné avant d’attaquer les choses sérieuses. Approche discrète et non létale avec un fusil incapacitant, ou moins planquée avec un bon vieux fusil d’assaut. Libre à nous de choisir notre arsenal de départ lors de la séquence d’introduction en navette de transport. Toutefois, rien ne reste jamais figé bien longtemps dans Deus Ex et il ne tient qu’à nous d’utiliser n’importe quelle arme récupérée dans le niveau pour modifier à tout moment notre style d’approche. C’est d’ailleurs l’un des principaux points d’amélioration de cette suite, conscients des faiblesses de la partie action de Human Revolution, Eidos Montréal s’est largement penché sur l’amélioration de toutes les méthodes d’approches possibles en mission. On commencera naturellement par vous parler de la plus appréciée d’entre elle, la discrétion.
S’il avait déjà été confirmé que tout Mankind Divided pourrait se finir sans abattre une seule cible - boss compris - il fallait pour cela doter le gameplay d’un panel d’outils adaptés à cette ambition. Voilà pourquoi le système de couverture s’est étoffé de nouvelles possibilités. Les déplacement à couverts se dotent désormais de fonctionnalités proches de celles des derniers épisodes de Splinter Cell dans leur esprit. Il suffit de pointer son viseur vers une planque (un angle, une caisse, une pallisade etc.) puis de presser une touche pour s’y diriger automatiquement. Le tout est désormais appuyé par un affichage de la trajectoire d’Adam sur le HUD. Plus simple à utiliser, le système fluidifie les phases d’infiltration et rend les déplacements furtifs plus efficients. Notre héros est toujours capable de se saisir d’un ennemi par surprise, que ce soit dans son dos ou par le côté afin de - au choix - l’assommer sans le tuer ou lui faire goûter de sa Nanolame intégrée à sa prothèse de bras. Le tout déclenche toujours une animation à la troisième personne contextualisée en fonction du décor à proximité et pouvant - suivant les goûts - briser quelque peu l’immersion conférée par la vue à la première personne.
Pas non plus enfermé dans sa bulle, Eidos Montréal n’est pas sans savoir que l’approche action de Human Revolution souffrait d’un réel manque de punch. La faute à des gunfights manquant de piquant et à une suprématie évidente de la furtivité portée à bras le corps par le level design des missions. La chose est d’autant plus paradoxale que les combats de boss du premier volet laissaient sur le carreau une bonne partie des joueurs ayant fait le choix d’investir leurs talents dans la discrétion. On se retrouvait donc avec de nombreuses phases bancales et des boss en dissonance avec l’orientation discrète prônée par le gameplay. Les critiques ont été entendes, Mankind Divided entend bien effacer cette frustration.
Deus Ex : Mankind Divided Trailer
Mankind Shooter
Pour les amateurs d’approche moins fine, Mankind Divided offre de bien meilleures sensations que son prédécesseur. Le jeu n’est certes pas voué à se transformer en shooter bas du front, mais les efforts sont palpables. Angles de visée retravaillés, sound design plus léché et modifications des caractéristiques des armes à la volée dans un esprit très Crysis participent à ce bond vers l'avant. On pourra par exemple changer de type de munitions ou modifier la cadence de tir d’une arme pour l’adapter à la situation. il ne manque que de meilleures sensations d’impact pour peut-être nous convaincre d’envisager une run arme à feu un jour ou l’autre. Bref, le jeu entend bien satisfaire tous les profils de joueurs.
Dubaï, majestueuse de décadence offre à cette première mission un cadre de choix pour nous (re)familiariser avec les contrôles du jeu. On y aura neutralisé des dizaines de gardes, piraté quelques consoles dans un mini jeu à quelque détails près similaire à celui du volet précédent et constaté que le nouveau moteur du titre a permis à Eidos de se lâcher sur la physique des objets dont la plupart peuvent être désormais agrippés et balancés à travers le décors pour créer d’ingénieuses diversions. Du côté de la gestion de la vie et de l’énergie, Adam régénère toujours automatiquement sa santé tandis que sa barre d’énergie gagne en souplesse dans son rechargement. Pour nous motiver à utiliser la totalité du panel mis à notre disposition, les capacités conférées par nos augmentations coûtent dorénavant moins chers et nos batteries se rechargent bien plus vite. D’autant que des pouvoirs, notre héros n’en manque pas dans cette suite.
C’est pour une augmentation ?
Le panel de pouvoirs lié aux augmentations d’Adam Jensen s'est pas mal étoffé dans cette suite. Que diable est-il arrivé à Adam durant les deux ans séparant Human Revolution et Mankind Divided ? On l’ignore pour le moment. Ce que l’on sait, c’est que le bougre a du repasser sur le billard pour upgrader ses différents implants et prothèses. Plus nombreuses, ses capacités gagnent ici en dynamisme, versatilité et "badassitude". Je pourrai par exemple vous parler de la nouvelle technique Nanoblade, cette lame en carbone intégrée à l’avant bras d’Adam que l’on peut maintenant envoyer à distance pour épingler un ou plusieurs ennemis au mur. Cette technique traduit à elle seule la philosophie de ce Mankind Divided. Car il faut savoir que cette lame peut aussi être chargée pour déclencher une explosion à l’impact. D’un outil de mort silencieux, la capacité se change donc en arme de destruction pas franchement discrète. Et il en va de même pour de nombreux pouvoirs dont l’utilisation a été pensée avec un impératif de versatilité en fer de lance.
On citera dans cet esprit le bouclier titan, sorte de nano-armure en polygones noirs capables d’absorber les dégâts pendant un court laps de temps. Pensée à la base pour être utilisée pour foncer dans le tas, elle pourra aussi sauver les miches d’un personnage plus orienté infiltration en cas de détection malheureuse. Eidos Montréal est aussi aller piocher dans d'autres gameplay pour doter Adam de nouveaux mouvements dont une projection en avant nommée Icarus Dash aux allures d’un certain Blink de Dishonored. Elle permet d’atteindre en un clin d’oeil un endroit éloigné sans attirer l’attention sur soi, ce qui est toujours fort pratique. Bref, vous l’aurez compris, notre héros a fait augmenter ses augmentations pour offrir plus de possibilités d’action au joueur.
Vertical no limit
Si Dubaï fut l’occasion de découvrir les nouveautés de gameplay, le second niveau de cette démonstration nous aura permis de les mettre en pratique contre l’organisation terroriste ayant investi un cadre chargé d’histoire, un opéra baroque dans le centre historique de Prague. Une mission pluvieuse, à l’architecture léchée et aux menaces nombreuses, que demander de plus ? Ce cadre impose deux constats, Mankind Divided a fait un grand bond technique par rapport à son prédécesseur, mais il n’a pas oublié d’être tout aussi ouvert en matière de possibilités d’approches dans son level design. Le niveau s’ouvre de nuit, dans une ruelle détrempée par une puissante averse. L’accueil s’annonce musclé, un garde en patrouille est en effet accompagné d’un lourd robot de sécurité à l’allure menaçante et pour couronner le tout, un tireur d’élite balaye la zone avec son sniper laser. Voilà le genre de situation posée comme un problème à résoudre au joueur impatient de mettre en oeuvre ses multiples talents.
Car c’est bien ici que réside la seconde richesse de la saga Deus Ex, sa construction de niveau offre de multiples approches, toutes plus ou moins adaptées à un style de jeu. Au lieu de foncer tête baissée au combat, pourquoi ne pas contourner discrètement par le côté pour tomber nez à nez sur un chariot élévateur apte à nous faire grimper sur le toit du bâtiment ? Un toit sur lequel on dénichera une grille d’aération nous permettant d’éviter l'affrontement direct avec la machine de mort en contrebas. Pour y parvenir, nous utilisons d’ailleurs le nouveau système de piratage à distance basé sur un mini-jeu de réflexe très facile à prendre en main. Une fois à l’intérieur, s’offre à nous l’immense salle de représentation du bâtiment envahie par un cortège d’hommes armés jusqu’aux dents. À nous donc de choisir une nouvelle fois l’approche à adopter, discrétion, neutralisation furtive, lancé de grenade dans le tas et phase de shoot à couvert ? Au joueur de composer avec ses outils et ses envies pour progresser. Eidos Montréal nous offrira donc avec Mankind Divied des missions truffées d’embranchements à explorer. Il n’existe pas de chemin prédéfini dans Deus Ex, tout y est question de choix.
Vous l’aurez compris, cette première approche de gameplay s’est montrée plus qu’encourageante pour la suite des choses. Le build présenté était la première version jouable par le public montrée par Eidos Montréal. Nous ne tiendrons donc pas pour définitifs les quelques problèmes rencontrés durant notre session de jeu. On peut citer parmi eux une IA ennemie encore un peu aux fraises une fois Adam détecté. Il est par exemple toujours possible de se planquer dans une pièce et d’attendre - arme au poing - que chaque adversaire fasse son entrée un à un pour les abattre d’une balle bien placée. De même, nous n'avons fait qu'effleurer la partie scénaristique du titre dans cette démo, on espère que le studio travaillera les à-côtés (quêtes et personnages secondaires) pour conférer à l’univers de Mankind Divided autant de richesse que son illustre ancetre.
Si Human Revolution était une relecture réussie de la saga Deux Ex, Mankind Divided devrait en corriger les principales lacunes. Plus profond dans son gameplay, plus ouvert que jamais dans ses possibilités d’approche et surtout bien plus avancé techniquement que son prédécesseur, le prochain jeu d’Eidos Montréal nous a séduit par ses évolutions pleine de bon sens apportées à une recette qui avait fait mouche en 2011. C’est un Deux Ex à l’ambiance plus sombre qu’il nous a été donné de tester durant quelques heures, un univers riche en promesses et en questionnements sur le transhumanisme. Tel un Icare moderne, l'homme semble s’être brûlé les ailes en voulant s'élever dans sa condition ; cette suite entend bien nous plonger avec brio dans cette chute. On attend donc de pied ferme février 2016, date de la sortie du jeu sur PC, Xbox One et PlayStation 4