Avec Dear Esther en 2012 puis Amnesia : A Machine for Pigs l’année d’après, le studio anglais The Chinese Room s’est spécialisé dans des aventures uniques tentant d’échapper au carcan vidéoludique. Aujourd’hui, Everybody’s Gone to the Rapture n’échappe pas à la règle, puisque cette exclusivité PS4, à sortir en dématérialisé, réunit les thèmes favoris des développeurs pour une expérience aussi radicale que hors normes…
L’exploration d’une île déserte afin de découvrir le passé du personnage principal (Dear Esther). Une plongée angoissante dans les bas-fonds londoniens en quête des enfants du héros (Amnesia). Un voyage post-apocalyptique dans un petit village à la recherche de ses habitants et de leur destinée tragique (Everybody’s Gone to the Rapture). Il ne fait aucun doute que les aventures développées par The Chinese Room s’avèrent à part, tant sur leur gameplay minimaliste que sur leur volonté de privilégier l’ambiance. Pour le directeur créatif Dan Pitchbeck, le but reste d’ailleurs avant tout de raconter et de susciter des émotions au travers d’histoires tragiques, tout en instaurant une atmosphère bien spécifique. Evidemment, tous les joueurs ne sont pas sensibles à cet argument et aux jeux du studio. Et d’ailleurs nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas franchir le seuil de leur univers, tant ce dernier sort des sentiers battus. Mais pour les individus passant le cap et se laissant guider, l’expérience apparaît alors intense. En tout cas, c’est l’impression que donne Everybody’s Gone to the Rapture, à l’issue de la démo d’une petite demi-heure à laquelle il a été possible de jouer…
REFERENCE A LA SF DES 50’S
La fin du monde. Voilà le background de cette aventure en vue FPS qui plonge le joueur en juin 1984, au sein du petit village de Yaughton perdu au cœur de la campagne anglaise. L’endroit paraîtrait idyllique, avec ses jolies maisons et ses jardins bien entretenus, s’il n’était pas complètement vidé de ses habitants. Comme si, soudainement, le temps s’était arrêté et toutes les âmes qui y vivaient s'étaient volatilisées. Effectivement, une tragédie a bien eu lieu et c’est au joueur de la découvrir progressivement en visitant chaque lieu accessible. Auteur du scénario et du design du jeu, Dan Pitchbeck affiche clairement son inspiration des auteurs de science-fiction anglais des années 50 et 60, comme John Christopher (Terre brûlée), John Wyndham (Le Jour des Triffides) ou encore Charles Eric Maine (The Tide Went Out). Ici, place à une science-fiction suggestive, non démonstrative, qui passe par la découverte de l’environnement, le tout mené sur le ton de la confidence. La lenteur de l’aventure semble d’ailleurs participer à ce sentiment de devoir comprendre la nature humaine en jeu en appréhendant les rapports entre les divers protagonistes. Pitchbeck rapproche d’ailleurs ce rythme délibérément lent du cinéma d’Andreï Tarkovski (Andreï Roublev, Solaris…), proche de la terre et du réel, dont il est très fan…
Concrètement, le joueur peut se donc se promener en vue subjective, grâce aux deux joysticks analogiques gérant respectivement le déplacement et la vue, partout où il veut dans ce village. Enfin, presque partout. Car tout ne semble pas accessible. Ainsi, outre certaines portes de maison qui restent closes sans raison, certains endroits à l’extérieur paraissent impossibles à atteindre. Par exemple, il est impossible de passer sous le pont surplombant le ruisseau qui traverse le village puisque ce dernier semble bloqué par un mur invisible. Alors que le joueur peut marcher dans l’eau au début tout à fait normalement. Dommage, d’autant que sur le papier, les développeurs promettent un monde ouvert. Cela dit, inutile de pinailler sur ce genre de détails, car cela n’a aucune conséquence sur l’histoire et n’entrave pas le gameplay. Ce dernier s’avère d’ailleurs on ne peut plus simple : une touche sert à interagir sur l’environnement (ouvrir une porte, décrocher un téléphone…), tandis que la fonction Sixaxis de la manette est mise parfois à contribution. Voilà tout.
UNE BANDE-SON EXCEPTIONNELLE
Au fil de son exploration des demeures, jardins et bâtiments déserts, le joueur tombe parfois sur quelques documents à lire, mais surtout est amené à écouter plusieurs dialogues révélant petit à petit la teneur du scénario. En général, les endroits qui sont susceptibles de révéler des informations sonores sont indiqués par une espèce d’aura lumineuse à l’approche du joueur. Jouer avec un casque sur les oreilles est à ce titre fortement conseillé pour ne pas perdre une miette des dialogues, mais surtout parce que la spatialisation du son s’avère très bien retranscrite. De plus, les voix anglaises - qui devraient être traduites dans le jeu final - se révèlent excellentes, tout comme la musique, sublime car empreinte de nostalgie et de fatalité, composée par la codirectrice de The Chinese Room, Jessica Curry. Petit à petit, le joueur voit donc la tragédie se dessiner devant ses yeux et ses oreilles. Ainsi, via une cabine téléphonique, une chambre à coucher ou une salle de réunion improvisée dans un gymnase, il peut entendre les échanges entre diverses personnes et rassembler mentalement des morceaux du puzzle sur les évènements (village mis en quarantaine, Apocalypse en devenir, impossibilité de sortir de chez soi…).
L’émotion s’avère d’ailleurs particulièrement vive lorsqu’il s’agit d’écouter, par exemple, non loin d’un canapé, les derniers mots d’un couple apeuré mais amoureux comme au premier jour et qui se sait hélas condamné. Et puis, de temps à autre, des boules lumineuses en lévitation surgissent de nulle part, comme le symbole des âmes des habitants, et traversent le décor pour venir se figer en un endroit précis. Celles-ci semblent indiquer les dialogues les plus importants, tout du moins ceux qui font avancer l’histoire. C’est à ce moment précis qu’entre en jeu la fonction Sixaxis de la manette puisqu’il faut orienter cette dernière pour stabiliser le son. Comme si le joueur devait chercher une fréquence radio. Le résultat déclenche alors un monologue ou un dialogue un peu plus long qu’à l’accoutumée, ainsi qu’une forte aura blanchâtre qui se transforme au final en de multiples papillons de lumière. Aussi poétique qu’étonnant…
Selon les développeurs, le monde ouvert de cette aventure offre six grandes zones à découvrir au fil de l’histoire. Celle qu’il a été possible d’explorer offre par exemple outre plusieurs maisons un large terrain de rugby, un cimetière ainsi qu’une église close semblant contenir quelque chose de puissant. Mais il y a aussi un petit portail donnant sur un sous-bois qui permet de monter au sommet d’une colline et ainsi de dominer la plaine. Malheureusement, il semble que la démo ait montré à cet endroit ses propres limites car l’action, parfaitement fluide auparavant, s’est mise à saccader et le jeu à ramer sévèrement. Autre signe indiquant que le jeu est toujours en cours de développement : la plaine, elle-même, est représentée de manière très sommaire, surtout comparé aux graphismes beaux et détaillés en vigueur dans le reste de l’aventure. Quoi qu’il en soit, Everybody’s Gone to the Rapture offre pour l’heure une expérience unique et fascinante qui semble dépasser le simple cadre du jeu vidéo.
Derrière l’esthétique enchanteresse d’Everybody’s Gone to the Rapture semble se cacher tout à la fois un récit de science-fiction hérité des années 50, une tragédie humaine bourrée d’émotions et une aventure vidéoludique dotée d’un gameplay ultra minimaliste. S’il est clair que ce genre de titres ne pourra pas plaire à tout le monde à cause de ses partis pris (sans oublier ses petits défauts techniques pour le moment), en revanche il ne devrait laisser personne indifférent grâce à la qualité et à l’intensité de son écriture et de sa bande-son. A mi-chemin entre le village de la série Le Prisonnier et la petite ville de Twin Peaks, Yaughton semble donc inviter le joueur à parcourir ses moindres recoins afin de vivre une expérience sensorielle aussi mature qu’envoûtante. Bref, un vrai coup de cœur…