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Censé fêter dignement le vingtième anniversaire de la série Tales of, Tales of Zestiria a, on peut le dire, quelque peu gâché la fête puisque depuis sa sortie japonaise et malgré les 400.000 ventes en partie justifiées par une communication toujours très efficace de la part de Bandai Namco, il s’attire la foudre d’un public japonais d’habitude indulgent et pourtant ici très remonté contre des aspects vraisemblablement révoltants. Tentons de faire la lumière sur les qualités et les défauts d’un titre d’ores et déjà controversé et d’éclaircir « le problème Zestiria ».
Un open world raté
Tales of Zestiria, c’est tout d’abord plein de questions que l’on se pose alors même que le jeu nous est montré pour la première fois : pourquoi sortir un jeu sur PlayStation 3 en 2015 ? Parce que cette console est installée dans énormément de foyers japonais et à défaut d’être un console-seller, le jeu pourra en profiter pour bien se vendre. Pourquoi le jeu est-il visuellement aussi pauvre ? Parce que, nous explique-t-on, il s’agit pour la toute première fois d’un Tales of en monde ouvert ! Une terre gigantesque à parcourir ! Et, pour la toute première fois de la série, des combats ayant lieu directement dans l’environnement visité, sans transition ! Beaucoup de belles promesses pour le Tales of censé redorer le blason de la série avec deux épisodes Xillia étant loin d’avoir fait l’unanimité.
On le sait, les graphismes ne font pas tout. Certes, un jeu n’a pas besoin d’être sublime pour offrir une bonne expérience, encore moins pour être agréable à prendre en main. Mais l’indéniable concernant Tales of Zestiria est qu’il a très clairement près de dix années de retard sur son temps. Graphiquement et techniquement, Tales of Zestiria n’est pas seulement simple et terne, il est aussi très vide, très alliasé et très limité. On se promène dans des environnements vides, qu’il s’agisse des donjons quasi-uniquement composés de couloirs droits angulaires ou surtout des parcelles de terrain qui frôlent le ridicule tant leur exploration n’aboutit à rien. Visuellement indignes de la PlayStation 3, ils sont rendus ridicules par des éléments du décor (buissons, rochers…) qui apparaissent subitement quand on s’approche de 20 mètres alors qu’on devrait les voir depuis 500 mètres.
Encore plus que dans Tales of Xillia d’où il est tiré, le moteur graphique est mis à mal et souffre fréquemment de ralentissements, de perte de FPS et d’animations ultra-saccadées pour les animaux et les humains vus de loin. Certes, un RPG en monde ouvert demande énormément de ressources, mais soyons d’accord sur trois points : Xenoblade sur Wii (console techniquement de génération précédente) était immensément plus vaste, plus riche et mieux optimisé (comparer les deux jeux en permanence permet de comprendre à quel point Zestiria est au fond niveau technique) ; les environnements de Zestiria sont limités par des murs invisibles, peu permissifs et non-exploitables ; en conclusion, Tales of Zestiria n’est pas un RPG en mode ouvert. Ce n’est qu’un RPG aux environnements bien plus vastes que dans Xillia, certes et c’en est un point positif indéniable, mais en aucun cas une aventure libre dans un monde immense à explorer à son gré.
Un système de combat anecdotique et brouillon
Tales of Zestiria, c’est aussi une pléthore de bugs, de problèmes de collision, de moteur physique et surtout de caméras. Sans même prendre la peine de parler des menus qui parfois indiquent qu’il faut appuyer sur O pour annuler et sur O pour valider (ont-ils pensé à tester le jeu avant de le sortir ?), c’est dans les combats que la fête bat son plein. Avec Tales of Zestiria, le système LMBS permet soi-disant de se battre directement contre ses ennemis à l’endroit même où on les rencontre. Dans les faits, le combat prend effectivement place entre les murs entourant vos déplacements, mais une mini-transition passant le jeu en mode Combat a bel et bien lieu, c'est à ce moment là que les ennemis ainsi que vos alliés se déploient en sortant de vous. De manière plus triste, on regrette que le traditionnel écran de victoire n’ait quant à lui pas été supprimé : quel intérêt d’amoindrir au maximum la transition au début du combat de manière à conserver le rythme de l’exploration pour totalement le rompre à la fin d’un combat ? Pourquoi ne pas utiliser l’interface de résultats parfois très bien appliquée sur l’écran de déplacements à la fin de chaque combat ? Bref, une idée de dynamisme sympa mais gâchée par des choix contradictoires dans la mise en scène des affrontements.
En vérité, ce qui dérange surtout avec les combats de Tales of Zestiria, c’est leur mise en scène. Très influencé par celui de Tales of Graces (dont le jeu s’inspire beaucoup en général), le système LMBS est ici très flou, très brouillon. Aucun personnage, héros ou adversaires, n’a de consistance physique puisque tout le monde se passe à travers, et pour cause, l’aire du champ de bataille est souvent très restreinte. Les déplacements et attaques sont mal optimisés, lourds, on a clairement l’impression de jouer à une démo d’essai de ce qui aurait ensuite abouti au LMBS de Tales of Graces, meilleur à tous les niveaux. Le pire étant indéniablement la caméra qui, si la rixe a lieu trop près d’une cloison ou d’un buisson un tant soit peu touffu, devient incontrôlable et rend l’action tout bonnement illisible tant elle zoome à fond, percute les murs, se colle au sol ou parfois se coince dans la physique vide d’un ennemi. Le constat est surtout terrible quand on joue à plusieurs joueurs, ce qui pour le coup est très fortement déconseillé et quoi qu’il en soit peu encouragé par Zestiria puisque le système de fusion « Kamui » répète la même erreur que les liaisons de Xillia, à savoir mettre en scène des combats de deux véritables joueurs plutôt que quatre comme il est habituellement le cas dans la série.
De toutes façons, dans Tales of Zestiria, créer son équipe ne signifie plus rien, puisqu’on est obligé d’avoir pour chaque humain obligatoirement en combat un Tenzoku correspondant. Concrètement, si votre groupe est composé d’un seul humain (Sorey) et de trois Tenzoku (Mikleo, Lailah et Edna), ce qui arrive souvent, vous ne pourrez combattre qu’avec Sorey et un Tenzoku de votre choix, soit deux personnages seulement au combat alors que quatre sont de la partie. Pas très bien pensé, tout ça… Alors oui, en somme, Tales of Zestiria est visuellement, techniquement et sur le plan des combats franchement raté, et c’est ce que beaucoup lui reprochent tant et si bien que certains l’appellent « le jeu le plus moche de 2015 sur PS3 », un titre mérité ou non qui n’aura en tout cas pas été volé. Bandai Namco a toujours peaufiné ses Tales of, en a toujours soigné l’aspect visuel et dispose surtout de gros moyens pour développer ses jeux ; Tales of Zestiria n’a manifestement pas bénéficié d’une telle attention et ressemble clairement à un jeu sorti non fini, sans même être passé par la case test… On imagine bien que les trois monstres « open world » 2015 que sont Xenoblade X, Zelda Wii U et Final Fantasy XV face auxquels Zestiria aurait paru ridicule ont précipité sa sortie et donc son développement. D’ailleurs, pas étonnant qu’un DLC scénario, polémique, soit annoncé immédiatement après la sortie du jeu pour corriger le problème « Alisha », héroïne principale très absente de l’équipe, ce qui ne plaît pas aux Japonais qui visiblement oublient que cela s’est déjà souvent vu dans la série, tout autant que des héroïnes non jouables d’ailleurs.
Une mise en scène néanmoins de grande qualité
MAIS. Et c’est là que votre lecture devient intéressante. Mais oui, car il y a un mais, un mais que malheureusement le Japon enragé n’a que trop peu cité ou peut-être seulement étouffé par sa colère. Mais Tales of Zestiria, ce n’est pas que ça. Tales of Zestiria, c’est également plusieurs bonnes idées, innovantes et parfois très réussies. Tales of Zestiria, c’est surtout une mise en scène scénaristique absolument bluffante, jamais vue dans un Tales of et qui rend la narration du conte plus agréable que jamais. Là où Tales of Xillia balbutiait encore dans sa bonne volonté de diversifier les plans de caméra et d’améliorer grandement la gestuelle des protagonistes, Tales of Zestiria termine le travail commencé et jouit de conversations très dynamiques, éternellement appuyées par l’excellence des voix japonaises qui doublent un lot de personnages très différents et charismatiques (bien plus que dans les deux Xillia, avis personnel). On reste certes très en deçà des merveilles de la motion capture visibles dans les grands AAA américains, mais on se satisfait des animations de Zestiria qui suffisent à rendre les visages des héros très expressifs, bien plus qu’auparavant. (même si oui, la bouche de Sorey ne se ferme jamais quand il prononce des phrases, on a essayé, vachement difficile.)
En réalité, c’est surtout l’absence totale de transition entre un déplacement et l’enclenchement d’une scène narrative qui impressionne. Au début comme à la fin de la conversation. On marche, le jeu prend le contrôle du personnage sans changer le cadre visuel et a déjà commencé la conversation sans que vous ne vous en rendiez compte, et vous redonne ensuite la manette sans la moindre coupure d’écran et donc de rythme. A ce niveau-là et indéniablement, Tales of Zestiria surprend là où on ne l’attendait pas du tout. En voilà un aspect soigné et très réussi ! Finalement, c’est bien sur la narration du scénario et non pas sur les combats que le jeu accomplit sa volonté de mener une aventure rythmée et intéressante. Et pour le coup, tous les défauts du jeu, indéniables oui et parfois ridicules, peuvent ne passer qu’au second plan puisqu’on se passionne pour cette aventure à laquelle on prend part. Le cadre certes limité n’est plus une fin en soi, mais un décor que l’on explore avec plaisir, pas pour ce qu’il est, mais pour l’aventure au sein de laquelle on le découvre. Et c’est ça, le véritable point fort de Tales of Zestiria, celui qui est trop peu montré puisqu’il ne saute pas aux yeux et dont en entend que trop peu parler, puisque c’est bien au fil de l’aventure et non pas en zieutant un rocher à l’ombre ultra-alliasée qu’on le découvre.
L’histoire de Sorey, c’est celle d’un jeune humain vivant parmi les Gens du ciel (Tenzoku) habituellement invisibles mais que lui seul peut voir. Passionné par les ruines anciennes et notamment par la légende du Prophète dont l’avènement sauverait l’humanité, il descend pour la première fois de ses nuages pour sauver la jeune Alisha qu’il a tout juste rencontrée et par la même occasion pour découvrir le monde d’en bas. Ce monde, c’est celui de Greenwood, très inspiré des légendes arthuriennes dont sont issus beaucoup de termes (Table ronde, Dame du lac, Galaad, Camelot…) et qui est la proie de Démons (Hyôma) transformant les hommes en monstres. Devenant lui-même le fameux Prophète, Sorey va découvrir le pouvoir de fusionner avec les Gens du ciel et devra répondre des lourdes tâches qui lui incombent ; c’est l’occasion de traverser les continents et surtout de découvrir une pléthore de personnages singuliers, tous très travaillés. Mention spéciale à la mystérieuse guilde assassine des « Os du Vent », l’émanation même du charisme ! Et si nous terminons notre aperçu de manière inaccoutumée par la présentation du scénario, c’est bien parce que c’est ce qui doit vous donner le plus envie dans Tales of Zestiria, ce qui doit justifier votre intérêt pour le jeu et pourquoi pas contrebalancer l’image peut-être déjà négative que vous avez de lui. D’ailleurs ça tombe bien, il est attendu pour le courant de l’année 2015 en France.
Indéniablement, Tales of Zestiria souffre d’une réalisation datée et peu soignée. Graphismes pauvres, monde ouvert superficiel, combats limités… Le jeu paraît sur beaucoup d’aspects non terminé, d’autant plus quand on sait qu’il sort onze mois avant le vingtième anniversaire de la série Tales of qu’il est censé fêter. Mais en s’attardant davantage sur ce qu’il propose, on se rend compte que la pépite ne se trouve pas là où on l’attendait : c’est très clairement dans la mise en scène du scénario et dans sa narration que Tales of Zestiria bluffe, impressionne, et pousse à continuer l’aventure, la rend vraiment agréable à vivre. C’est au final un véritable gâchis, car si le jeu avait bénéficié d’un véritable développement appliqué, il aurait été excellent ; assurément le meilleur Tales of de ces cinq dernières années.