Avec Dead Synchronicity, le studio espagnol Fictiorama entend proposer une approche originale et mature du genre point’n click, en dépeignant une société post-apocalyptique en proie à tous les maux et en faisant de son héros un être prêt à tout pour découvrir sa propre identité…
Financé à la suite d’une campagne réussie – à hauteur de 50.000 $ - sur Kickstarter, Dead Synchronicity est l’œuvre du studio espagnol indépendant Fictiorama composé de quatre personnes, dont trois frères amateurs depuis toujours de point’n click et notamment des Chevaliers de Baphomet et de Day of the Tentacle. Edité par Daedalic Entertainment qui prévoit de le sortir courant mai 2015, le jeu propulse le joueur dans une aventure divisée en quatre gros chapitres. Celle-ci se déroule dans un univers post-apocalyptique, après que de multiples catastrophes naturelles ont frappé la Terre et que ses habitants ont été infectés par une étrange maladie rongeant le corps jusqu’à sa dissolution. Michael, héros de l’histoire, est en quête de sa propre identité mais aussi des causes ayant déclenché ces événements dramatiques…
UN GAMEPLAY CLASSIQUE
Point’n click oblige, la maniabilité apparaît relativement simple et accessible puisque tout se gère uniquement à l’aide de la souris. En effet, Michael se déplace automatiquement à l’écran là où le joueur clique, tandis que le curseur change de forme à chaque fois qu’il est possible d’effectuer une action. Ainsi, logiquement, à l’apparition des symboles de la bouche, l’œil et la main - bien visibles à l’écran -, Michael est capable respectivement de parler avec un personnage, d’examiner un objet et de s’en saisir afin de le placer dans son inventaire. Ce dernier, sous forme de mallette située en haut à gauche de l’écran, permet de combiner certains objets simplement en les déplaçant l’un sur l’autre. Mais il contient aussi un notebook qui donne régulièrement des indications sur le passé du personnage, un petit sifflet sonore prévenant à chaque fois de l’arrivée de nouvelles informations. Lorsqu’un dialogue s’engage, la caméra zoome sur les protagonistes et il y a généralement plusieurs réponses possibles. L’avantage est que cela aboutit parfois à des séquences différentes. Car les développeurs assurent qu’il y a plusieurs moyens d’explorer l’aventure et de parvenir à compléter chaque but. De toute manière, en cas de trop grande difficulté face à certains puzzles, ceux-ci prévoient d’implanter la possibilité de faire apparaître à l’écran tous les éléments sur lesquels il est possible de cliquer. En l’état, les premières séquences jouées n’apparaissent pas trop compliquées, même si certains choix étonnent par la suite du fait de leur radicalité…
UN UNIVERS DERANGEANT
S’il se dégage un certain malaise de Dead Synchronicity, c’est d’abord à cause de son esthétique en 2D qui fleure bon l’expressionnisme avec ses personnages élancés, déformés et inquiétants. Un style dépressif qui ne plaira pas à tout le monde mais qui a au moins le mérite de conforter pleinement l’horreur des situations. Comme en témoigne cette séquence se déroulant dans « le parc des suicides » où se trouvent des dizaines de pendus aux arbres. Michael est amené à visiter ce lieu après que deux enfants, accusés d’avoir tiré sur un garde au lance-pierre, sont sur le point d’être froidement exécutés. Le but de Michael est de trouver, au milieu de dizaines d’autres corps, le cadavre d’un révérend qui était aussi dingue que dangereux, puis de placer le lance-pierre des enfants dans sa poche afin de le faire accuser. Pour éviter que le révérend soit reconnu, Michael entreprend alors de brûler son visage et même, quelques minutes plus tard, de le défigurer complètement en le découpant à l’aide d’un morceau de miroir (!). Assurément, on est bien loin ici des contes de fées et autres histoires enfantines. D’autant que le héros, tout comme le joueur, se retrouve parfois victime des événements sans rien pouvoir faire, à l’instar de ces flashs soudains qui troublent l’écran et font tout disparaître autour de Michael…
Il ne fait aucun doute que cette aventure, en dépit de son genre assimilé trop souvent à un univers sympathique et bon enfant, n’est pas à mettre en toutes les mains. Mature et dérangeante, elle semble aborder frontalement certains thèmes douloureux (l’exploitation humaine par autrui, la violence comme seule solution…) à travers des scènes d’une intense noirceur. Ainsi, au détour d’un chemin, Michael croise deux types qui, l’air de rien, semblent exploiter une jeune femme en vendant ses charmes à des clients dans un camping. Pas si étonnant dans l’univers glauque de Dead Synchronicity où chacun n’est ni tout blanc ni tout noir et où, hélas, la loi du plus fort prime. Dommage néanmoins que l’aventure soit un peu desservie par certains dialogues qui se superposent maladroitement à l’écran et par des animations rachitiques et souvent identiques au niveau des décors et des personnages. Cela n’enlève toutefois rien au mérite du jeu qui offre dans le fond une expérience inhabituelle en matière de point’n click…
Philip K. Dick, Tarkovski, Terry Gilliam mais aussi le cinéma de genre « giallo » caractérisé par les slashers italiens stylisés des années 70 et 80 et représenté à l’époque par le réalisateur Dario Argento (Ténèbres)… Telles semblent être les influences scénaristiques et stylistiques véhiculées par Dead Synchronicity. D’ailleurs, la bande-son – si elle se fait un peu trop discrète – évoque clairement le travail musical de Goblin, groupe phare des années 70 ayant justement œuvré dans le « giallo » avec notamment Les Frissons de l’angoisse et Suspiria. Bref, avec toutes ses références et ses graphismes expressionnistes particuliers, inutile de préciser que cette aventure très adulte ne peut résolument pas être du goût de tout le monde. D’autant qu’il s’agit là d’un point’n click, genre considéré par beaucoup comme mineur. Mais il n’empêche que les amateurs d’œuvres à part devraient bien y jeter un coup d’œil. Verdict final lors du test…