En 2016 sortait The Town of Light, exploration horrifique de la santé mentale signée LKA, un petit studio de dix employés implanté aux portes de Florence. Ces aficionados du genre psychologique s’apprêtent cette année à publier leur deuxième histoire : Martha is Dead, proposition davantage ambitieuse et fruit de plusieurs années de développement. Giulia, fille d’un haut gradé de l'armée nazi, découvre un jour de juillet 1944 le corps noyé de sa jumelle Martha. Elle se lance dès lors à la recherche de la cause du décès.

Body horror pour walking simulator

"Déconseillé aux joueurs susceptibles d'être gênés par des illustrations contenant du sang, des démembrements, la défiguration de corps humains, une nudité mineure et des actes d'automutilation". L’avertissement est lancé au générique du jeu. Si Martha is Dead appartient plus au registre du thriller psychologique que de l’épouvante, il ne lésine pas en effet sur le body horror. Dès ses premières heures, nous voilà affairés à mutiler le cadavre de notre sœur jumelle pour confectionner un masque à partir de la peau de son visage façon Leatherface. Un acte métaphorique de Giulia qui espère reprendre l'identité d'une enfant qui a toujours été la favorite. Les séquences brutales tachent le tableau paisible et estival de la campagne toscane. L’atmosphère est posée. Et si elle peut naturellement retourner certains estomacs fragiles, elle érige surtout un spectacle qui se promet captivant, oscillant entre la beauté de décors arides et les plans de chair pullulante.

Ma principale inspiration est le cinéma. En particulier les films d'horreur.

Avec l'inspiration, je veux dire : faire l'expérience de quelque chose, le digérer, lorsque vous digérez, vous modifiez profondément la nourriture, en la faisant faire partie de vous, de votre héritage, puis vous utilisez votre propre expérience et votre sensibilité pour vos créations.

En ce sens, toutes les expériences sont une source d'inspiration, mais vous sentez que certaines d'entre elles sont plus importantes que d'autres - Luca Dalco, directeur artistique de LKA

Hautement narrative, l’expérience est proche d’un walking simulateur un poil rigide et non dénué de quelques interactions essentielles. D’un point de vue introspectif, le jeu explore la perte d’une protagoniste abandonnée à un traumatisme qui brouille les frontières entre la réalité et la superstition. S’ajoute à cela un cadre particulier, planté du côté italien et allemand de la Seconde Guerre mondiale. Martha is Dead en retire un mystère assez fascinant dont les couches se dévoilent à un rythme juste, le jeu misant à raison sur des séquences toujours très courtes. Chaque chapitre vous charge d’une poignée d'objectifs qui vous encouragent à explorer la demeure de Giulia et la forêt environnante. Quand vous n’êtes pas en quête d’un objet, vous avez régulièrement la tâche de capturer des clichés et de les développer dans une chambre noire ; l’activité, très appréciée par notre protagoniste, ravive des souvenirs ou de nouvelles vérités utiles au déroulé de l’intrigue. Et LKA lui a accordé une certaine profondeur : selon le décor photographié, il faut varier le filtre et l’objectif, puis paramétrer l’exposition et la luminosité. Une jolie attention. Le développement au compte-gouttes de chaque image se montrera en revanche assez fastidieux au bout de quelques heures. En termes d'interactivité toujours, nous retiendrons parallèlement un choix moral très intéressant à effectuer en cours d'aventure ; Attendons de voir s'il y en aura d'autres et si le jeu proposera quelques variations de gameplay séduisantes. Comptez 6 à 9 heures pour boucler l'aventure complète.

La beauté toscane

En marge d’une narration prédominante, Martha is Dead est un jeu d’ambiance, laquelle doit beaucoup à un travail sonore brillant. Giulia progresse au fil de mélodies lugubres et envoûtantes, parfois chantées, tandis que les radios d’époque laissent également échapper quelques classiques réinventés, comme O Bella Ciao. Aussi LKA se targue de proposer le premier jeu indépendant à paramétrer par défaut l’italien comme langue maternelle. Le doublage est un véritable plaisir pour les oreilles. D’autant qu’il profite d’une traduction française très aboutie. Les ambitions cinématographiques sont quant à elles assouvies par de superbes plans, mises en scène et une photographie souvent impeccables. Le studio nous gratifie enfin d’environnements photoréalistes qui, couplés à un contexte historique et à une vue à la première personne, cochent avec brio la case immersion. On regrettera seulement quelques temps de chargement un peu trop longs. La configuration recommandée est composée d’une GeForce GTX 1060 ou d’une carte AMD RX 580 pour 2GB de VRAM, sans quoi vous progresserez au péril d’une qualité d’expérience trop ternie. Ajoutons enfin que le jeu s’accompagne d’un support bienvenu de l'ultra wide.

J'aime l'horreur lorsqu'elle essaie de faire autre chose qu'effrayer avec des visions et des sons soudains.
Je pense que c'est un genre très intéressant et important pour sa capacité à déstabiliser le public et, à travers cela, à couvrir des histoires et des sujets déstabilisants.

Ces dernières années, j'ai vu beaucoup de très bons films d'horreur, très différents des standards hollywoodiens, vieux et dépassés. J'ai l'impression que le cinéma est en train de créer un nouveau sous-genre prometteur en ce qui concerne les films d'horreur.

J'espère que cela se produira également pour les jeux vidéo ! - Luca Dalco, directeur artistique de LKA