Rares sont les jeux à avoir provoqué un tel ascenseur – orbital – émotionnel auprès de fans normalement acquis à sa cause. Halo Infinite a créé une attente démesurée en promettant à la fois un retour en source et une aventure exceptionnelle. Mais entre sa bande-annonce sensationnelle diffusée à l’E3 2018 et sa vidéo de gameplay ratée dévoilée au Xbox Showcase 2020, il y avait un monde au moins aussi gros que la planète Reach. Repoussé en catastrophe, le jeu de 343 Industries s’est enfin laissé approcher à moins d’un mois de sa sortie officielle. Est-ce que nos premières missions en compagnie de Master Chief ont réussi à dissiper le sombre nuage de nos doutes ?
Nous avons pu jouer pendant plus de 5 heures à la campagne solo de Halo Infinite, en difficulté Héroïque, sur une Xbox Series X branchée à un écran OLED. Nous avons terminé les quatre premières missions principales et parcouru une (petite) partie du Halo Zêta. Cet aperçu ne comporte aucun spoiler de l’histoire principale.
Il était une sixième fois
Lancer la campagne d’Halo Infinite pour la toute première fois fait un drôle d'effet. Depuis sa première présentation (ratée) au Xbox Showcase 2020, le solo du titre conçu par 343 Industries s’est fait plus que discret. Devenu la risée d’un Internet brandissant des images de “Craig”, la Brute au visage impayable, il a mis Microsoft dans l’embarras. Tellement que la firme de Redmond a préféré repousser d’un an la sortie de ce soft qui devait normalement accompagner la sortie des Xbox Series X|S. Oui, Halo Infinite a eu une gestation compliquée et oui, le peu d’informations données sur la campagne a nourri les craintes. “Alerte, brèche détectée” scande une voix rocailleuse dans le cockpit sombre d’un Pélican. La scène qui se joue à l’écran est en fait celle montrée à l’E3 2019. Un pilote (Echo 216) visiblement en mauvaise posture récupère un Master Chief à la dérive dans l’espace. Cet extrait que les fans de Halo connaissent par cœur à force de l’avoir visionnée sur YouTube tourne ici avec le moteur du jeu, comme cela fut initialement promis il y deux ans. En mettant les deux séquences côte à côte, nous notons que les éclairages ont quelque peu perdu en précision, et que le visage du pilote est légèrement moins impressionnant. Néanmoins, cette scène insiste sur un point technique que nous n’avons pas l’habitude de voir dans un jeu Halo, à savoir des expressions faciales détaillées capables de véhiculer différentes émotions. En quelques secondes, le joueur enfile le casque du célèbre Spartan et se propulse vers une mission qui semble perdue d’avance, non sans avoir auparavant vérifié les fonctions motrices du super soldat dans la plus pure des traditions de l’UNSC. Halo Infinite est bourré de clins d’oeils destinés aux fans de la série, et c’est une bonne chose.
L’effet Halo
Halo, c’est un peu comme le vélo : ça ne s’oublie pas. Quand bien même ce dernier serait propulsé au kérosène et disposerait de gadgets assez costauds. Il ne suffit que de quelques minutes pour retrouver ses réflexes de démon : on change d’arme avec “Y”, on balance des grenades avec “LB”, on saute, on sprint, on slide. Le gameplay des affrontements est du Halo pure souche avec des déplacements assez lents, une gravité moins importante lors des sauts, et de nombreux types d’ennemis. Nous retrouvons le système de santé d’Halo 2 avec une vie qui se recharge quand aucun dégât n’est encaissé. Il y a tout de même une différence majeure à signaler : Master Chief est désormais équipé d’un grappin lui octroyant la capacité de rejoindre des plateformes éloignées, d’attirer vers lui des items, et de charger un adversaire. Un accessoire régulièrement mis à l’honneur au cours de la campagne afin d’atteindre des endroits que l’on aurait juré inaccessibles, ou tout simplement pour retourner une situation qui tourne à notre désavantage. Il ne suffit que d’un petit chapitre pour se familiariser avec son utilisation et se demander comment il fut possible de s’en passer lors des précédentes épopées. Pensé aussi bien pour l’exploration, la fuite et l’attaque, ce gadget de l’UNSC apporte plus de profondeur au gameplay. Nous avons souvent été étonnés de constater que 343 Industries n’avait pas ajouté de murs invisibles pour empêcher le joueur d’atteindre des hauteurs insoupçonnées. Cette confiance accordée dans le level design et dans les mécaniques de déplacement fait plaisir à voir. Le grappin peut être amélioré grâce à un arbre de compétence un peu particulier. Le Master Chief doit trouver des modules ajoutant des branches (générateur de bouclier, capteur de menace, etc.). Une fois ces branches débloquées, il faut trouver des points de compétences disséminés dans les niveaux (indiqués sur la carte) pour améliorer une capacité. Le grappin deviendra électrique et étourdira les adversaires, tandis que le bouclier gagnera en résistance, pour ne citer que ces exemples.
Halo Infinite ne s’encombre pas d’explications pompeuses. Le titre s’amuse même à perdre le fan en le mettant dans la peau d’un Master Chief visiblement pas au top de sa force mentale. De nombreux messages audio sont à dénicher dans les niveaux du soft. Ils permettent de comprendre un peu mieux le scénario, et surtout le destin de certains des précédents personnages de la saga.
À l’instar de nombreux épisodes de Halo, c’est à l’intérieur d’un vaisseau que débute l’aventure. Un premier niveau rythmé qui rappelle quelques tentatives du quatrième volet. Faisant office de grand tutoriel, il permet de maîtriser les mouvements qui deviendront indispensables à l’annihilation des escouades aliens. Halo Infinite demande de la précision. Que ce soit pour récupérer un baril explosif à balancer grâce au grappin ou pour tuer un Jackal planqué derrière un bouclier qu’il s’amuse à faire tournoyer, le stick doit être touché avec précaution. Avec un peu d’entraînement, il est aisé de créer des chorégraphies impressionnantes, des moments où tout s’enchaîne si parfaitement que nous ressortons de l’affrontement grisé par la tournure des événements. Qu’il est bon, également, de retrouver cet humour des Grunts par l'intermédiaire de petites phrases toutes plus débiles les unes que les autres. Les deux premiers niveaux, en intérieur, assurent le spectacle. Les cutscenes s'enchaînent, les effets de mise en scène sont nombreux, et bien que certains objectifs manquent d’originalité (trouver des batteries pour alimenter des installations), Halo Infinite fait une bonne première impression.
Monde ouvert ou monde éventé ?
L’arrivée à la surface du Halo Zêta est un événement en soi. 343 Industries a régulièrement communiqué sur ce monde plus grand, plus ouvert, qui sert de terrain de jeu à Halo Infinite. Malgré notre impatience de l’explorer, nous devons avouer que nous partions craintifs à l’idée de visiter cet anneau. Aujourd’hui, les mondes ouverts sont légion, et les joueurs commencent à faire entendre leur mécontentement quand ils considèrent manger la même soupe à chaque nouvelle proposition. Est-ce que le studio de Microsoft a réussi à adapter Halo à l’open-world ? Certainement. Et avec une grande rigueur. 343 Industries avait promis qu’Infinite serait l’épisode le plus grand jamais réalisé. Sur ce point, nous voulons bien les croire. Les quelques kilomètres parcourus entre les différentes missions du Halo Zêta laissent imaginer un vaste terrain de jeu à parcourir, découpé en grandes zones. Mais est-ce que Microsoft a réussi à réinventer brillamment son jeu fétiche ? De notre point de vue, pas tout à fait, tout du moins pour le moment. Une fois lâché à la surface de l’anneau, le joueur se retrouve à faire ce qu’il a toujours fait dans un open-world basique : récupérer des avant-postes (bases qui servent à voyager rapidement), tuer des cibles prioritaires, détruire des tours de propagande et sauver des PNJ cachés ici ou là. Cela n’aurait pas été un problème si 343 Industries avait trouvé une solution pour que le joueur se sente vraiment impliqué dans sa besogne. Ce n’est malheureusement pas le cas sur ces premières missions. Nous nous contentons d’exécuter ce que notre IA demande sans forcément comprendre les tenants et aboutissants, ce qui est fort dommage pour une mise en bouche. Afin de pousser le joueur à compléter les objectifs secondaires, Halo Infinite met en place un système de bravoure. De nombreuses missions octroient des points spéciaux lorsqu’elles sont réussies. Plus ce score est élevé, plus les avant-postes conquis fournissent des marines puissants, des armes lourdes, et des véhicules destructeurs. Les objectifs sur la map sont suffisamment proches les uns des autres pour que les soldats soient toujours tentés d’aller y jeter un œil.
Notre version preview disposait de textes et de voix en français. Ces dernières sont d’excellente qualité. Si le Master Chief fait du pur Master Chief, la prestation de la nouvelle IA ainsi que celle du pilote sont impressionnantes. De ce que nous avons entendu, il s’agit peut-être de l’épisode de Halo le plus réussi dans ce domaine.
Fouler le sol à la fois herbeux et métallique fait rapidement revenir certaines sensations ressenties durant la trilogie d’origine. Partir à la rescousse de marines rappelle le niveau “Halo” de Combat Evolved, tandis que l’ambiance générale ainsi que certaines escarmouches nous transportent irrémédiablement vers les souvenirs de “L’alliance Convenante” du troisième volet. Il y a pire comme inspiration, ces niveaux faisant partie des plus appréciés des fans de la série. Quel dommage, cependant, que la technique parfois faiblarde nous empêche de nous sentir pleinement envoûtés. Graphiquement, Halo Infinite souffle le chaud et le froid. Les intérieurs des structures forerunners, superbes, tranchent avec des extérieurs pas toujours à la hauteur. S’il est appréciable de vagabonder dans un 60fps constant, il est moins enthousiasmant de découvrir des ombres qui n’apparaissent qu’à quelques mètres du héros, ou de voir des arbres se charger soudainement, au loin. Quand le soleil est à son zénith, le rendu est loin d’être impressionnant. Heureusement, le cycle jour-nuit arrive parfois à créer des ambiances qui méritent le coup d'œil. Les animations faciales des Brutes lors des cutscenes sont encore trop mécaniques, et quelques détails gâchent la fête, à l’image des vaisseaux pilotés par les bannis qui s'évaporent comme par magie après avoir déposé des ennemis, ou les petits arbres qui ne se déracinent pas quand on les charge avec un véhicule. Enfin, les énormes piliers métalliques servant de structure au Halo Zêta gâchent la plupart des panoramas. Leur aspect donne une impression de jeu inachevé à l'intérieur duquel des blocs sans texture ont été oubliés. Les arbres, quant à eux, sont désespérément statiques. Ni le souffle du vent, ni celui d’une grenade ne parviennent à les agiter. L’ambiance sonore du titre de 343 Industries est par contre absolument phénoménale. Les musiques sont splendides, la VF est excellente, et les sons des armes sont extrêmement convaincants. Le mixage audio est lui aussi bien conçu : en cas de dialogue ou de bande-audio lue, les sons d’ambiance baissent pour mieux mettre en valeur les voix.
Evolution
Malgré les quelques défauts remarqués durant nos premières heures de jeu, nous devons admettre qu’il était difficile de lâcher la manette. Le gameplay encore amélioré et notre envie de comprendre ce qui se passe sur cet anneau poussent à continuer l’aventure, encore et toujours. Les personnages secondaires que sont L’arme et le pilote apportent un vrai plus à la narration. Entre un Master Chief désabusé, une IA naïve et un rescapé loin d’être téméraire, les répliques fusent et font mouche. Dommage que la plupart des gros méchants rencontrés ne se contentaient que d’être des vilains classiques. Au rayon des éléments notables à signaler, des boss vicieux sont au programme, Master Chief ne subit aucun dégât en chutant d’une hauteur, il est possible de recharger ses munitions via des caisses spéciales et la physique des véhicules (Warthog, Mangouste) a été corrigée afin d’éviter de se retourner régulièrement. Le Scorpion tire comme avant (droit devant lui) mais les Marines ne peuvent plus monter sur ses chenilles. Puisque nous évoquons les soldats de l’UNSC, sachez que ces derniers ont perdu leur permis de conduire. Pour finir, le détail qui tue mais qui nous fait particulièrement plaisir : John garde l’arme équipée dans les cutscenes. Une fois les quatre missions initiales bouclées et les trois premières quêtes annexes terminées, nous avions envie d’y croire : Halo Infinite peut nous surprendre si l’intérêt de sa campagne ne se dilue pas dans son vaste monde.
En visant le reboot spirituel tout en étant une véritable suite à Halo 5 : Guardians, 343 Industries ne se simplifie pas la tâche. Il est en effet extrêmement difficile – voire impossible – de réussir à reproduire des émotions rencontrées il y a 14 ou 20 ans. Après quelques heures passées sur la campagne, nous sommes rassurés quant au gameplay général. Mieux, certains éléments présentés peuvent s’avérer excellents s’ils sont convenablement exploités, quand bien même la patte graphique ne serait pas aussi brillante que la visière de Master Chief. Nous espérons surtout que 343 Industries n’a pas sacrifié sur l’autel du monde ouvert ce qui faisait le charme de la première trilogie, à savoir des passages mémorables impliquant le joueur pour de bon. Verdict dans moins de trois semaines.