Difficile de ne pas ressentir une légère excitation au moment d’entrer dans la loge où nous attendent Yu Suzuki et sa dernière démo de Shenmue III. L’homme et ses créations ont marqué l’histoire du jeu vidéo de manière durable et encore aujourd’hui, de nombreux titres démontrent l’influence de Shenmue. De GTA en passant par Assassin's Creed ou Yakuza, tous doivent un petit quelque chose à ce précurseur de l’open-world, tel qu’on le conçoit aujourd’hui. Suzuki le sait, comme il nous le confiera durant la présentation : Shenmue est un poids lourd du jeu vidéo, de nombreux développeurs de renom lui ont déjà fait savoir à quel point son travail les a inspirés (à commencer par ceux de Rockstar, nous dira-t-il), et les attentes des joueurs sont énormes. Suzuki est toutefois conscient du fait qu’en 2019, Shenmue ne pourra pas révolutionner le jeu vidéo comme il l’a fait autrefois. Le réalisateur souhaite simplement « raconter la suite de l’histoire débutée en 1999. » Suzuki ne place pas la barre trop haut et c’est tout à son honneur. En revanche, rien ne ne nous avait préparé à ce que nous allions voir, par même les différents trailers de Shenmue III qui désormais nous paraissent autrement plus séduisants.

Une technique d’un autre temps

Il ne nous aura fallu qu’une poignée de secondes pour comprendre l’ampleur du désastre. Après une rapide présentation orale afin de nous présenter les trois objectifs de cette démo (l’exploration d’un petit village chinois, la découverte de plusieurs mini-jeux et du système de combat), nous avons pu saisir le contrôleur et appuyer sur Start. « Et là, c’est le drame », comme dirait l’autre : la démo débute sur une courte conversation entre Ryo et Shenhua qui plante le décor. Extrêmement mal doublés (en anglais…), Ryo et Shenhua semblent tout deux dépourvus d’émotions, tant dans leurs voix que dans leurs animations. Ryo, raide comme un piquet, regarde péniblement autour de lui et la seule chose qui semble bouger sur son visage sont ses yeux. Shenhua s’en sort mieux mais elle nous abandonne vite : les deux compères doivent retrouver « l’homme à la cicatrice ». La caméra se déplace derrière Ryo et le joueur en prend enfin le contrôle, pour découvrir un décor plutôt réussi sur le plan artistique, mais complètement hors du temps techniquement. L’ensemble est flou et scintillant ; à bien des égards, les récents remasters de Shenmue I et II sont plus impressionnants. Cela tient tant à la distance d’affichage ridicule qu’à la résolution du jeu, qui semble peiner à atteindre la barre des 720p. De quoi lever un sourcil ou deux puisque les derniers trailers, ou même celui mis en ligne à l'occasion de l'E3, laissaient imaginer mieux.

Si le jeu est laid, cela tient aussi au manque de vie des différents personnages qu’il met en scène. Les animations, basiques à souhait, ne font pas honneur au personnage de Ryo. Lui qui était autrefois si élégant, si charismatique, n’est plus que l’ombre de lui-même. Rigidité cadavérique, regard vide et inexpressif, le héros de toute une génération fait peine à voir. Il n’est pas juste inexpressif : il n’est tout simplement pas vivant. En tout cas, jamais la démo nous a donné l’impression que ce modèle 3D, relativement mal animé qui plus est, était une créature vivante, un être pensant capable de ressentir des émotions. Ces retrouvailles avec Ryo ont donc été assez éprouvantes ; c’était un peu comme revoir, 40 ans plus tard, une star du cinéma que l’on a idolâtré dans sa jeunesse. Élocution difficile, tremblements, fauteuil roulant… De quoi écorner une légende que l’on pensait immortelle. C’est un peu ce que l’on a ressenti en découvrant Ryo, 18 ans après Shenmue II.

Une base encore trop limitée

Certains argueront sans doute qu’importe la forme, tant que le fond, lui, est bien là. Ce qui serait une erreur, tant la forme ici est à des années-lumière de ce qui est acceptable. Mais le véritable problème, c’est que le court aperçu que nous avons eu du fond n’est pas vraiment beaucoup plus rassurant. Les quelques mini-jeux que nous avons essayé étaient assez amusants mais les phases d’exploration et de dialogue sont elles complètement gâchées par les animations catastrophiques de Ryo et d’une bonne partie des PNJ, ainsi que de leurs doublages. On est sorti de cette présentation en espérant que ces derniers n’étaient que de simples place-holders, enregistrés à la va-vite pour les besoins de la presse internationale. Reste les combats, que nous avons pu tester un moment et qui ne nous ont guère convaincu. D’une part parce que même si les animations en combat sont plus réussies que celles que nous avions pu voir jusque là, elles sont encore trop mécaniques pour convaincre qui que ce soit en 2019. C’est dommage puisque le système de combat a quelques bonnes idées : les quatre touches ABXY servent à coller coups de poing et coups de pied et certaines séquences de coups permettent de déclencher de petits QTE, qui demandent de saisir le plus vite possible les commandes affichées à l’écran pour déclencher des coups spéciaux. Hélas, les coups spéciaux en question manquent vraiment de panache et l’on regrette un peu les combats de Shenmue II, qui multipliaient les QTE originaux pour animer chaque bagarre à la manière d’un film de Jackie Chan. Le système ici est moins dirigiste, mais aussi moins cinématographique, moins amusant. Ces choix de gameplay ne manqueront pas de faire réagir les fans : il est possible que certains apprécient le côté « Virtua Fighter light » de l’expérience, tandis que d’autres regretteront la folie des précédents épisodes. On croise les doigts pour que ce que l’on a vu des combats ne soit qu’une facette, un type de gameplay parmi pléthore d’autres. Mais tout ce que l’on a vu de Shenmue III jusque là n’invite pas à l’optimisme.

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