Paradoxalement, les premiers jeux vidéo en deux dimensions ne sont pas nécessairement ceux qui ont le plus mal vieilli (le pixel art de Metal Slug faisant toujours rougir de honte bien des productions d'aujourd'hui). Ce sont plutôt les premiers jeux en 3D qui, avec leurs polygones et leurs textures limités par le matériel de l'époque, peuvent faire peine à voir désormais. Oh, le joueur nostalgique réinstallant le premier Half-Life s'y immergera sans peine aucune, mais, qui refuserait une petite virée dans ses couloirs avec une technique plus immersive et en ligne avec nos standards actuels ? Sans parler des nouvelles générations, qui pourraient passer à côté d'un chef d'œuvre, rebutées par son apparence. Dans ce contexte, les projets visant à redonner une seconde jeunesse à des titres de légende continuent de se multiplier, en suivant deux courants de développement : le remake, c'est-à-dire la réinvention d'un jeu via un nouveau moteur, quitte à repenser ses systèmes et sa narration au passage ; et le remaster, projet en apparence plus modeste visant à "simplement" affiner ses textures, améliorer ses effets, son anticrénelage, son interface...

Avec ce second cas de figure, qui a l'intérêt de proposer une expérience authentique, se pose un problème : si tant est que les développeurs soient en possession des données d'origine, que faire de ces textures floues, ratatinées, qui passaient sur un écran cathodique mais plus sur nos afficheurs hautes définitions modernes ? Eh bien, jusqu'il y a peu, on pouvait soit les étirer grossièrement, soit se lancer dans un projet titanesque visant à les recréer une à une. Depuis plusieurs mois, une alternative émerge pourtant : tirer parti des dernières avancées en matière d'intelligence artificielle afin de décupler automatiquement les assets d'origine.

MÊME LARA CROFT SUBIT LES OUTRAGES DU TEMPS

Lorsqu'on parle d'intelligence artificielle, on pense dans notre milieu au système qui régit le comportement agaçant d'Ashley dans Resident Evil 4, ou qui nous met une dérouillée dans Starcraft II. Il n'est pas question de cela dans le sujet d'aujourd'hui, mais d'une technologie dite d'apprentissage. Des ingénieurs écrivent un programme qu'ils entraînent à une tâche précise, en le soumettant à des millions de cas de figure. Au cours de ce processus, le programme génère un "réseau neuronal", qui s'apparente à un ensemble de règles à appliquer pour réaliser efficacement la tâche décrite. Au terme de son apprentissage, le programme enrichi de ces multiples exercices est capable de traiter en autonomie des cas comparables ; on l'intègre alors à un système à destination des utilisateurs qui peut se traduire, dans la vie de tous les jours, par un tchat automatique, la reconnaissance informatisée des sommes manuscrites sur les chèques de banque, ou encore un assistant personnel tel qu'Alexa d'Amazon.

Les utilisations de l'intelligence artificielle sont multiples, et s'appliquent notamment à l'image : il est possible de solliciter cette technologie dans l'objectif de démultiplier la résolution des textures des jeux d'antan, sans en altérer l'essence. Une fois encore, tout débute par un apprentissage. On présente à un programme un visuel haute résolution, et en parallèle, une version petite et pixelisée. On lui demande de partir de l'image toute chétive pour recréer la grande. Des centaines, des milliers de fois, en retirant les solutions qui ne fonctionnent pas, en conservant les meilleures. Un beau jour, le programme arrive à un résultat satisfaisant, et a compris ce qui manque en général à une petite image pixelisée pour devenir une photo grande et précise. Alors, on lui présente une texture baveuse de jeu des années 90... et en autonomie, il nous propose une version quatre fois supérieure. Le résultat n'est pas parfait, peut présenter des imprécisions, mais force globalement le respect.

Le réseau apprend en réimaginant une image via sa contrepartie basse résolution *

C'est ce qu'a fait "CaptRobau", un moddeur ayant drastiquement affiné les arrière-plans de Final Fantasy VII, titre de légende publié par Square en 1997 sur PlayStation. Vous avez peut-être vu passer parmi les actualités la sortie en beta de son "Remako Mod", permettant aux joueurs PC de jouer de manière plus confortable au jeu de rôle qui, avec tout le respect que nous lui devons, accuse son âge. Comme d'autres bénévoles qui ces derniers mois ont retapé Doom, Hexen ou encore Deus Ex, l'homme s'en est remis à l'intelligence artificielle et plus précisément au réseau neuronal "waifu2x", avec des résultats modestes, avant d'employer le logiciel "A.I. Gigapixel" de Topaz Labs. Le rendu est sans appel, comme vous pouvez le constater en zoomant sur ces images comparatives.

Le Final Fantasy VII d'origine, et le Remako Mod en action

RESTAURATION RAPIDE

Les projets tels que le Final Fantasy VII Remako Mod ont un évident intérêt esthétique, en rendant toute leur superbe aux premiers jeux 3D, qui ont perdu des plumes en traversant les âges. Mais ils s’apparentent également à de véritables travaux de restauration, au sens patrimonial du terme. Par exemple, le récent remake de Resident Evil 2 est un travail d’orfèvre, mais peut-on jeter aux oubliettes celui qu’il revisite ? De la même façon que le spécialiste réhabilite une toile décrépite, le développeur professionnel ou bénévole permet au classique rétro de fonctionner avec nos machines actuelles et de demeurer attrayant aux yeux des nouvelles générations, sans pour autant être dénaturé.

Les réseaux neuronaux sont alors les bienvenus dans la mesure où parfois, les fichiers originaux, non compressés de ces jeux des années 90, qui pourraient servir à alimenter un remaster, ont été perdus. Il ne reste alors comme seule autre solution que de réimaginer à partir de rien de nouvelles textures, ce qui implique nécessairement un parti-pris artistique pouvant froisser les puristes, et surtout une quantité de travail pharaonique, à la limite de l'envisageable. Dans le cas de Final Fantasy VII, c'est ce qu'entreprennent Team Avalanche ou Avalanche Arisen, depuis de nombreuses années, tandis que l'automatisation informatique permet une remasterisation à la fois fidèle et rapide.

« La meilleure façon d’ajouter des arrière-plans améliorés aurait été de les re-générer à partir des fichiers sources, dans une résolution accrue », nous rappelle le moddeur CaptRobau, que nous avons interviewé. « Malheureusement, Square a perdu ces originaux. D’autres moddeurs ont essayé de recréer ces scènes en 3D, afin de pouvoir les exporter en haute résolution. Il s’agit néanmoins d’un processus difficile et chronophage. Donc, je pense que l’upscale à l'aide d'un réseau neuronal est la manière la plus rapide et la plus aisée d’obtenir un résultat satisfaisant. Avec lui, il est possible de bien se rapprocher de ce que serait un nouveau rendu, tout en restant fidèle à l’original. »

Le projet Avalanche Arisen

UN BESOIN DE LA COMMUNAUTÉ

Face à la recrudescence de projets tels que le Remako Mod ces derniers mois, force est de constater que les joueurs montrent l’envie de ré-accéder à leurs titres favoris avec un petit coup de polish. Quand ils s’y mettent eux-mêmes, c’est aussi que les créateurs de ces jeux ne l'ont pas fait, ont recouru à un remaster altérant tout de même un peu trop l’expérience d’origine, ou ont opté pour un remake complet ; c’est le cas de Final Fantasy VII, avec une refonte dans les cartons de Square Enix.

« Début 2018, j’ai lancé Final Fantasy VII pour la première fois et j’en suis rapidement tombé amoureux », nous explique CaptRobau. « À la fin de l’année j'ai appris le concept d’amélioration de textures, qui était nouveau. Un rendu test d’un décor de FF7 était en ligne et m’a fait me demander : est-ce que je peux faire mieux ? »

Comme beaucoup d’autres moddeurs, CaptRobau est autodidacte et n’a pas de background en informatique ; c’est avec un diplôme d’Histoire en poche qu’il évolue dans cette scène, à laquelle il a notamment offert l’Outer Planets Mod de Kerbal Space Program. La conviction d’améliorer le jeu prévaut :

« Je crois qu’il s’agit de rendre le jeu tel qu’il a été pensé. Square a créé des arrière-plans très inventifs pour ce jeu. Sur un écran cathodique en 1997, on ne remarquait pas à quel point les fonds étaient pixelisés. Mais pour ceux qui veulent rejouer à ce classique sur un matériel moderne, ils jurent bien plus. Ce mod, et d’autres mettant à jour les graphismes de FF7, aident à garder le jeu plaisant pour les générations futures. »

« Au sujet du remake officiel, je suis très enthousiaste. Mais en même temps, il va être très différent en termes de gameplay et de feeling général. Je pense donc que c’est une bonne chose que d’autres moddeurs et moi-même travaillions sur l’amélioration du jeu de base ».

Rien que depuis le début de ce projet d'article il y a quelques semaines, la communauté des moddeurs a utilisé l'intelligence artificielle pour affiner les textures de Red Faction, créer une version 4K de la cinématique d'ouverture de Resident Evil, offrir un lifting à Turok 2 ou encore améliorer l'apparence de Half-Life 2 - et nous en omettons sans doute ; souvent en utilisant le logiciel A.I. Gigapixel. Ce sont essentiellement les joueurs eux-mêmes, de tous horizons et de toutes formations, qui incarnent cette sauvegarde de formidables jeux d'hier en parallèle de la stratégie des éditeurs. Si un faible nombre de forcenés s'attelait auparavant à la refonte manuelle des textures des références les plus iconiques, les réseaux de neurones donnent aux fans le pouvoir d'accélérer les envies de projet et de revitaliser de nombreux titres, jusqu'aux jeux de niche.

(*) Montage réalisé à partir du document scientifique "Photo-Realistic Single Image Super-Resolution Using a Generative Adversarial Network"

Le site web de CaptRobau : captrobau.blogspot.com