Le film interactif accompagne le jeu vidéo depuis ses premiers pas et évolue en parallèle de ce dernier. Ce genre codifié exploite les nouveaux supports et surfe sur l’essor des technologies pour se démocratiser sans pour autant s’imposer dans les chaumières. Genre secondaire auprès des cinéphiles et des joueurs, le film interactif trouve désormais un second souffle sur les plateformes digitales avec en première ligne Netflix et son projet Black Mirror : Bandersnatch qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. La rédaction de jeuxvideo.com profite de ce regain d‘intérêt pour revenir sur les origines du phénomène, ses succès, ses échecs et son avenir.
Il nous faut dans un premier temps poser une définition claire et limpide avant de plonger au coeur du sujet. Faire la distinction entre jeu vidéo et film interactif est primordiale. Le film interactif est une oeuvre aux fins multiples composée de cinématiques scriptées autorisant les spectateurs à effectuer des choix et ainsi influer sur le récit. En ce sens, ce genre se rapproche des Livres dont vous êtes le héros. Mais à la différence des expériences narratives qui pullulent sur le marché vidéoludique, le film interactif se contente du strict minimum niveau gameplay et délaisse toute notion de Game Over au profit d’une expérience fluide et surtout sans échec. Les fins justifient ici les moyens.
Les “Interactive Drama” sont quant à eux une évolution naturelle du jeu d’aventure, et plus particulièrement du Point & Click, fortement axée sur la narration et le scénario. Le point commun entre les productions des studios Quantic Dream, DontNod, Supermassive Games, feu Telttale Games... et les films interactifs réside principalement dans la notion de choix qui découle de l’ensemble de ces oeuvres. D’un point de vue plus philosophique, regarde-t-on un film interactif ou joue-t-on avec ? Aucun terme ne semble convenir. Ce genre est une expérience à part entière. Un film interactif s’expérimente tout simplement.
L’histoire du film interactif débute outre-Atlantique à Montréal lors de l’exposition universelle de 1967. Radúz Činčera présente Kinoautomat dans le pavillon tchécoslovaque, un long métrage (63 minutes) durant lequel les spectateurs votent à 9 reprises entre deux scènes via un modérateur apparaissant sur scène à chaque moment clé pour comptabiliser les voix. Malgré un accueil chaleureux des visiteurs et de la presse (The New Yorker précise : “Le Kinoautomat dans le pavillon tchécoslovaque est un succès garanti de l'Exposition universelle. Les Tchèques devraient construire un monument à l'homme qui a conçu l'idée.”), le film interactif reste dans l’ombre du cinéma traditionnel jusqu’en 1992.
I’m Your Man signe le retour du genre dans les salles obscures. Via un mécanisme installé sur chaque siège, le spectateur est en mesure de voter pour sélectionner à six reprises la suite de ce récit d’une durée de 20 minutes. Néanmoins, le prix exorbitant pour équiper les cinémas et les retours mitigés des critiques freinent la popularisation du genre. Trois ans plus tard, la société de production Interfilm Technologies remet le couvert avec Mr. payback : An Interactive Movie. Cette expérience interactive reprend ainsi le même concept que son aîné sans parvenir à faire éclore le film interactif. Au contraire, les retours désastreux plombent ce dernier.
Si le cinéma boude les films interactifs, le DVD profite des opportunités offertes par l’interactivité pour se démarquer… à l’image du LaserDisc et de la Sega CD quelques années plus tôt. Loin des embardées vidéoludiques du type Dragon's Lair, Time Gal, Quantum Gate… ce support commercialisé dès 1996 lorgne sur les films interactifs. Tender Loving Care réalisé par David Wheeler débarque sur nos lecteurs et PC en ‘98 avec à l’affiche John Hurt, acteur britannique à la carrière prolifique (Rob Roy, Hellboy 2 : Les Légions d’Or maudites, Harry Potter et les Reliques de la Mort…). Ce même réalisateur reprendra du service en 2001 avec Point of View, un nouveau projet interactif sur DVD.
Et les expériences se multiplient aussi bien sur DVD que sur les chaînes de télévision. Des séries de prestige s’intéressent au phénomène et l’embrasse. Attack of the Graske dépoussière la série Doctor Who sur la BBC en 2005 via un mini épisode disponible par la suite sur le site officiel du bon docteur. Le DVD n’est pas en reste et nombreux sont les films, séries et animés intégrant des bonus interactifs. Du Roi Lion à Destination Finale 3, l’interactivité redessine notre approche d’une consommation autrefois linéaire. Et Return to the House on Haunted Hill enfonce le clou en 2007 (et ce n’est pas peu dire pour un film d’horreur) en intégrant un champ des possbiles encore jamais vu à l’expérience cinématographique avec 96 permutations scénaristiques et de multiples fins permises par les supports HD DVD et Blu-ray.
Puis le film interactif disparaît des radars près d’une décennie. A l’exception de quelques tentatives éparses et discrètes, le genre périclite faute de boîtes de production aventureuses et de projets à fort potentiel avant de revenir sur le devant de la scène grâce à l’émergence de plusieurs plateformes en ligne de diffusion de contenu audiovisuel. Netflix, pionnier dans ce domaine, tente d’abord timidement avec Puss in Boots (2016) avant de frapper fort et surtout coup sur coup avec Minecraft : Story Mode puis Black Mirror : Bandersnatch. Ce dernier fait l’effet d’une bombe. Les réseaux sociaux s’emparent alors du phénomène tandis que le film interactif renaît de ses cendres sous la baguette de Netflix.
Cet épisode spécial de Black Mirror n’est pas exempt de défauts. Le 61% de Metacritic témoigne d’une certaine scission des avis auprès des critiques ayant succombé à l’appel de l’interactivité. Toutefois, Netflix est en passe de remporter son pari. Joueurs initiés et néophytes vidéoludiques se retrouvent autour de cette expérience singulière. D’après un sondage effectué via le compte Twitter de jeuxvideo.com, un tiers de nos followers ont testé cet épisode tandis que 20% comptent bien le faire dans un avenir proche. Le message est bel et bien passé. Et ces diffuseurs d’un genre nouveau, qui s’émancipent du format physique, touchent Monsieur tout le monde via une offre dématérialisée disponible sur TV, PC, consoles de salon et appareils mobiles. Au-delà de l’offre pléthorique, c’est cette accessibilité à l’heure de la 4G qui amplifie l’impact d’une telle expérience ludique. Si Black Mirror : Bandersnatch est à l’heure actuelle un excellent coup marketing, nul doute que Netflix et bientôt Disney+ pourraient se pencher sur le film interactif avec attention.
Black Mirror : Bandersnatch a occupé les nuits paisibles de nombreux spectateurs au cours des vacances de fin d’année 2018 et démocratisé le film interactif auprès du plus grand nombre. Ce genre qui évolue sans cesse depuis un demi siècle reprend des couleurs. Reste à savoir si ce soubresaut donnera naissance à de nombreux projets ou restera une onde à la surface de l’eau.