« En avance sur son temps », « Sortie trop tôt »… Ces phrases, vous les avez sans doute déjà entendues de la bouche de fans de la Dreamcast. La dernière console de Sega fête aujourd’hui ses 20 ans, l’occasion de revenir sur un moment important du jeu vidéo.
Après le succès, surtout en Occident, de la Master System et de la Megadrive, Sega a subi un terrible contrecoup avec l’échec de la Saturn, dont le prix prohibitif a rapidement sonné le glas face à une PlayStation 100 $/€ moins chère. Problème de ludothèque ? Sans aucun doute. Mais plutôt que de continuer à travailler sur une console dont l’avenir semblait bien sombre, Sega a préféré voir l’avenir en s’attaquant à la prochaine génération de console, la sixième, bien avant les autres.
L’idée était d’éviter les erreurs du passé. Première chose, arrêter de multiplier les plates-formes et add-ons comme ce fut le cas dans le milieu des années 90 avec le Sega CD, la 32X ou encore la Sega Neptune, concept hybride annulé en octobre 1995. Deuxième point important : le prix. Pour éviter l’humiliation subie par la Sega Saturn quelques années auparavant (avec le fameux « 299 » de la conférence E3 Sony de 1995), il fallait que la Dreamcast soit à un prix raisonnable, quitte à ne pas opter pour les meilleurs composants. La firme nipponne a utilisé des pièces dont la puissance restait au-dessus de celles des consoles du marché, ces dernières datant alors de plus de trois ans, mais qui risquaient de rapidement devenir obsolètes, un point sur lequel nous allons revenir. Chose inédite, la console disposait d’un modem intégré pour le jeu en ligne. Certes, le online n’était pas nouveau, mais les machines précédentes avaient besoin d’accessoires et add-on plus ou moins populaire.
Le 27 novembre 1998 est donc le jour de la sortie de la console au Japon, au succès mitigé. Certes, la machine s’est bien vendue les premières semaines, c’est un fait. Toutefois, non seulement les stocks étaient plutôt réduits, ce qui aide à les écouler totalement, mais de plus, la ludothèque initiale était famélique : Virtua Fighter 3tb, Godzilla Generations, Pen Pen Tricelon et July. Il suffit de voir cette liste pour comprendre le problème : si Virtua Fighter 3 s’est bien vendu, ce n’était pas suffisant pour convaincre le public. Le problème principal pour Sega fut le report de Sonic Adventure pour un simple problème de manufacture de puces PowerVR, ainsi que celui de Sega Rally 2. Deux mastodontes absents, dont la parution quelques semaines plus tard n’a pas effacé les premières impressions des joueurs. Aie !
Cependant, le lancement sur le marché américain fut bien plus maîtrisé, grâce au travail du Senior VP Marketing de Sega of America, un certain Peter Moore. Avec une campagne marketing basée sur le chiffre neuf (la date de sortie était le 9/9/99) et un prix de vente de seulement 199$, la console était sur toutes les TV, tous les magazines et toutes les bouches. Fini le line up inquiétant de la sortie japonaise, ce sont 18 jeux qui accompagnaient la machine lors de son arrivée aux Etats-Unis, dont Sonic Adventure, ou encore un certain Soul Calibur. Alors que la Dreamcast avait déçu au Japon, elle fut un succès immédiat en Amérique, battant le record de ventes de consoles sur 24h par la même occasion. Le mois suivant, le 14 octobre 1999, l’Europe fut la prochaine servie, avec un succès similaire à celui des Etats-Unis.
Ainsi, la Dreamcast était sans aucun doute la console la plus puissante à la toute fin du siècle dernier. Il faut dire qu’elle avait été développée dans l’idée d’accueillir les jeux adaptés de l’arcade, raison pour laquelle elle fit le bonheur des jeux de combats (Virtua Fighter, Soul Calibur, Marvel Vs Capcom, Power Stone, Dead or Alive 2, …) ou encore des jeux de courses comme Sega Rally. On a aussi pu compter sur Jet Set Radio et sa bande-son légendaire ou encore sur Skies of Arcadia, un excellent J-RPG à en rendre jaloux les possesseurs d’autres consoles à l’époque. On parle aussi de Rez, Ikaruga, Samba de Amigo ou même Grandia II, qui ont tous d’abord vu le jour sur la machine de Sega (si on oublie l'arcade). A l’époque, qui ne regardait pas avec jalousie les images de Resident Evil : Code Veronica dans les magazines ? Bref, une ludothèque impressionnante en un temps très court, qui explique l’amour des joueurs nostalgiques aujourd’hui.
Mais comme nous le disions, la Dreamcast n’aura malheureusement pas vécu très longtemps. Pourquoi ? Comment nous vous l’expliquions, Sega avait misé sur un prix faible, les obligeant à prendre des pièces rapidement obsolètes. Ainsi, quand Sony annonçait en 1999 les caractéristiques de sa future PS2 et du futur Emotion Engine, il n’a pas fallu longtemps pour que la Dreamcast soit considérée comme une console de transition par les éditeurs, qui ont préféré mettre leur denier sur une console avec un véritable avenir. Avant même la parution de la Dreamcast aux Etats-Unis, Electronic Arts annonçait qu’il ne supporterait pas la console, considérant que Sega faisait concurrence à leur gamme sport avec le rachat de Visual Concept (les développeurs des jeux marqués 2K comme NBA et NHL notamment). De plus certaines fonctionnalités de la machine ont mis beaucoup de temps à être utilisé, et de façon sporadique. C’est le cas du online avec le seul ChuChu Rocket! comme ambassadeur, bien avant l’arrivée de fonctions dans les jeux de sport ou encore dans le fameux Phantasy Star Online par la suite. Avec l’arrivée de la PS2 en 2000, les jeux se sont faits de plus en plus rares au grand dam des joueurs. Les mauvaises ventes du pourtant génial Shenmue, ou plutôt les difficultés à rembourser ses coûts pharaoniques ont placé les derniers clous sur le cercueil de la machine : un mois après la sortie du jeu de Yu Suzuki (et de Phantasy Star Online), Sega annonçait la fin de production de la Dreamcast pour le 31 mars 2001 ! Un choc pour les joueurs, qui y croyaient encore. Au final, ce sont 9,13 millions de Dreamcast qui se sont écoulées, contre 13,56 millions de Wii U pour vous donner un exemple récent de relatif échec.
Ainsi, il n’était plus possible de trouver régulièrement la console dans les rayons dès 2011. Mais ce n’est pas pour autant que la machine n’a pas reçu de soutien de la part de quelques développeurs. Si les derniers jeux officiels sont parus en 2002 en Occident, le Japon recevait encore des sorties régulières en 2003 et 2004. Toutefois, seuls quelques irréductibles studios japonais comme G.Rev et Milestone Inc. ont perduré par la suite avec des shoot’em up adaptés de l’arcade, le dernier en date étant Karous, en mars 2007. La fin ? Toujours pas pardi ! Des studios indépendants, adorateurs de la console, continuent d’alimenter la machine avec des jeux homebrew dont les fameux shoot’em up des allemands de NG.DEV.TEAM, ou encore les jeux édités par WaterMelon Co. dont Pier Solar. A l’écriture de ces lignes, ce ne sont pas moins de 13 jeux qui sont annoncés pour 2019. Comme quoi, avec un peu d’amour, on peut continuer de faire vivre ce qu’on aime.