Sous-genre du jeu d’aventure que les équipes de Quantic Dream ont nommé puis popularisé il y a 8 ans avec Heavy Rain, l’Interactive Drama connaît aujourd’hui plusieurs écoles qui se revendiquent de son influence. Qu’il s’agisse des Californiens de Telltale Games ou des Parisiens de DONTNOD, plusieurs studios se sont depuis spécialisés dans la narration interactive en vue à la troisième personne. Néanmoins, et malgré la sortie de titres références comme The Wolf Among Us et Life is Strange, les grands acteurs semblent avoir du mal à faire évoluer ce format métissé. Et si le genre était finalement arrivé au bout de ce qu’il avait à proposer ?
Et là, c’est le drame
À la fin du développement de Heavy Rain, David Cage expliquait lors de ses interviews qu’il n’était pas intéressé dans le fait de développer une suite directe à son polar. Il exprimait plutôt son envie d’adapter l’Interactive Drama “à n’importe quel type d’histoire, et à n’importe quel ton”. Souvent comparé à un film interactif en vue à la troisième personne dans lequel le joueur déroule des actions dirigistes et exécute des choix par l’intermédiaire de boîtes de dialogues, le genre s’est pourtant principalement contenté de rester dans des thèmes lourds. En portant à l’écran des licences telles que Game of Thrones, Fables (The Wolf Among Us), The Walking Dead ou dans une certaine mesure Batman, Telltale a principalement joué la carte du sérieux. Le studio américain a tout de même lancé Tales from the Borderlands et Minecraft : Story Mode, deux titres qui apportent une légèreté bienvenue au genre.
Du côté de Dontnod, Life is Strange et Captain Spirit adoptent un rythme plutôt lent et ne sont pas connus pour la joie qui se dégage de ses séquences, ce qui n’a rien d’étonnant par rapport aux sujets abordés. Quant à Quantic Dream, Beyond : Two Souls et Detroit : Become Human ont utilisé tous les deux des univers sombres et des thèmes cafardeux, même si le studio s’est essayé à l’humour avec la démonstration technique intitulée The Dark Sorcerer en 2013. Démo qui actuellement n’a débouché sur aucun projet de jeu concret, contrairement à la torturée Kara qui s’est vue revivre dans Detroit. L’intitulé “drama” utilisé par Cage y est peut-être pour beaucoup, puisqu’un drame est normalement composé de situations sérieuses où le rire n’a pas sa place. Telltale de son côté a longtemps préféré qualifier ses oeuvres de “point & click”, avant de les intituler simplement “expériences interactives”, où “les choix adaptent l’histoire”. Les développeurs de Big Bad Wolf ont de leur côté pioché dans les codes du RPG dans le but d'apporter un peu de fraîcheur à leur métissé The Council.
Le choix désarme
Il faut reconnaître que l’Interactive Drama emprunte beaucoup au jeu d’aventure classique typé point & click, malgré ses contrôles directs. Il faut généralement balayer une zone à la recherche d’interactions à effectuer sur l’environnement, en plus d’interroger divers PNJ afin d’avancer dans l’histoire. Cependant, les énigmes alambiquées ont disparu, de même que l’inventaire et le système de mot-action. L’expérience narrative se concentre avant tout sur l’histoire et sur la promesse que les actions changent le déroulement de l’épopée.
Pendant un certain temps, les développeurs avaient tendance à cacher les multiples chemins de l’intrigue afin de ne pas sortir le joueur de l’expérience. Quantic Dream a longtemps préféré ne pas indiquer quand une action avait des répercussions. Néanmoins, face aux bons retours de la presse à propos du système Telltale qui indique quand une décision a son importance (que cela soit vrai ou non), l’équipe parisienne a décidé de changer sa manière de procéder. Avec Detroit, les différents chemins pris sont autant de promesses de choix menant à de réelles conséquences. Une transparence qui plaît, et qui va plus loin encore que les notifications utilisées dans les productions signées Dontnod et Supermassive Games.
Des orbes et des dieux
Lorsque l’on prend en main Captain Spirit, qui s’inscrit dans la droite lignée de l’Interactive Drama, les bonnes impressions sur l’écriture des deux personnages principaux s’estompent dès lors que l’on s’aperçoit qu’au niveau des mécaniques de jeu et d’exploration, rien n’a véritablement changé. Il est toujours demandé de se diriger vers des orbes-mots qui désignent des actions à accomplir, sans que l’on ne sache vraiment à l’avance ce qui sera effectué. Nous exécutons l’action car le jeu la propose, et non parce que nous avons envie de l’exécuter en tant que personnage inscrit dans l’univers. À l’image de certains choix de dialogues qui nous renvoient à notre condition de joueur non-omniscient dirigeant un protagoniste inconnu, comme celui où il faut renseigner le paternel à propos de traces suspectes sur le bras du petit avatar, le joueur est à la fois aussi extérieur que la caméra qui expose l’aventure, et le marionnettiste influant.
Ces projets narratifs doivent également trouver le bon équilibre entre les interactions demandées par les joueurs et les scènes cinématiques enclenchées qui alourdissent le rythme. Même s’il s’agit d’un simulateur de marche, l’exemple de Virginia et de ses scènes d’exploration coupées brusquement est une image parlante des recherches faites en termes de rythme. Les développeurs d’Erica ont quant à eux ajouté à leur cahier des charges l’obligation de ne pas excéder la vingtaine de secondes sans que le joueur n’ait à faire quelque chose. Mais ajouter une action pour ajouter une action, c’est-à-dire juste de manière à couper une cutscene un peu trop longue, n’est-ce pas déjà une facilité d’écriture ?
L’Interactive Drama a encore du mal à choisir son camp entre un cinéma qui lui sert de modèle et le jeu vidéo qui comporte son lot d’interactions et de problématiques. On l’avait déjà remarqué il y a huit ans, quand Quantic Dream a créé Heavy Rain, mais nous espérions que le genre trouverait le bon équilibre au fil de ses propositions. L’abondance de QTE et d’actions qui ne sont présentes parfois que pour s’assurer l’attention du joueur montre rapidement les limites d’un design qui a bien du mal à se renouveler. Oui, l’histoire et les personnages sont les éléments qui comptent le plus dans une expérience narrative. Il faudrait cependant à l’avenir que plus de studios s’essayent à différents tons, et qu’ils fassent évoluer une grammaire qui a déjà fait son temps.