Le mois de janvier 2018 s’est terminé sur une rumeur rocambolesque émanant d’un article du site Polygon. Le sujet traité dans ses lignes, à savoir l’habituel problème des exclusivités sur Xbox, s’ouvre sur des bruits qui circulent au sujet des potentiels achats que s'apprêterait à faire Microsoft pour dynamiser sa division jeu. Le nom principal qui en sort est “franchement impensable” selon le journaliste Colin Campbell. Et pour cause, les indiscrétions n’évoquent pas la venue d’un jeune studio émergent, mais l’arrivée d’Electronic Arts, soit un des plus grands développeurs/éditeurs de jeux vidéo. D’un point de vue purement business, est-ce qu’un tel rapprochement pourrait avoir du sens ? Quels sont les éléments factuels qui attestent ou désavouent cet écho ?
Certains des noms proposés comme faisant partie des possibles acquisitions par Microsoft sont, franchement, étonnants, voire impensables. Mais le fait qu’ils tournent est instructif. Le plus récent que nous avons entendu (d’une source fiable proche de Microsoft) était, en fait, Electronic Arts. Colin Campbell, Polygon.
Ce sont par ces déclarations que le journaliste Colin Campbell a enflammé Internet. Ainsi, selon une source confidentielle “proche de Microsoft”, la firme de Redmond étudierait le rachat de différentes sociétés liées au monde du jeu vidéo, comme Electronic Arts. Les quatre analystes interrogés dans l’article s’accordent pour dire que “Microsoft a besoin d’agir rapidement, et que des acquisitions majeures sont de loin la voie la plus probable”. Face aux torrents d’interrogations déversés suite à cette publication, le journaliste fait paraître le lendemain un nouveau papier où il revient sur le cas Electronic Arts en précisant qu’aucun des quatre analystes interrogés sur ce sujet ne considèrent ce rachat probable. Les raisons évoquées sont principalement liées à la faculté pas toujours démontrée de Microsoft à gérer efficacement d’autres studios, et le prix que cela coûterait. Il faut dire qu’en mettant le grappin sur EA, l’autre géant américain devrait trouver comment intégrer dans ses comptes le rachat d’une société dont la capitalisation boursière tourne autour des 35 milliards de dollars, en plus de récupérer sa vingtaine de studios actifs (avec des noms tels que BioWare, Criterion, Dice ou EA Sports).
De longue haleine
Si l’on se fie à l’article de Polygon, Valve ferait également partie des noms chuchotés comme étant dans le viseur de Microsoft. Gabe Newell aurait toutefois directement répondu à un fan en précisant par courriel “ne pas être au courant”, selon un message posté sur les forums de ResetEra. Il faut cependant garder à l’esprit qu’une grosse société s’intéressant à un rachat ne signifie pas que cette même grosse société est en train de procéder à ce rachat. Il est donc probable que Microsoft dresse un éventail d’acquisitions théoriques possibles, sans que cela n’aille plus loin pour différentes raisons (économiques, stratégiques, etc). Dans son livre Hit Refresh publié en septembre 2017, Satya Nadella (directeur général de Microsoft) explique que Mojang était dans le viseur de Microsoft bien avant son rachat officiel en 2014. C’est d’ailleurs Phil Spencer, encore sous les ordres de Don Mattrick, qui a proposé un rachat possible du studio suédois à Microsoft. À cette époque, Nadella n’était pas directeur général du groupe, et la proposition de Spencer n’a pas été suivie. La suite, on la connaît, Don Mattrick s’en va pour vivre son aventure chez Zynga, Nadella devient le grand boss chez Microsoft et nomme Spencer à la tête du département jeu pour enfin donner le feu vert à cette opération. Mojang est alors racheté pour la somme de 2,5 milliards de dollars.
Phil Spencer est donc un homme qui n’a pas peur de proposer des investissements. Il est le cerveau qui se cache derrière l’obtention de Minecraft et de Mojang, la dernière acquisition du groupe en termes de studios de jeux vidéo. Aujourd’hui un peu plus proche encore de Nadella grâce à son nouveau rôle chez Microsoft, il est certain que Spencer trouve une oreille attentive chez ce directeur général qui a les moyens financiers de soutenir les projets les plus onéreux. En ces périodes de rumeurs, il est également intéressant de constater que Matt Booty a été nommé à la tête de Microsoft Studios, lui qui a prouvé qu’il était possible de faire fructifier un investissement et de continuer à développer une licence connue comme Minecraft chez Microsoft.
EA full access
Il est en tout cas loin le temps où Electronic Arts boudait le Xbox Live en faveur du service en ligne de Sony. Lorsque les deux sociétés ne s’échangent pas des têtes pensantes à l’image d’un Peter Moore passé de Microsoft à EA, elles convergent sur d’autres terrains. Depuis l’arrivée de la Xbox One, Electronic Arts a proposé son service EA Access exclusivement sur Xbox et PC, permettant aux joueurs y souscrivant de bénéficier de jeux à prix préférentiels ou gratuits. Les deux entreprises se sont également mises d’accord sur l’exclusivité du premier Titanfall, une pratique extrêmement rare venant du géant de l’édition qui nous habitue généralement à sortir ses productions sur tous les supports. À l’époque de la conception de la première Xbox, Microsoft avait déjà imaginé racheter ce géant du jeu vidéo comme nous l’apprend Dean Takahashi dans son livre Opening the Xbox. EA coûtait alors entre 5 et 7 milliards de dollars et faisait son chiffre principalement sur PlayStation. Le plan à ce moment là était de priver la console de Sony des jeux de l’éditeur afin de frapper un grand coup dans la guerre contre la PlayStation 2. Les bonnes relations entre Robbie Bach (Microsoft) et Larry Probst (Electronic Arts) n'ont en tout cas jamais évolué vers un mariage consommé.
Sur le papier, Microsoft peut toujours s’acheter EA pour bénéficier de son grand catalogue de licences. Mais comme le précise Pachter dans les lignes de Forbes, il s’agirait d’un choix risqué financièrement, d’autant plus qu’une partie du contenu des jeux EA est sous licence. “Disney et FIFA pourraient ne pas être très heureux de voir les ventes de leurs jeux divisées par deux” explicite l’analyste. La firme de Redmond pourrait cependant copier le modèle Mojang et continuer à sortir tous les titres, ou seulement une partie, sur d’autres supports. Des licences comme Dead Space ou Mirror's Edge pourraient hypothétiquement devenir des exclusivités Xbox, là où les produits sous licence comme FIFA continueraient d'être multiplateforme. Mais il faut admettre que tout ceci ressemble beaucoup à de la science-fiction.
La récente déclaration de Satya Nadella qui a conclu l’année 2017 peut donner un autre sens à cette rumeur de rachat et aller jusqu’à la conforter. Le directeur général de Microsoft évoque effectivement un élargissement de leur approche afin d’apporter une réflexion “sur comment les jeux sont créés et distribués, sur comment ils sont joués et visualisés”. Pourrait-on imaginer un Microsoft résolument tourné vers le streaming à la Netflix, et commençant à sécuriser les services d’éditeurs influents dans un futur où les consoles ne feraient plus vraiment sens et où seules les exclusivités liées à un service accessible sur une multitude de supports auraient de l’importance ? Un avenir purement dématérialisé qui n’effraie pas le grand patron d’EA, Andrew Wilson, qui réfléchissait justement à un système d’abonnement et de mises à jour payantes pour remplacer l’annualisation de ses licences sportives fétiches.