Voilà maintenant quelques années que nous voyons défiler sur nos écrans les initiatives visant à proposer des services de cloud gaming, et quoi de plus normal : la couverture ADSL / Fibre ne cesse d’évoluer en France, et même si cette dernière reste encore partielle (la moitié des français peuvent prétendre à un accès internet très haut débit, tandis que l’accès à la fibre se réserve à 21% de privilégiés), elle représente désormais un terreau suffisant pour que ce type de prestation puisse prospérer. Cependant, au-delà d’une base d’utilisateurs solide, les NVIDIA, Blade, Orange, Sony et autres acteurs de ce marché doivent également faire face à des problématiques complexes, qui touchent aussi bien à la fiabilité des technologies employées qu’à la gestion des contenus proposés. Et de notre expérience, aucun n’a encore réussi à trouver une offre suffisamment équilibrée pour nous faire abandonner notre bonne vieille tour de joueur. C’est dans ce contexte compliqué que NVIDIA ouvre la bêta de son nouveau service GeForce Now, destiné aux utilisateurs PC et Mac.
GeForce Now… Cette dénomination ne doit pas être une inconnue pour quiconque s’intéresse un tant soit peu aux services de cloud gaming ou aux marchés des puces graphiques, puisque c’est NVIDIA qui en est à l’origine, et qu’elle désigne le premier service de jeu vidéo délocalisé de la marque, arrivé sur le marché un beau matin de septembre 2015. A l’époque, il s’agissait de soutenir le lancement des produits Shield, en leur offrant des fonctionnalités gaming inédites : grâce à GeForce Now et à la puissance du Cloud, les possesseurs de Shield TV ou Tablet allaient pouvoir profiter des meilleurs jeux PC sur des appareils Android qui à la base, n’étaient pas capables de les faire tourner en natif. Bon, ça, c’était la promesse de base. Dans le monde réel, le service a souvent connu des jours moins glorieux. Les joueurs représentent un public exigeant, que ce soit en matière de qualité de rendu, de réactivité, ou de fluidité, et avant de pouvoir les satisfaire sur ces critères, NVIDIA a dû faire face à de nombreux écueils techniques qui ont mis à mal l’image de son service. D’autre part, l’offre reposait sur un catalogue défini de titres, titres qui ne brillaient ni par leur côté exclusif, ni par leur jeunesse. Un aspect qui perdure d’ailleurs et qui explique surement en grande partie les difficultés de GeForce Now à imposer les 9,99€ qu’il demande chaque mois.
Dès lors, qu’est-ce l’extension de GeForce Now aux utilisateurs Mac et PC pourrait bien changer à cette situation ? Eh bien, tout, aurait-on envie de vous répondre, tant la nouvelle expérience proposée par NVIDIA nous a bluffés … Oui, bluffés, le terme n’est pas trop fort, car il marque bien la différence entre la perplexité dans laquelle nos précédentes expériences de Cloud Gaming nous avaient laissées et l’enthousiasme qui nous habite aujourd’hui.
Mais avant d’aller plus loin dans les prises de position, il nous parait utile de vous redonner un bref aperçu de l’univers du Cloud Gaming, et des différences techniques qui vont caractériser la nouvelle offre GeForce Now face à la concurrence. Rappelons d’abord que le Cloud Gaming est une solution technique visant à vous faire profiter d’un jeu sur une plateforme (console, PC, tablette ou téléphone), sans pour autant que ce jeu y soit installé. La partie est alors entièrement hébergée et gérée par un serveur éloigné, et les images de vos exploits vous sont directement envoyées en temps réel, via le réseau internet. Évidemment, pour que l’expérience soit réussie, il faut que de chaque côté (serveur et utilisateur), les informations transitent de manière continue et très rapide, sans quoi on en arrive aux aléas techniques que nous décrivions plus haut. En contrepartie, l’utilisateur est censé pouvoir profiter de n’importe quel jeu sur n’importe quel appareil, tant que ce dernier a la capacité de décompresser correctement le flux vidéo qui lui parvient.
Voilà pour les bases. Derrière, il y a deux écoles, pourrait-on dire, pour la mise en œuvre de ce type de service : soit le fournisseur propose un portail qui donne accès à un catalogue plus ou moins large de titres, en échange d’un abonnement mensuel. Ce modèle est celui retenu par Sony pour le PlayStation Now, par Orange, ou par NVIDIA pour la première mouture de GeForce Now. Soit on procède de manière plus ouverte, à l’image de Blade / Shadow : plutôt que de limiter l’utilisateur à un cadre figé, la jeune société française propose un accès à un environnement Windows 10 complet, toujours propulsé par le cloud, et au sein duquel l’utilisateur pourra faire ce qu’il veut, et notamment, installer tous ses jeux Steam, Uplay ou GoG, avec pour seule restriction la capacité de stockage qui lui sera octroyée.
Où se situe GeForce Now PC et Mac dans ce paysage ? Eh bien un peu à mi-chemin entre ces deux modèles. Plus concrètement, GFN reprendra le principe d’un espace Cloud plus ouvert, au sein duquel l’utilisateur pourra profiter de différentes plateformes de jeux, au lieu d’un catalogue fermé : sur la version bêta que nous avons pu tester, Steam, Uplay, et Battle.net étaient ainsi accessibles, et dans la mesure où l’on s’y connectait avec nos identifiants, c’est bien une large part de nos jeux achetés qui apparaissait dans l’interface. Par ailleurs, on signalera que NVIDIA permet aussi l’accès à un certain nombre de titres Free to play, comme LoL, Paragon, SMITE, TERA, et on en oublie…
Par contre, contrairement à Shadow, l’ouverture s’arrête là : aucune fonctionnalité Windows n’est disponible, et nous n’avons d’ailleurs aucun système de stockage associé. GFN gère tout en arrière-plan : les serveurs NVIDIA stockent ainsi une grande quantité de titres. Si le jeu de votre bibliothèque fait partie du lot, l’installation se limitera au rapatriement de vos sauvegardes et le lancement sera presque immédiat. Sinon, il vous faudra attendre quelques minutes, après quoi l’accès au jeu interviendra. A ce titre, GeForce Now est bien une pure offre de Cloud Gaming, là où Shadow s’inscrit plus sur une proposition étoffée de Cloud Computing.
Avoir tous ses jeux à disposition via une interface simple et une bonne connexion internet, sans contrainte de stockage, la promesse est sexy, mais finalement, c’est presque moins sur cet aspect, pourtant majeur que GFN nous a convaincus : c’est sur la qualité et la stabilité de son expérience, pourtant en bêta, que NVIDIA a marqué le plus de points. Nous avons ainsi passé des dizaines d’heures sur GeForce Now, sur différents jours, à différents moments de la journée. Nous avons varié les plateformes (PC plus ou moins puissants), et les accès à internet (on est néanmoins resté sur de très bons débits ADSL, à minima). Et non seulement les défaillances du service se sont comptées sur les doigts d’une main, mais ces dernières ne dépassaient jamais le cadre d’une légère dégradation d’image très ponctuelle. La latence comme la fluidité nous ont paru réellement excellente, et cette expérience s’est renouvelée sur tous les portails par lesquels nous sommes passés, et sur tous les jeux testés : Diablo III, The Division, Shadow of War, Batman Arkham Asylum, Batman Arkham Knight, League of Legends, Ghost Recon Wildlands, ou Styx Shard of Darkness.
La qualité d’un service de Cloud Gaming tel que GeForce Now va évidemment beaucoup dépendre de celle de votre connexion internet. D’une manière générale, GeForce Now vous demandera un débit entre 30 et 45 Mbits pour un fonctionnement optimal, selon notre expérience et nos mesures, et à titre de comparaison, c’est également l’intervalle de débit utilisé par Shadow, lorsqu’un jeu est lancé. Il faudra également disposer d’une latence relativement faible. Nous avons ainsi essayé GeForce Now sur une connexion fibre (250 Mb Down / 110 Mb Up / 3 ms Latence) et une connexion 4G (100 Mb Down / 17 Mb Up / 52 ms Latence), et si le service maintenait un bon niveau de rendu dans ce dernier cas, les fluctuations de qualité de compression et les lags étaient un peu plus fréquents. De son côté, NVIDIA recommande entre 25 et 50 Mbits de débit descendant, et une latence de moins de 40 ms.
Histoire de vous donner quelques éléments de comparaison supplémentaires, nous avons retesté en parallèle de GFN les services Shadow et PlayStation Now. On passera rapidement sur ce dernier, qui ne tiendra pas la comparaison avec ses deux concurrents : certes, le catalogue est important, et certains jeux exclusifs à la plateforme de Sony s’y trouvent. Malheureusement, non seulement le PS Now n’est pas dénué de problèmes de latence (ponctuels, mais présents), mais la qualité visuelle proposée (qui est celle des versions PS3 ou PS4 des jeux) est souvent très en retrait, que l’on parle de définition d’images, ou de densité des détails et des effets. De fait, GFN se rapprochera bien plus en termes de qualité d’un Shadow, et même, nous dirions qu’il fait légèrement mieux : au global, les deux services reposent sur une puissance graphique équivalente (une GTX 1080) et offrent des expériences gaming très fluides en résolution Full HD, ainsi que le support d’écrans à hautes fréquences de rafraichissement (60 ou 120 Hz pour GFN, jusqu’à 144Hz pour Shadow). Cela étant dit, les problèmes ponctuels demeurent plus fréquents sur Shadow : distorsions audio, ralentissements, ou baisse de la qualité de compression en sont quelques exemples.
Comme nous l’avons souligné, nous avons mis à l’épreuve cette nouvelle mouture de GeForce Now sur différentes machines, et dans différentes conditions. Côté machine, nous avions à notre disposition un portable Acer Spire 5 équipé d’une Core I5 7200U et de 8 Go de mémoire RAM, et un Intel NUC porté par un Core i3-7100U. Enfin, nous avons également effectué quelques essais sur un portable Gigabyte Aero 15X. Concernant la partie réseau, nous étions la plupart du temps sur des connexion Orange fibre et ADLS, auxquelles nous accédions en Wifi 5 GHz, en filaire, ou via des modules CPL (Devolo), pour des expériences identiques.
Au-delà de ça, Shadow continue d’être parsemé de petits bugs plus ou moins gênants : par exemple, sous Diablo III, et sous Windows d’une manière générale, la sensibilité de notre souris baisse lorsque l’on manipule une fenêtre. Évidemment, dans l’absolu, ce n’est pas grand-chose, mais c’est le genre de bugs qu’il faut supporter de temps en temps sur Shadow, là où on ne trouvera finalement pas grand-chose à redire au fonctionnement de GeForce Now PC. Un état de fait que l’on imagine être une conséquence directe des ambitions réciproques de chaque fournisseur : en voulant donner à ses utilisateurs un PC complet et fonctionnel, Shadow doit gérer de nombreuses contraintes techniques liées à son utilisation polyvalente, tandis que GFN peut se focaliser sur l’unique objectif d’une expérience gaming la plus aboutie possible, et sur ce point, c’est assez réussi. Et l’on parle de qualité de rendu, de fluidité, mais notre constat est valable également sur l’aspect stockage. Shadow limite pour l’instant ses utilisateurs à 256 Go, auquel il faut retirer le poids du système, d’un OneDrive, et de quelques logiciels. Et lorsque l’on se retrouve face à des Shadow of War qui pèsent près de 100 Go, ça devient un vrai problème. Problème que GeForce Now n’a pas, puisque son orientation purement Gaming lui permet de proposer des solutions moins clivantes.
GeForce Now est-il pour autant exempt de tout défaut ? Évidemment non, puisque le service va rester quelque temps en phase bêta, pour corriger par exemple les soucis de localisation que nous avons constatés : tout est en anglais pour l’instant, jeux y compris. D’autre part, impossible d’avoir complètement la main sur son compte Steam, Uplay, ou Battle.net et sur la totalité de nos catalogues, la faute à un bug. Et ce que le service nous a montré ces derniers jours, il faudra qu’il le confirme une fois qu’il aura fait le plein d’utilisateurs. Et c’est une étape à ne pas sous-estimer. Enfin, il reste la question du prix : GeForce Now dispose d’atouts indéniables pour séduire, mais avec un PSNow à 15€ par mois, et un Shadow à partir de 29,95€ par mois, la marge de manœuvre n’est pas énorme pour NVIDIA. Lors du CES 2017, à l’occasion de la première annonce de GeForce Now pour PC, le fabricant avait ainsi évoqué un tarif de 25 dollars pour 20H de jeu, ce qui n’aurait pas beaucoup de sens dans l’état actuel du marché. On parie plutôt sur une offre autour de 20€ mensuel. Espérons en tout cas que la partie commerciale ne vienne pas tout gâcher, car de ce que nous en avons vu pour l’instant, NVIDIA tient une solution technique particulièrement convaincante, et à laquelle nous conseillerions sans doute d’adhérer si nos excellentes impressions venaient à se confirmer.
L’ouverture de la bêta de GeForce Now sur PC et Mac a été l’occasion de nous replonger sur la version du service accessible grâce à une Shield TV ou Tablet, et à l’évidence, tous les constats que nous avons faits pour la bêta, sur l’excellente qualité du service, sont valables sur Shield. Reste que sur ce support, l’utilisateur reste limité à un catalogue qui n’est pas particulièrement sexy. Les titres proposés sont ainsi souvent de bonne qualité, mais ils sont datés pour la plupart. Il va de soi que la Shield TV gagnerait à se rapprocher de l’offre GeForce Now PC. Le fabricant avait d’ailleurs évoqué lors du CES 2017 l’arrivée prochaine du service Uplay, sans que cette annonce soit suivie d’avancées concrètes.