Angleterre, fin de l'année 1998. Alors qu'ils sont en pleine ascension, quatre garçons dans le vent décident de quitter le studio de leur début, RARE, pour fonder Free Radical Design. Spécialisé dans le jeu de tir à la première personne - on leur doit GoldenEye ou encore Perfect Dark sur Nintendo 64 - le quatuor composé de David Doak, Steve Ellis, Graeme Norgate et Karl Hilton a conscience du risque entrepris mais aspire à une liberté créative totale. Passionnée par la littérature et le cinéma, la jeune équipe va alors s'appuyer sur l'expérience acquise pour réaliser un jeu qui soit à son image : décalé et fun. Persuadés que l'avenir passera par les modes compétitifs, les créateurs britanniques vont choisir la voie de l'expérimentation en misant sur le multijoueur et la convivialité. Préfigurant des œuvres comme Gigantic, Battleborn ou l'incontournable Overwatch, TimeSplitters va être le point de départ d'une trilogie épique. Afin de vous raconter les coulisses de cette aventure, nous avons contacté Karl Hilton, l'une des têtes de gondole du projet, qui a gentiment accepté de nous répondre. Entre voyages dans le temps, action non-stop et personnages complètement barrés, nul doute que cette licence n'est décidément pas comme les autres !
Au même titre qu'un film, qu'une pièce de théâtre ou qu'une comédie musicale, la création d'un jeu vidéo est un long processus et un morceau de vie pour des dizaines voire centaines d'individus. Durant ces mois et années, il arrive que la production soit émaillée d'évènements pouvant bouleverser l'édifice créatif. Ces obstacles forment l'expérience et permettent d'aboutir, généralement, à une œuvre bien différente des concepts d'origine. Le jeu vidéo n'échappe pas à cette règle et il est souvent l'épicentre d'une foule de circonstances amenant les développeurs à se surpasser. Jeuxvideo.com a décidé de vous raconter l'histoire de ces jeux, mais surtout de ces hommes et femmes qui ont, par le prisme d'une œuvre artistique, écrit une partie de leur biographie. Régulièrement, vous retrouverez les témoignages de ces artistes apportant un nouveau regard sur les productions d'hier. Cette fois, nous plongeons dans l'univers d'une série qui résonne encore dans le cœur de nombreux joueurs : TimeSplitters. Ce titre, exclusif à la PlayStation 2, a donné naissance à une saga multi-support sublimée par un second épisode absolument inoubliable. Mêlant à la fois l'Histoire, les voyages temporels et les affrontements en multijoueur, l'œuvre de Free Radical Design est régulièrement sujette aux appels de fans qui espèrent le retour de la licence sous la forme d'un remake. Soucieux de connaître les coulisses de cette aventure née en 1999, nous sommes partis à la rencontre de l'un des fondateurs du studio. Bonne lecture et n'hésitez pas à nous dire, dans les commentaires, si vous souhaitez revoir de façon régulière ce type d'articles.
Dès son plus jeune âge, Karl Hilton aspire à devenir créateur de jeux vidéo. Fasciné par le média, il commence à programmer alors qu'il n'est que collégien :
Adolescent, je codais déjà des jeux avec un pote sur Spectrum, Commodore ou encore sur les ordinateurs 8-bits d'Atari. En mettant la main à la pâte, on espérait que nos programmes seraient publiés dans les magazines informatiques de l'époque. C'était très amusant d'essayer de faire des jeux qui soient intéressants et si on était publié, on pouvait recevoir un chèque oscillant entre 10 et 25 livres sterling (entre 15 et 30 euros en tenant compte des taux de change historiques). Cela représentait beaucoup d'argent pour nous ! Du coup, je me suis vite dit que ça serait génial d'en faire mon métier après mon parcours scolaire.
Les années passent et le britannique se spécialise dans le design. Diplôme en poche, il ne tarde pas à rejoindre un studio de développement qui monte : RARE. Fondée par les frères Stamper dans les années 80, l'entreprise basée à Twycross est devenue incontournable dans l'industrie. À l'origine du fantastique Donkey Kong Country (nous vous invitons à découvrir les coulisses dans ce dossier), elle est réputée pour être à la pointe de la technologie et demeure à cette époque l'une des seules sociétés dans le monde - avec Boeing - à posséder des stations de travail Silicon Graphics. Pour n'importe quel créateur en devenir, cet employeur est l'un des plus performants qui soient. Karl Hilton finit par rejoindre l'équipe de Martin Hollis et devient responsable de la mise en scène au sein du jeu Goldeneye.
L'intéressé se souvient :
RARE était une boite fantastique pour débuter sa carrière dans le jeu vidéo. C'était un travail très créatif et vous étiez entouré de gens talentueux et expérimentés. Au-delà de l'environnement qui était génial, on vous laissait seul et autonome afin de ne pas brider votre créativité. Quand j'ai été embauché dans ce studio, je n'en revenais pas. J'avais du mal à croire que je travaillais sur Goldeneye ou encore Perfect Dark.
Pourtant, à la fin 1998, Karl Hilton et trois de ses collègues prennent la décision de quitter RARE. Ce choix, extrêmement délicat, mettra plus de trois mois à se concrétiser comme le reconnaît le développeur anglais :
Partir a été une décision très difficile (l'une des plus difficiles de toute ma vie) car j'adorais mon métier et je me sentais très bien là-bas. Mais au fond de moi, j'avais cette sensation qui me démangeait. Je voulais faire un jeu pour moi, un titre comme j'en rêvais à l'adolescence.
En février 1999, la fine équipe s'installe à Nottingham dans les locaux rénovés d'une usine historique de la ville. Le nom est alors déposé : Free Radical Design. Free pour matérialiser la liberté, Radical pour marquer l'approche franche du studio et enfin Design pour démontrer l'importance de la direction artistique dans les futurs jeux de l'équipe. Et le mot "radical" est loin d'être usurpé comme le précise l'interviewé :
Free Radical Design était l'occasion de faire un jeu qui soit à notre image et sur lequel on avait une liberté totale. En revanche, nous n'avions jamais travaillé avec un éditeur donc, il faut bien le dire, c'était une courbe d'apprentissage particulièrement abrupte.
Heureusement pour les développeurs britanniques, l'éditeur qui va être séduit par leur projet se nomme Eidos. Installé en Angleterre, ce dernier est à l'origine du succès de Tomb Raider et laisse une grande liberté à ses équipes, n'intervenant que très rarement dans le processus de création. Délesté de toute pression, Free Radical Design se met au travail.
LA RÉDEMPTION
Par quoi commencer ? À cette époque, Karl Hilton et ses compères passent énormément de temps à discuter des envies de chacun. Les différentes réunions aboutissent à la conception d'un prototype qui ne sera pas utilisé dans l'immédiat.
Au départ, nous avons planché sur un jeu nommé "Redemption". Cependant, nous avons décidé de mettre ce titre en "stand-by" lorsque Sony a annoncé le report de la PlayStation 2. Là, nous nous sommes rendu compte que si nous nous concentrions sur un FPS avec une approche multijoueur, nous pourrions terminer le projet dans les temps, pile poil pour la sortie de la console.
Voyant d'un bon œil le report de la machine de Sony, l'équipe estime qu'elle peut réaliser un jeu plus ambitieux qu'escompté. En s'appuyant sur ses précédentes productions au sein de RARE, elle décide alors de miser, comme il était convenu, sur un FPS compétitif.
C'était un genre de plus en plus populaire et le succès de Goldeneye l'a confirmé.
Exit Redemption, place à un nouveau projet ! Celui-ci débute alors par un nom de code qui risque d'en laisser plus d'un pantois. Alors que certains développeurs aiment donner des noms de code qui "tapent", le flegme british de Free Radical Design en dit long sur la sérénité des intéressés :
Nous avons choisi quelque chose d'incroyablement mémorable, on a appelé notre projet "jeu multijoueur".
Laissant de côté le premier prototype, la petite team se met à plancher sur un concept qu'elle envisage depuis longtemps : le voyage dans le temps. Karl Hilton, en tant que responsable artistique, est alors très sollicité.
Il se remémore :
Notre souhait était de créer un jeu "bac-à-sable" ne répondant à aucune règle précise. L'idée était de concevoir des niveaux faisant référence à différents genres cinématographiques afin de nous amuser avec nos films préférés tout en ayant une certaine liberté créative.
Pour donner du corps au projet, les cinq compères vont alors se tourner vers une série devenue culte mettant en scène un duo inoubliable : Scott Bakula et Dean Stockwell.
"Dans l'esprit, TimeSplitters était similaire à la série télévisée Code Quantum qui repassait à ce moment-là et à partir de laquelle nous avons développé le principe du joueur incarnant, à chaque scénario, un personnage à une époque différente. De ce fait, le voyage dans le temps est venu naturellement.
L'idée directrice étant en place, il reste beaucoup à faire mais Free Radical Design, qui a décidé de créer un jeu exclusif à la PlayStation 2, va avoir un soutien de poids, comme l'explique notre interlocuteur :
Sony a été très utile durant le développement et TimeSplitters ne serait pas sorti aussi rapidement sans leur soutien. Ils se sont déplacés à Nottingham où nous étions installés et cela n'a pas pris des mois. Ils sont venus nous rendre visite très tôt. Dès qu'ils ont vu ce que nous avions préparé sur l'un des PC, ils nous ont donné accès aux kits de développement de la PlayStation 2 et à tout le support technique dont nous avions besoin. Pour une start-up comme la nôtre, obtenir cette main tendue naturelle était une vraie aubaine.
Dès lors, tout semble en place pour mener à bien la création du jeu.
LE TEMPS QUI SPLITTE
Au départ de l'aventure, Free Radical Design se résume à ses quatres fondateurs et un employé. L'équipe sait qu'elle n'ira pas loin avec un personnel aussi restreint et fait alors appel à ses contacts pour agrandir le staff.
Karl Hilton se rappelle :
Lors de la création de l'entreprise, nous étions 5 mais ce chiffre a rapidement évolué jusqu'à atteindre 16 personnes à la fin du projet. C'est une vraie chance de travailler avec une équipe de cette taille car la communication est plus simple et chacun parvient à définir clairement son rôle. On doit veiller à la partie du jeu dont on est responsable. Chez Free Radical Design, nous étions ravis de travailler sur notre premier projet et aussi très optimistes quant au potentiel du concept que nous étions en train de mettre en place. Nous étions aussi soucieux de ne pas échouer car TimeSplitters pouvait être à la fois notre premier comme notre dernier jeu.
Comme tout studio qui débute, l'entité de Nottingham doit faire avec les exigences de l'éditeur Eidos. Bien que celui-ci leur laisse une entière liberté, il garde un œil averti sur les dépenses. Le budget est limité et l'équipe de Free Radical ne dispose que d'une douzaine de mois pour mener à bien la réalisation de TimeSplitters. C'est une expression qu'on lit très souvent dans les making of des jeux de l'époque mais c'est la vérité. À l'instar de nombreuses productions, TimeSplitters a fait l'objet d'une véritable course contre-la-montre. Par conséquent, ce premier jeu a été la proie de nombreuses concessions. À commencer par un mode solo extrêmement limité, mais c'était le prix à payer pour espérer tenir les délais.
Pendant que ses compères s'affairent, Karl Hilton fait parler son inventivité et ses talents de dessinateur.
Il détaille :
J'étais l'artiste principal et par conséquent j'étais responsable de toute la partie artistique du jeu. Je devais également recruter les nouveaux membres dont nous avions besoin : animateurs, character designers (créateurs de personnages), etc. Personnellement, je me suis spécialisé dans la conception des décors donc j'ai travaillé sur une très grande partie des environnements du jeu.
À mesure que le temps s'égraine, la pression monte mais l'équipe peut compter sur la confiance et le professionnalisme de ses collaborateurs.
Nous étions très concentrés durant la conception du jeu mais aussi durant sa fabrication et son lancement. Nous voulions nous assurer que notre premier jeu soit à la hauteur des attentes placées en lui. Dès le début, nous étions confiants vis-à-vis de nos capacités et de notre technologie donc nous n'avions pas peur de les montrer. Au contraire, on était très impatients de révéler aux joueurs sur quoi nous travaillions.
LE COUP DU DESTIN
Vers la mi-octobre de l'année 2000, soit près d'un an après la mise en chantier du jeu, TimeSplitters voit le jour sur PlayStation 2. Premier FPS à atteindre la monolithe noir de Sony, le titre reçoit un accueil critique des plus honorables et se retrouve même dans le top 10 des ventes dans plusieurs pays. Pour Free Radical Design, la réussite du pari est à la hauteur de la satisfaction qui se lit sur les visages. Karl Hilton, en première ligne lors de ce lancement, raconte avec nostalgie :
Ce fut un énorme soulagement de terminer le jeu dans les temps. Il nous aura fallu à peu près une année complète pour boucler le développement, ce qui représentait un grand défi pour un premier projet. Après avoir obtenu la validation de l'éditeur, toute l'équipe s'est pointée au pub local pour fêter ça avec quelques bières. Je me souviens toutefois que le lancement a été une grosse période de frustration pour nous car la demande était supérieure à l'offre dans les magasins. Les exemplaires du jeu étaient insuffisants et nous avions l'impression de rater nos ventes. En fin de compte, il a été bien accueilli dans les magazines et s'est écoulé correctement donc nous étions satisfaits.
Durant l'entretien, Karl Hilton nous en a toutefois appris une bien belle : TimeSplitters a bien failli ne jamais voir le jour ! Et lorsqu'on évoque avec lui la raison de cette situation, il y a de quoi bondir !
En fait, le jeu aurait pu ne jamais sortir ! Steve Ellis, le programmeur en chef de notre moteur maison, a failli basculer dans le vide alors que nous étions en tout début de développement. Les locaux de nos débuts n'avaient pas de climatisation, si bien que nous utilisions des portables reliés à des échangeurs de chaleur (NDA : il s'agit d'un dispositif qui permet de transférer de l'énergie thermique d'un fluide vers un autre, là il leur servait de climatiseur) que nous devions trainer par la fenêtre. C'était un été très chaud et nous devions les installer tous les matins pour pouvoir travailler. Je me souviens avoir entendu un cri et en me retournant, j'ai vu Steve qui pendait dans le vide ! Il était accroché par le bout de doigts à un générateur très lourd. Tout le monde s'est précipité, on l'a attrapé et on a réussi à le ramener parmi nous. Après cet épisode, on a même décidé de prendre une assurance pour lui !
UNE SUITE INOUBLIABLE
Malgré cette mésaventure qui aurait pu être dramatique, l'équipe est parvenue à mener à bien son premier projet. Satisfaits du résultat et des ventes, Karl Hilton et ses collègues ne tardent pas à envisager une suite, comme le confirme le responsable artistique :
Après TimeSplitters, nous avons immédiatement fait des recherches pour une suite et c'est là qu'on a repris le projet resté en "stand-by", le fameux Redemption. Nous étions persuadés qu'une suite à TimeSplitters serait plus ambitieuse et qu'il nous fallait une plus grande équipe, un délai de conception plus important et une technologie optimisée.
Bien conscient des lacunes du premier épisode, l'équipe anglaise a alors une vision très précise de ce qu'elle désire. Elle va ainsi s'appuyer sur le prototype "Redemption" mais ce dernier, qui a une approche de jeu solo, sera pleinement utilisé pour l'élaboration de Second Sight, un autre titre du studio. Cela n'a pas empêché TimeSplitters 2 de rapidement prendre son rythme de croisière.
Le premier jeu dispose d'un mode solo restreint en raison des délais serrés dont nous disposions. Donc, dès le départ, notre objectif a été de développer une histoire solo qui soit beaucoup plus narrative et dense. Nous avons passé beaucoup de temps à développer les modèles de chaque protagoniste mais aussi les scénarios de chaque niveau. À l'origine, on voulait une approche très cinématographique pour nos héros mais ce n'est là que le point de départ des environnements de TimeSplitters 2. Pour que les protagonistes s'intègrent à leur époque, il nous a fallu développer leur personnalité pour qu'ils puissent se fondre à l'histoire.
Contrairement à TimeSplitters qui misait tout sur son aspect multijoueur, TimeSplitters 2 propose un véritable mode solo avec une chouette mise en scène, des personnages aussi loufoques qu'excellents et des niveaux très variés. Le joueur est ainsi amené à traverser des environnements comme la Sibérie dans les années 90 (un niveau très inspiré de Goldeneye), le Chicago de 1932 ou encore le grand Ouest. On découvre même le Notre-Dame de Quasimodo ou encore plusieurs époques futuristes. Pour ne rien gâcher, TimeSplitters 2 peut s'appuyer sur une très bonne réalisation. Outre son character design reconnaissable entre mille, le jeu se montre bien plus solide techniquement que son aîné, ne serait-ce qu'au niveau des animations criantes de réalisme pour l'époque ou de l'ambiance générale.
Karl Hilton en profite d'ailleurs pour glisser un mot au sujet de l'atmosphère musicale :
Toute la partie audio a été conçue par Graeme Norgate, l'un des fondateurs de Free Radical Design et l'une des "légendes" de cette industrie. Il a défendu l'importance du design sonore et de la musique dans chacun des jeux que nous avons réalisé et c'est un véritable créateur. Je pense qu'il a beaucoup apprécié le fait de travailler sur autant de lieux différents, allant de l'horreur gothique à la science-fiction, le tout en un seul jeu.
Le tout en un seul jeu, c'est justement l'une des forces principales de la série TimeSplitters. Notre interlocuteur admet qu'un énorme soin a été apporté à la création de ces décors.
D'un point de vue artistique, nous avons passé du temps avec les designers à réfléchir aux époques et lieux que nous souhaitions incorporer. Nous nous sommes interrogés sur l'intérêt que pouvaient avoir un décor, une époque, les défis à mettre en place, etc. Nous avons aussi travaillé en étroite collaboration avec les character designers afin de convenir du type de personnage qu'ils souhaitaient créer mais aussi de leur intérêt par rapport aux environnements choisis. C'était une collaboration poussée. Certains niveaux ont ainsi été dictés par des choix de personnages tandis que d'autres ont été sélectionnés par rapport à l'époque.
En ce sens, le solo de TimeSplitters 2 est une vraie réussite. Mais l'ADN de la licence - qui demeure le multijoueur - n'a pas été oublié. Bien au contraire. Free Radical Design s'est appuyée sur l'expérience acquise avec l'original pour booster la partie conviviale de leur galette. Et si de nombreux joueurs conservent cette nostalgie du jeu, c'est aussi parce que le multi était l'un des plus solides sur consoles à cette époque-là. Karl Hilton et ses collègues n'ont pas lésiné sur les moyens pour frapper fort.
Il explique :
Toute l'équipe adorait les jeux en multijoueur et on a vraiment pris du plaisir à créer les éléments compétitifs de Goldeneye et Perfect Dark. Comme TimeSplitters a été conçu comme un jeu multijoueur avant tout, il était naturel pour nous de nous appuyer sur cette expérience et créer un multi qui soit amusant, flexible et robuste à la fois. Nous n'avions pas de notes précises sur la direction à suivre mais nous gardions constamment en tête cette envie de tout améliorer, sans éliminer ce qui fonctionnait dans l'épisode précédent. Et cela s'appliquait aussi bien au design, à la direction artistique, au gameplay ou encore à la technologie embarquée.
Travailler en flux tendu demande une grande organisation mais c'était la seule solution pour que Free Radical Design atteigne ses objectifs.
Nous n'avons pas gaspillé beaucoup de contenu. Nous étions une toute petite équipe avec un budget limité, donc nous ne pouvions nous permettre de créer des éléments pour ensuite les zapper. De ce fait, les musiques, les éléments artistiques étaient, tout au plus, modifiés mais rarement abandonnés.
TimeSplitters 2 arrive au mois d'octobre 2002 et débarque, à l'inverse du premier épisode, sur toutes les plateformes du moment. Comme c'était bien souvent le cas dans de nombreux studios, la mouture PlayStation 2 a servi de base et quelques améliorations techniques et esthétiques ont été apportées sur les versions Xbox et Gamecube.
Nous avons demandé à Karl Hilton si ces adaptations ont été des problèmes et sur ce point il est catégorique :
Dans mes souvenirs, aucune console n'a posé de problèmes. Nous venions d'un environnement "Nintendo" donc nous étions prêts à travailler sur une version Gamecube. Comme notre but était d'atteindre les 60 images par seconde, nous avons gardé cela à l'esprit et la direction artistique fut rigousement contrôlée et traditionnelle dans son approche. Ce n'était donc pas un problème de faire tourner le tout sur plusieurs supports.
Aujourd'hui encore, TimeSplitters 2 demeure une valeur sûre et reste très apprécié des joueurs. Sur un site comme jeuxvideo.com, l'avis des lecteurs atteint, sur les trois versions, la note de 18 sur 20. Parallèlement à cela, la note Metacritic culmine à 90% sur PlayStation 2 et 88% sur Xbox et Gamecube. Le mélange d'action et d'ambiance cartoonesque a tout simplement fait craquer les joueurs et ce n'est pas pour rien qu'il demeure, pour beaucoup, l'un des meilleurs shooters sortis sur consoles. Ce second opus possédait même un éditeur de cartes, c'est dire !
TIMESPLITTERS 4 ?
Un troisième volet, intitulé Future Perfect, verra le jour en 2005 pour un résultat sympathique mais moins surprenant. La concurrence était plus rude à sa sortie et beaucoup n'ont pas retrouvé le feeling du second épisode. Il n'en demeure pas moins très agréable et conserve une ambiance assez barrée, à l'image de la licence.
Avec du recul, Karl Hilton mesure le chemin parcouru :
Free Radical Design a déménagé plusieurs fois en grandissant. Notre aventure a débuté dans les vieux locaux de Raleigh (fabricant historique de bicyclettes) qui était l'un des plus gros employeurs de Nottingham. C'était un vieux bâtiment très vaste qui avait été restauré pour accueillir de nouvelles entreprises. À l'époque, nous avons pu conserver intacte la salle de réunion d'antan. La pièce était recouverte de lambris de chêne, il y avait une grande fenêtre et une grande cheminée. C'était assez surréaliste de faire nos réunions là-dedans mais ça a probablement eu une influence sur TimeSplitters. Pour réaliser les deux premiers épisodes, cela nous aura pris 2 ans au total. Nous étions 16 personnes à la fin de TimeSplitters et on a terminé avec une bonne cinquantaine d'employés avec TimeSplitters 2.
Ces développements ont parfois été éreintants et tous ont dû faire des sacrifices pour parvenir à boucler les jeux dans les temps.
Toute l'équipe a effectué de nombreuses heures sup' pour terminer les deux jeux. Nous étions souvent en studio dès 8 heures du matin jusqu'à 20 heures le soir et il nous arrivait de rester très tard lors des phases de rush. Ceci dit, on a vraiment adoré travailler sur ces jeux donc ce n'était pas un emploi dur et désagréable. C'est juste que nous avons tout donné pour faire le meilleur jeu qui soit.
Timesplitters 4 est un peu un serpent de mer qui ressurgit de temps à autre. La licence appartient désormais à Crytek (en 2009, la firme allemande a racheté Free Radical Design et l'a renommé Crytek UK) et les responsables n'ont eu de cesse de brouiller les pistes. S'il est indéniable que cet épisode a été évoqué au sein de la maison-mère, on a aussi l'impression d'être pris pour des jambons. Ce qui est sûr, et Karl Hilton nous l'a certifié, c'est que des travaux préparatoires ont été réalisés par l'équipe originelle des TimeSplitters.
Nous avons travaillé sur un prototype destiné à la nouvelle génération de consoles de l'époque (PlayStation 3, Xbox 360). Nous avions un très bon rendu sur le moteur 3D, de bons concepts et nous avions même un niveau de test (un château gothique). C'était très classe visuellement et ça fonctionnait bien. Nous avons alors entamé les discussions avec plusieurs éditeurs mais aucun d'entre eux n'étaient intéressés à ce moment-là. Il faut dire que nous étions en pleine crise financière (2007/2008) et les éditeurs étaient naturellement prudents.
C'est triste mais il va falloir se faire une raison. Ce n'est pas demain que l'on verra poindre un TimeSplitters 4, malgré la révélation de temps à autre d'artworks préparatoires d'époque. Dans ces conditions, on ne peut que garder espoir en TimeSplitters Rewind. Prévu initialement pour cette année, il reste malheureusement terriblement discret. Il s'agit d'un projet fan-made, chapeauté par Joshua Nuttal, qui est en développement depuis plusieurs années. Dans les coulisses, il se raconte que les dirigeants de Crytek ont été séduit par le projet et qu'ils ont décidé de participer financièrement à la création du jeu. Mais entre les "ouï-dire" et ce qui se trame dans la réalité, il y a parfois un monde... Qui sait ? On aura peut-être des nouvelles en 2018...
Sans révéler quoi que ce soit, il faut savoir que le Caporal Hart joue un rôle primordial à partir de TimeSplitters 2. On a voulu en savoir plus sur les évènements qui l'entourent et voilà ce que Karl Hilton nous a répondu :
Je ne me souviens pas pourquoi ou comment nous avons laissé les choses en l'état mais je suis sûr que nous aurions, en nous appuyant sur les récits des voyages dans le temps, fait en sorte de la ramener lors du 4ème jeu.
On peut donc penser que la demoiselle aurait fait son apparition dans un hypothétique quatrième volet. Mais ça, nous le saurons sans doute jamais...
Karl Hilton, quant à lui, préfère se remémorer les bons moments et le pari qu'a représenté cette aventure.
Nous avons délibérément choisi de créer un FPS qui ne suivent aucune tendance. Après, dans l'équipe, nous étions tous de grands fans de Doom et de Quake et nous aimions la rapidité de ces jeux et les temps de réaction imposés aux joueurs. Pour dire les choses plus clairement, je pense qu'il y a aujourd'hui des FPS en ligne qui se rapprochent de l'état d'esprit de TimeSplitters et qui snot un grand succès. Le plus évident d'entre tous est assurément Overwatch.
Free Radical Design n'a pas résisté au poids des années. L'échec de Haze sur PlayStation 3 a été un vrai coup dur pour eux et l'annulation du projet "Star Wars : Battlefront III" (qui était quasiment bouclé selon plusieurs sources) a signé leur arrêt de mort. Qu'importe, la licence TimeSplitters, et notamment l'extraordinaire second épisode, restera l'apanage des anciens protégés de RARE et devrait rester dans nos esprits pendant quelques années encore.
Nous laisserons ainsi le mot de la fin à Karl Hilton.
C'était très amusant de réaliser ces jeux et on parle d'une époque où il était possible d'être compétitif et de créer un jeu AAA avec une petite équipe. Le marché était également plus ouvert aux nouvelles idées et aux genres inédits, on pouvait donc avoir une réelle approche expérimentale dans tout ce que nous faisions. Eidos était un éditeur très libre et ils n'étaient absolument pas contraignants en nous demandant de changer sans arrêt des éléments. C'était un environnement de développement à la fois idéal et aussi un peu "sauvage" à l'image du Far West.
Assurément une autre époque.
Sources :
- Interview Karl Hilton (réalisée en novembre 2017)
- Wikipedia sur la série TimeSplitters
- Interview Karl Hilton (magazine PSM2 - mai 2002)
- Blog de Ben Newman - Character designer de la série