Pratiques poncées jusqu’à la substantifique moëlle par tous les designers désireux d’exploiter le filon Free to play sur mobiles et PC, les micro-transactions s’installent pour de bon sur le marché Premium du jeu vidéo. 2017 rime avec “In-app Purchase” et la gronde monte auprès de la communauté des joueurs. Qu’un jeu “Gratuit” se permette de grappiller quelques deniers est tout naturel... Qu’un jeu à 70€ fasse de l’oeil à nos portefeuilles réveille le manifestant sommeillant au fond de tout un chacun. Par le passé et encore aujourd'hui, les lois qui nous gouvernent restent à bien des égards floues concernant ces procédés mercantiles. Chaque pays statue selon ses propres codes et s’adaptent aux nouvelles habitudes de consommation à mesure que celles-ci s’imposent aux joueurs.
“Nul n’est censé ignorer la loi.” Voici l’un des principes fondateur du droit. Mais les lois ne peuvent encadrer des phénomènes encore en gestation et sont dans la majorité des cas des réponses rétroactives à une fraude, un crime… d’un genre nouveau. Le droit s’adapte donc à son temps. Jurisprudence (ensemble des décisions habituellement rendues par les différents tribunaux relatives à un problème juridique donné et qui permettent d'en déduire des principes de droit), régulation du marché, nouvelle loi… les outils ne manquent pas et les états en jouent pour encadrer un marché du jeu vidéo qui a la fâcheuse tendance à faire du hors-piste législatif. Voici donc un tour d’horizon des lois à travers le monde encadrant les micro-transactions et leur dimension “aléatoire”.
Le pays de l’Oncle Sam
Aux Etats-Unis, la “Gaming Law” tente de réguler le jeu vidéo et les jeux d’argent. Le sujet est complexe, touche le droit pénal, le droit constitutionnel, le droit administratif, le droit des sociétés... et implique aussi bien les lois fédérales que d’états.
Les jeux d’argent (“Gambling”) sont encadrés et la loi protège les consommateurs là où le jeu vidéo reste encore une zone de non-droit partielle. Les législateurs se cassent encore la tête sur la création de lois à même d’encadrer des pratiques évoluant sans cesse. Et les récentes sorties de jeux AAA jettent de l’huile sur un feu déjà ardent. Les lancements successifs de Destiny 2, Forza Motorsport 7, La Terre du Milieu : L'Ombre de la Guerre, FIFA 18 et à venir (Star Wars : Battlefront II…) laissent envisager une démocratisation des micro-transactions au sein des jeux vidéo Premium et ce sans un véritable cadre légal pour réguler les systèmes de monétisation implémentés.
Dans le viseur des joueurs en début d’automne 2017… les Loot Boxes et leur caractère aléatoire. Un sujet brûlant qui anime une communauté vidéoludique pointant du doigt une ressemblance avec l’univers du casino de par ce “random” tant décrié, la possibilité d’investir de l’argent réel et le développement potentiel d’une addiction. Et pour l’ESRB (Entertainment Software Rating Board), la vente de coffres mystères au gain aléatoire n’est pas comparable aux jeux d’argent. Un représentant de cette organisation américaine a ainsi déclaré à nos confrères de Kotaku :
L'ESRB ne considère pas les "Loot Boxes" comme des jeux de hasard. Bien qu'il y ait un élément de chance dans ces mécaniques, le joueur est toujours garanti de recevoir du contenu (même si le joueur reçoit malheureusement quelque chose qu'il ne veut pas). Nous pensons qu'il s'agit là d'un principe similaire aux jeux de cartes à collectionner. Parfois, vous ouvrez un pack et obtenez une carte holographique flambant neuve que vous recherchiez depuis longtemps. Mais d'autres fois, vous vous retrouvez avec des cartes que vous possédez déjà. - Un représentant de l'ESRB.
L’ESRB est une organisation autorégulée qui évalue les jeux vidéo en Amérique du Nord, et au Mexique et les classifie selon une tranche d’âge. Elle n’a pas pour vocation de punir les pratiques listées comme illégales, mais peut influencer les créateurs. La présence de fonctionnalités proches des jeux d’argent a pour conséquence directe un rating “Adults Only” et donc un refus catégorique des grandes enseignes quant à leur distribution. Le contrôle par l’appât du gain certes, mais un contrôle tout de même qui musèle en partie les créatifs les plus zélés.
3 ans auparavant (en 2014), la “Federal Trade Commision” avait assigné Apple en justice et obtenu gain de cause forçant la compagnie créée par Steve Jobs à reverser 32.5 millions de dollars cumulés à certains utilisateurs de l’App Store. La politique d’Apple quant aux micro-transactions, aux achats effectués par des enfants et à son manque de réactivité face aux plaintes des consommateurs avaient poussé cette agence indépendante à prendre les armes. De cette affaire est née une jurisprudence établissant une série de règles appliquées désormais par les boutiques en ligne de jeux vidéos/applications et les micro-transactions.
Le vieux continent
A la différence des Etats-Unis, de son gouvernement fédéral et de ses lois appliquées à travers 50 états, l’Union Européenne est un regroupement de nations souveraines bâti sur un ensemble de traités, directives, règlements, jurisprudences… applicables au sein de l'UE connu sous le nom de “Droit de l’Union Européenne” et intégré aux systèmes juridiques des états membres. Et Bruxelles ne pouvait décemment tourner le regard face à la montée en puissance du Free to Play et des micro-transactions au sein d’un marché du jeu vidéo en plein “Boom”.
Dès février 2014, la Commission Européenne s’est intéressée de près au phénomène. 5 mois plus tard, cette institution de l’UE établissait une première série de directives à destination des éditeurs, distributeurs, boutiques en ligne… via l’Interactive Software Federation of Europe (fédération représentant les intérêts des acteurs majeurs du secteur).
- Les jeux annoncés comme “gratuits” ne doivent pas induire les consommateurs en erreur quant aux véritables coûts impliqués.
- Les jeux ne doivent pas contenir d'exhortation directe envers les enfants pour qu'ils achètent des objets dans un jeu ou pour persuader un adulte d'acheter des objets pour eux.
- Les consommateurs doivent être correctement informés des modalités de paiement des achats et ne doivent pas être débités par défaut sans le consentement explicite des consommateurs.
- Les commerçants doivent fournir une adresse électronique afin que les consommateurs puissent les contacter en cas de questions ou de plaintes.
Et les changements n’ont pas tardé à faire leur entrée sur les boutiques en ligne destinées aux smartphones et tablettes. Le terme “Obtenir” est venu remplacer “Gratuit” dans l’App Store sur le bouton de téléchargement d’une application tandis que Google Play renommait ses labels “Top Free Apps” et “Top Free Games” en “Top Apps” et Top Games” abandonnant la notion de gratuité. Apple a persévéré dans cette voie en créant une section “Kids”, en ajoutant une série de protections face aux micro-transactions et en affichant clairement prix et natures des achats intégrés sur la page des applications.
Sans garantir à tous les joueurs une sérénité financière en parcourant les boutiques en ligne, l’Union Européenne fait son possible pour protéger les plus jeunes et assainir cette pratique devenue monnaie-courante qu’est la micro-transaction.
L’Empire du Milieu
Les habitudes de consommation du jeu vidéo en Chine divergent de celles occidentales en bien des points. Le jeu vidéo sur consoles est quasi-inexistant dans ce pays comptant 1.37 milliard d’habitants (estimation de 2015) tandis que le Free to Play sur mobiles, mais surtout sur PC explose. La chine représentait en 2016 25% du chiffre d’affaire mondial de l’industrie vidéoludique et ces résultats sont en croissance.
Afin de protéger (entre autres) les droits des joueurs, le gouvernement chinois a effectué en 2016 un audit auprès de 200 opérateurs et découverts bon nombres de pratiques illégales ou tout simplement en désaccord avec le droit chinois. Appliquées au 1er mai 2017, ces lois nettoient en profondeur le marché et espèrent rendre les jeux plus justes pour l’ensemble des joueurs. Les éditeurs sont désormais dans l’obligation de déclarer les pourcentages de “Drop” cachés derrière chaque Loot Box ainsi que le nom, les propriétés, le contenu, la quantité et la probabilité de tous les objets virtuels et services présents en jeu sur le site officiel ou sur une page dédiée.
A cela vient s’ajouter l’obligation de révéler les résultats des tirages des clients et de conserver ces données durant 90 jours. Et ce n’est pas tout. Les joueurs sont forcés d’utiliser une ID valide lors de leur enregistrement et ne peuvent se connecter ou effectuer des achats intégrés avant de s’être inscrits. Ces nouvelles lois limitent également l’argent dépensé lors d’une micro-transaction et imposent 2 étapes de validation afin de confirmer l’achat. La Chine ne plaisante pas et vu la taille du marché, les éditeurs historiques ont plié l’échine… Blizzard Entertainment en première ligne.
Le Pays du Soleil Levant
Temple du Free to Play et précurseur du jeu vidéo sur mobiles, le Japon a vu au fil des années des pratiques commerciales retorses s’immiscer dans le gameplay et titiller la frustration des joueurs au point de devenir un problème sociétal.
Au printemps 2012, l’âge d’or du Complete Gacha (ou Kompu Gacha) touchait à sa fin, un modèle populaire de monétisation au Japon forçant le joueur à collectionner un certain nombre d’items distribués aléatoirement contre de l'argent réel dans l’espoir d’obtenir une récompense-objet rare. Suite à une pluie de plaintes des joueurs, la Consumer Affairs Agency (agence du Cabinet du Japon) s’est emparé de l’affaire en mai 2012 et analysé un phénomène courant sur smartphones et tablettes. Après délibération, cette pratique fut déclarée illégale, tout éditeur contrevenant tombant dès lors sous le coup de la loi. Sentant le vent tourner, GREE abandonnait le Kompu Gacha avant même que ce dernier soit déclaré illégal, suivi de près par DeNA, et promettait de réguler le marché. Fin mai 2017, les 2 éditeurs cités précédemment accompagnés de Mixi, NHN, CyberAgent et Dwango annonçaient leurs propres guidelines concernant les différentes formes de Gacha ainsi que la publication des taux de “Drop”.
Nous sommes désormais en 2017. 5 ans se sont écoulés et la poule aux oeufs d’or qu’est le Gacha fait les beaux jours des éditeurs s’étant aventurés en territoire Free to Play. Rien n’a véritablement changé, mais le coup de pied dans la fourmilière eut raison d’une pratique douteuse et fut à l’origine de l'apparition des statistiques liées aux Loot Boxes dans les jeux japonais.
Les micro-transactions, longtemps l'adage des Free to Play, s'insinuent dans les projets AAA et inquiètent les joueurs traditionnels habitués à leurs jeux Premium vendus 20/30/40/50/60/70€. L’évolution est en marche et un volte-face des éditeurs n’est pas à l’ordre du jour étant donné le succès commercial dissimulé derrière ces pratiques. Quand bien même, encadrer celles-ci est essentiel. Les grandes nations vidéoludiques se sont penchées sur le sujet et ont trouvé quelques réponses qui à l’heure actuelle ne sont pas suffisantes pour freiner l’appétit et la créativité des acteurs du marché.