La notion de test dans le jeu vidéo a fait, fait et fera couler beaucoup d’encre. Point final mis sur un développement de plusieurs mois voire années, ces articles influent parfois et à des degrés divers sur la destinée d’un titre. La nature d’un test est sujet à débat. Le jeu vidéo est un paradoxe à lui seul et son expertise ne peut s’en dépêtrer de cette question qui taraude cette industrie depuis ses premiers pas : Evaluation technique d’un produit ou critique artistique d’une oeuvre ? Décortiquons donc ensemble ce savoir-faire si spécifique qu’est le test de jeu vidéo.
Une progéniture bâtarde
Rejeton d’un logiciel et d’une vision créative, le jeu vidéo est tiraillé depuis ses premiers pas par ces deux facettes. L’industrialisation de ce média pointe du doigt sa dimension Produit de consommation… un statut en contradiction avec cette créativité émanant d’un jeu vidéo et donc sa dimension artistique. Et le droit français est un miroir de cette entité bâtarde ne sachant sur quel pied danser. La propriété industrielle protège dans les grandes lignes le code, les algorithmes, un système d’animation... via des brevets ; là où la propriété intellectuelle veille sur les oeuvres de l’esprit (scénario, chara design, direction artistique) par le droit d’auteur et les droits voisins.
Jusque dans les saintes écritures de la loi, le jeu vidéo s’apparente à un être hybride, une fusion de deux mondes diamétralement opposés, et force le journaliste à un travail d’équilibriste afin de retranscrire dans ses propos cette dualité technique/artistique.
Un conflit étymologique
Avant même de se perdre dans un échange philosophique, l’analyse étymologique des termes employés dans la presse vidéoludique est nécessaire. Par sa seule définition, un mot se situe parmi les milliers de termes qui compose notre langage et assimiler le sens premier d’un terme garantit la compréhension de tous. “Tester” signifie “Soumettre un produit à un test pour vérifier son action, son fonctionnement” (cf. Larousse.fr). Et le travail de la presse spécialisée consiste en partie à évaluer un jeu vidéo selon des critères techniques définis et objectifs. En partie seulement. A l’inverse, “critiquer” implique un jugement (cf. Larousse : “Porter sur une œuvre littéraire ou artistique un jugement”) et donc une opinion qui attire le testeur sur les terres de la subjectivité.
Tandis que le test s’attarde sur le logiciel, la critique se penche sur l’oeuvre (cf. Larousse : Production de l’esprit, du talent). Le jeu vidéo est un produit schizophrène et son évaluation ne peut en être autrement.
Structurer la pensée
Penser pouvoir se prémunir de la subjectivité est un mirage. Partant de ce postulat, le test d’un jeu vidéo prend des allures de jugement. Mais ce serait sans compter sur la faculté de l’Homme à poser un cadre, instaurer un semblant de règles. Ces lignes de conduite assurent une homogénéité entre les différents avis émis sur un titre. Les critiques littéraires et cinématographiques sont régies par des codes, une démarche sans pour autant perdre leur caractère individuel. Les papiers des Cahiers du Cinéma et de Mad Movies sont incomparables autant sur le fond que sur la forme et pourtant… ces publications sont constituées d’une analyse technique, une approche cinéphile et souvent sociopolitique d’un ou plusieurs métrages. Bien que les méthodes soient identiques, les résultats divergent.
Le jeu vidéo ne déroge pas à ce principe, mais y ajoute une couche technique bien plus dense. Réalisation globale du titre, framerate, bugs en tout genre, stabilité du réseau… le test ressemble au premier abord à une grille de validation en usine. Mais ce serait occulter l’oeuvre au profit du produit. Le journaliste change de casquette au gré de son test passant de Bêta testeur à critique. Le format calibre notre démarche et garantit l’objectivité sur des critères mesurables, mais laisse le ressenti libre de vagabonder à sa guise. 2 personnes distinctes évaluent l’aspect technique par des méthodes similaires, bien que leur retour puisse diverger. La facette critique du test est quant à elle subjective par essence et dépend avant tout d’un ressenti personnel.
Pour se prémunir de cette éventualité et conserver une homogénéité entre les rédacteurs et les tests, la rédaction de jeuxvideo.com a établi une grille de notation permettant d'encadrer les notes. Dans nos colonnes, un 10 signifie "Moyen", un 15 "Bon" et un 20 "Panthéon". Ces termes instaurent un cadre et garantissent pour chaque jeu une note en adéquation avec celles attribuées sur les autres titres. Un outil de notation pondérée nommé Hyper Notator, encore au stade de prototype, a également été conçu. Son principe est simple. Les attentes de chacun diffèrent et ce dispositif les transpose mathématiquement par un habile jeu de levier en note. A l'heure de la décision finale, le journaliste garde la main sur cette fameuse note. Cet outil n'a qu'une fonction purement indicative et n'est aucunement imposé dans le cadre d'un test.
Notons également que pour tendre vers cette objectivité tant convoitée, la rédaction a mis en place les Doubles Tests. Sur les grandes licences et les titres pouvant diviser la communauté (et quand cela s'est avéré possible), jeuxvideo.com a doublé/triplé le nombre de rédacteurs. Les tests de Resident Evil 7, Outlast 2, Battlefield 1, The Last Guardian... ont bénéficié des connaissances cumulées des journalistes afin de multiplier les points de vue. Le test est une créature en perpétuelle mutation à l'image du jeu vidéo qu'il évalue.
Les chaînes du savoir
L’Homme ne peut se soustraire à son passé. Souvenirs et connaissances guident ses pas et le définissent. Faire abstraction de son vécu est une tâche délicate à divers degrés et le joueur aborde un jeu vidéo forgé par des années à crapahuter au beau milieu de la pop culture. Sans même s’en apercevoir, des oeillères s’installent au fil du temps et obscurcissent le jugement. A être trop fan d’une franchise ou d’un genre, les attentes s’exacerbent au point d’être déçu potentiellement par l’excellence. Le néophyte s’extasie devant une expérience vue et revue, mais nouvelle dans son cas. Le pouvoir de l’ingénu réside dans son ignorance et son esprit vierge de toute pollution et autres bruits parasitant une appréciation pure. Le savoir nous enchaîne à une encyclopédie toujours plus exhaustive.
Simultanément force et faiblesse, cet héritage pourrait peser dans la balance à l’heure du jugement. Sans recul, le testeur n’est rien. Il apprend (avec le temps) à éteindre le "joueur" et donne les pleins pouvoirs au "journaliste". Et cette faculté à faire table rase de ses a priori et des attentes suscitées par un jeu octroie à l’auteur une distance de sécurité avec l’oeuvre mise entre ses mains expertes. Des années d’expérience et des milliers de jeux vidéo testés assurent l'impartialité et une objectivité relative. Et ce, malgré des goûts et des couleurs qui constituent l’ADN du rédacteur.
Il faut battre le fer tant qu’il est chaud et le test de jeu vidéo ne pouvait rêver meilleur cadre. Pris entre le marteau et l’enclume, ce savoir-faire s’affine et évolue en parallèle d’un média bâtard ne pouvant délaisser la technique au profit de l’artistique… et inversement. Les méthodes de la presse se précisent ainsi au fil des générations. L’industrialisation du test est en marche sans jamais perdre de vue cette vision presque poétique de la critique.