Fondé en 1995, le studio Remedy occupe une place toute particulière dans le cœur des joueurs, puisque malgré un catalogue de titres assez mince, certains ont su marquer le public durablement. Après avoir développé Quantum Break pour le compte de Microsoft, le studio finlandais s'est remis au travail et a d'ores et déjà plusieurs projets dans ses cartons. C'est dans ce contexte particulier que nous avons pu discuter avec Mikael Kasurinen, game director chez Remedy ; ce dernier nous en a appris plus sur le futur proche du studio, et la vision de l'équipe quant au futur du jeu vidéo.
Remedy Entertainment est un studio un peu à part dans l'industrie du jeu vidéo. D'abord à cause de sa situation géographique, en toute logique, mais pas uniquement. Son histoire remonte aux années 80, et à un groupe de demosceners surnommé Future Crew. Ces as de la programmation visaient alors une nouvelle forme d'art, qui mêlait ordinateur, dessin et musique, en un tout unique. Lorsque Future Crew s'est séparé, plusieurs membres du groupe ont monté Remedy et lancé le premier jeu du studio, Death Rally. Un premier essai des plus satisfaisants mais finalement peu représentatif des qualités artistiques des différents membres du studio, qui avec le temps a attiré de nombreux talents. À commencer par Sami Järvi, alias Sam Lake, le papa de Max Payne, Alan Wake et Quantum Break.
Le succès du premier Max Payne va attirer bon nombre de nouveaux développeurs, parmi lesquels Mikael Kasurinen. « Mixu » est considéré comme un vétéran, chez Remedy. S'il a temporairement quitté le studio pour travailler chez DICE ou Avalanche, avant de revenir au bercail, l'homme dispose d'un CV plutôt impressionnant. Avec Max Payne 2, Alan Wake et Alan Wake's American Nightmare, Kasurinen a été de toutes les batailles, ou presque. Et la dernière n'a pas été des plus simples. Quantum Break a connu un développement long et compliqué, et sa position d'exclusivité Xbox One n'a pas facilité les choses. À sa sortie le nouveau jeu de Sam Lake n'était pas exempt de défauts, mais le studio a su en tirer parti.
Nous avons appris beaucoup de choses. Cela a souligné le fait qu'il est difficile de combiner, en une seule expérience, différentes façons de consommer du divertissement. Quantum Break fut une tentative de rassembler deux média différents, avec des connexions interactives entre eux. Nous avions le sentiment que c'était un concept qui valait le coup qu'on continue, mais le fait est que les gens ont un certain état d'esprit lorsqu'ils commencent une partie sur un jeu vidéo. Ils veulent être actifs, ils veulent que le jeu les pousse, et ils veulent pouvoir le pousser en retour. Alors que les films, la télévision, c'est passif, plus relax. Cela conduit a des situations dans lesquelles les gens ont soit arrêté de jouer, soit arrêter de regarder la série. Le résultat, c'est que l'ensemble était moins accrocheur.
Raconter des histoires, c'est la grande spécialité du studio. Si Max Payne ou Quantum Break ne sont pas avares de scènes d'action pétaradantes et d'effusion de sang, Remedy aime avant tout créer des univers et raconter des histoires, au sein de ces créations. Parfois en reprenant des codes déjà existants : Max Payne est, comme le confirmera lui-même Kasurinen, une version moderne des films noirs des années 50. Une façon de faire que l'on retrouve dans Alan Wake ou Quantum Break.
On a toujours pensé qu'il y a une sorte d'ingrédient mystère Remedy dans nos jeux, quelque chose qui fait que l'on est un peu à part. Si vous revenez en arrière, vous verrez une vaste étendue de variations thématiques dans nos jeux, du jeu d'action typé film noir, jusqu'au thriller surnaturel. La petite difficulté, c'est de rassembler tous ces morceaux qui a priori ne fonctionnent pas ensemble, et faire en sorte que cela marche.
Mais Kasurinen a conscience que le monde change, et que les joueurs ne sont plus les mêmes qu'il y a 10 ans. S'ils ressortaient aujourd'hui, Max Payne et Alan Wake n'auraient sans doute pas connu un meilleur succès que Quantum Break. Le réalisateur sait que leur catalogue, composé en grande partie de jeux d'action, doit s'agrandir, proposer autre chose. Mais sans perdre la recette magique qui a fait le succès du studio au fil des ans. Tout un défi.
Nous commencerons en nous dirigeant vers de nouveaux types de gameplay, qui ont du succès mais qui dans le même temps seront vraiment nouveaux pour nous. Là, le but sera de tout combiner de manière à créer quelque chose d'unique, un résultat final séduisant qui portera à la fois de bonnes idées de gameplay, et un thème central vraiment fort. Il faut créer une expérience plus riche, plus profonde, qui ait de la longévité, et sur laquelle on revient.
« Nos prochains jeux proposeront du multijoueur en coopération »
Car cela n'aura échappé à personne, la plupart des blockbusters de ces dernières années misent beaucoup sur les mondes ouverts, les interactions entre joueurs, et les heures de jeu à gogo. La mode récente des open-worlds y est pour quelque chose. En créant des jeux autour d'un environnement gigantesque, les créateurs stimulent l'imagination des joueurs qui, en plus de suivre une certaine ligne scénaristique, peut revenir dans le jeu pour accomplir défis et objectifs secondaires, voire carrément jouer avec des amis. Une façon de penser le jeu vidéo en partie définie par Rockstar et son GTA V, qui en 2017 continue de truster les podiums des résultats de vente. Ce qui a, bien entendu, eu un impact sur tout le reste de la production, et ce n'est pas Ubisoft et ses Assassin's Creed qui diront le contraire. De son côté, Activision a dégainé son Destiny, encore l'un des jeux consoles les plus joués à ce jour, auquel l'éditeur français a répondu avec The Division, au concept similaire. C'est-à-dire, rassembler les joueurs autour de nombreux objectifs communs, et les faire revenir régulièrement sur le jeu. Et pourquoi pas, leur faire débourser quelques euros supplémentaires, à l'occasion.
Dans ce contexte, difficile pour Remedy de continuer à développer des jeux « solo », qui se terminent en une quinzaine d'heures, à la rejouabilité limitée. Ce qui ne signifie pas pour autant que le studio va vendre son âme et répondre aux aguichantes sirènes du « grand capital », tel qu'il est décrié par une partie des joueurs. Pour Kasurinen, il existe différents types de jeux, et ils ne sont pas incompatibles, loin de là. Car le jeu vidéo, fort heureusement, présente de nombreux visages.
Je vois deux catégories : les blockbusters, et les indépendants. Les blockbusters se concentrent sur la taille, la longévité, ils sont remplis d'éléments qui tenteront de vous faire jouer encore et encore, et de moments clé bien pensés. Les indépendants se reposent sur des idées percutantes, nouvelles, quelque chose qui les sépare des autres. {…} Je vois le jeu comme une forme d'art qui s'affine, se définit de mieux en mieux, qui marque son propre espace. On commence à voir beaucoup de confiance et d'audace chez les développeurs indés, qui poussent des concepts et des histoires fraîches et aguichantes. Prenez par exemple Firewatch ou Inside, deux incroyables jeux, qui ont abordé des concepts compliqués d'une manière très élégante et simplifiée. Ils ont eu un impact que l'on ne saurait atteindre avec une autre forme de divertissement.
Et si l'originalité du gameplay, et les histoires bien écrites, resteront le cheval de bataille de Remedy, il suffit d'écouter Kasurinen parler pour comprendre qu'à l'avenir, les productions du studio seront bien différentes. Les coups de développement ont augmenté de manière conséquente ces dernières années, et les développeurs ont besoin de pouvoir vivre de leurs métiers. Ce qui pourrait avoir un impact sur les prochains projets.
Nous nous considérons comme des conteurs qui créent des mondes où les gens veulent aller. Et les expérience au sein de ces mondes deviennent plus puissantes lorsque vous les partagez avec d'autres personnes. Lorsqu'il y a quelqu'un pour être témoin de vos accomplissements, cela fait toute la différence. Pour répondre à ces besoins, nos prochains jeux proposeront du multijoueur en coopération, et de vastes possibilités d'exploration qui généreront une forme de coopération sociale au sein de la communauté.
Ce virage vers le tout multijoueur est accueilli avec une certaine tiédeur de la part de joueurs qui préfèrent jouer seuls. Sur console, de tels modes de jeux sont souvent synonymes d'abonnements online payants, des frais supplémentaires auxquels tous ne sont pas prêts à souscrire. Il faudra donc que cela en vaille la peine, ce dont est pleinement conscient le vétéran.
Comme pour tout ce que nous faisons, nous voulons être certains que le mode coopératif n'est pas quelque chose qui existe juste pour être là. Nous voulons qu'il soit une partie significative de l'expérience, avec son propre background, quelque chose de solide avec son raisonnement. Cela doit intégrer une vision plus globale, et la rendre plus forte. Les jeux que nous créons doivent être suffisamment complexes et profonds pour créer de l'excitation au sein de la communauté, pour que le partage d'idées et les discussion de concepts se produisent de manière organique. Mais que cela soit clair, Remedy a construit de nombreux prototypes de jeux multijoueurs ces dernières années, mais nous n'en sommes qu'aux débuts, nous faisons nos premiers pas dans le monde du gameplay coopératif. Nous savons que les gens craignent de perdre la partie narration pour laquelle nous sommes connus, mais patientez, et vous pourrez voir ce que l'on fait.
Ubisoft, leader d'opinion ?
Curieusement, les propos de Kasurinen rappellent ceux tenus récemment par Serge Hascoët, le directeur de la stratégie de contenu chez Ubisoft. Dans une interview accordée à nos confrères du Monde en novembre dernier, Hascoët affirmait qu'à l'avenir, les jeux du géant français offriraient moins de narration. En interne, on préférerait miser sur « l’anecdote factory », c'est-à-dire un jeu qui permet aux joueurs de se fabriquer leurs propres micro-histoires, plutôt que « subir » l'histoire pensée par un autre joueur. Interrogé à ce sujet, le réalisateur de Remedy acquiesce.
Je crois qu'il y a beaucoup de vérité là-dedans. Les meilleures histoires sont souvent celles qui nous sont personnelles. Créer un environnement qui permet de mettre en place ce genre d'histoires, qui permet qu'elles arrivent naturellement, au gré des actions du joueur, c'est une bonne façon de donner vie à quelque chose d'inoubliable. Cela étant, c'est une véritable épreuve que de créer un environnement équilibré mais dynamique, qui supporte suffisamment de variations de telle sorte que les effets de surprise ne se diluent pas avec le temps. Et donc faire en sorte que les joueurs restent motivés.
Si Ubisoft a trouvé sa formule magique, elle n'est pas universelle, comme nous l'explique Kasurinen, qui estime qu'il n'existe pas qu'une seule manière de faire du jeu vidéo. Les fans de Remedy peuvent donc se rassurer, le studio devrait conserver son particularisme.
Je crois toutefois qu'il n'y a pas nécessairement de concepts exclusifs, on peut raconter de bonnes histoires dans un monde qui te permet également d'improviser et d'atteindre des buts uniques. Un but du jeu, au sein d'un monde excitant, un arc narratif convaincant pour votre personnage, ce sera toujours une puissance source de motivation, pour n'importe qui.
Remedy réussira-t-il, là où d'autres se sont cassé les dents à plusieurs reprises ? Il faudra attendre plusieurs fois avant de le savoir. Dans l'immédiat, le studio travaille main dans la main avec le coréen Smilegate, le papa de CrossFire. Ce FPS online free-to-play fait un véritable carton de l'autre côté du globe ; les Finlandais se sont donné la tâche peu évidente de développer un mode de jeu solo et scénarisé pour l'épisode 2, qui n'a toujours pas de date de sortie. Il va falloir s'armer de patience.