Les passerelles entre jeu vidéo et manga sont monnaie courante. De nombreuses sagas nées sur papier ont connu à travers les âges les joies d’une adaptation vidéoludique. Dragon Ball, Naruto ou encore Saint Seiya pour ne citer qu’eux ont su transposer avec plus ou moins de réussite la grandeur de séries devenues cultes pour les générations actuelles. Surfant sur cette vague d’adaptations, les éditeurs tentent d’exploiter leurs licences par l’intermédiaire d’une politique cross-média.
- Titre : Dragon’s Crown
- Auteur : Yuztan
- Prix : 12 € (env)
- Pagination : 376 pages + 8 pages couleur, one shot
Sorti en octobre 2013, Dragon's Crown reçut les louanges de la presse et du public. Perpétuant le savoir-faire du studio Vanillaware, une recette à la croisée du RPG et du Beat'em All, le périple de nos 6 aventuriers marqua les fans d’Heroic Fantasy. Près de 3 ans plus tard, le manga Dragon’s Crown édité par Kurokawa (Drakengard, One-Punch Man, Resident Evil : Heavenly Island, Arslân...) accoste sur les rives de notre bonne vieille France troquant le pixel au profit de l’encre. Fidèle au matériau originel, cette version manga puise dans l’univers de Dragon’s Crown tout en y insufflant d’éparses références à la culture « geek » dans son ensemble. Dirigé par l’auteur et dessinateur japonais Yuztan, le récit invite les 6 héros à arpenter une nouvelle fois ces royaumes fantaisistes en quête du Dragon’s Crown, une relique légendaire assurant gloire et fortune à l’être qui aura su mettre la main dessus. Afin de protéger le royaume des plans maléfiques de vilains avides de richesse et de pouvoirs, ces aventuriers se lancent à sa recherche avec l’infime espoir de survivre et de sauver le monde des flammes du dragon antique de la terre des illusions.
Le nain, le magicien, le guerrier, l’elfe, l’amazone et bien entendu la sorcière rechaussent les gants, prêts à explorer cavernes, forêts enchantées et catacombes. Dragon’s Crown s’apparente à un pot-pourri d’influences multiples et variées, toutes issues des principaux univers de l’Heroic Fantasy. Les décors, les personnages, les situations… l’œuvre dans son ensemble respire la fantaisie par tous ses pores. Le bestiaire déployé ne fait qu’exacerber ce sentiment page après page. Kraken, Gobelins, Elfes Noirs… les archétypes se télescopent sans jamais faire dans la caricature. Et les protagonistes répondent avant tout à un besoin de fonction (dans le cas présent une classe), donnant ainsi l’impression de remplir un rôle avant d’être des personnages à part entière. Secondaire dans un jeu vidéo centré sur l’action, le développement des personnages principaux s’avère nécessaire une fois l’univers couché sur papier. Le manque de liens donne naissance à un récit lapidaire « rushant » les situations et cet effet boule de neige essouffle le lecteur par la démultiplication de saynètes sans liant.
Réputé pour sa direction artistique 2D de toute beauté, Dragon’s Crown ne pouvait se permettre de dénaturer la licence en accouchant de dessins indignes de Vanillaware. Et le tracé de Yuztan n’a pas à rougir de la comparaison. Dans un style assurément différent, le dessinateur transpose parfaitement l’univers dans un noir et blanc efficace. Coups de crayon précis et ombrage racé donnent vie aux personnages et aux décors. La moindre expression faciale est dessinée avec soins. Les impacts des armes déchirent les chairs. La mise en scène et la composition des planches dynamisent le moindre affrontement. De la simple situation d’exposition au combat épique rappelant Berserk, Dragon’s Crown dépeint un univers de Dark Fantasy crédible régi par les complots et les manigances où la majorité des confrontations se finissent dans un bain de sang. Malheureusement le fan service s’invite et avec lui une présence féminine lascive imposant courbes et positions suggestives toutes les 3 vignettes. Le sang se répand par flot extirpé des narines de protagonistes tombant nez à nez avec la générosité tout en galbe de la sorcière du groupe. Sans revêtir la cape du féministe, cette utilisation à outrance du « ecchi » érode les qualités de l’œuvre. Le visuel perd de son intérêt à mesure que les proportions de l’amazone et de la sorcière dépassent l’entendement tout comme leur présence dans une histoire les réduisant à l’état d’objet.
Distillant l’univers créé par Vanillaware durant 384 pages, cette version papier de Dragon’s Crown a le mérite de rester fidèle au jeu vidéo dont il s’inspire tout en offrant une nouvelle approche à la saga. Dessins de haute volée malgré un fan service occultant les qualités intrinsèques de l’oeuvre, le récit se résume à une avalanche de combats et de scènes d’exposition pour une narration certes dense, mais ne prenant jamais le temps d’installer le monde dans lequel nos protagonistes évoluent. Agréable dans l'ensemble, ce Dragon’s Crown de la maison d’édition Kurowaka est à conseiller aux fans et aux amateurs d’heroic-fantasy.