Il y a tout juste un quart de siècle, un étudiant sur le point de recevoir son diplôme de l’université de Los Angeles se met à rêver de vivre de sa passion pour les jeux vidéo. Mais Allen Adham ne veut pas être un simple codeur à la botte d’une grosse compagnie, ce qu’il souhaite, c’est fonder son propre studio. Sans grande expérience dans le domaine, il décide de faire appel à deux de ses camarades, Michael Morhaime, désigné vice-président, et Frank Pearce qui officiera en tant que codeur. En empruntant un peu d’argent à leurs parents, nos trois compères créent Silicon & Synapse le 8 février 1991, avant même d’avoir fini leurs études.
Blizzard, une entreprise qui a du flair
Le studio suit le cursus classique en travaillant tout d’abord sur des portages pour d’autres sociétés. Battle Chess, MicroLeague Baseball ou encore Castles sont le genre de titres qui passent entre les mains plutôt douées de Silicon & Synapse. Après avoir suffisamment rempli le tiroir-caisse grâce à ces petits contrats, notre trio décide de se lancer dans la réalisation de ses propres jeux. Tout d’abord RPM Racing qui sera l’un des premiers titres au lancement de la SNES aux Etats-Unis, puis ensuite The Lost Vikings. Paru en 1992, ce dernier remporte un important succès grâce à un univers original et un gameplay réussi. Tout juste ce qu’il fallait au studio pour commencer à se faire un nom dans le milieu. Les réussites s’enchaînent alors et les revenus croissants permettent à la petite boîte installée à Costa Mesa de s’émanciper un peu des développements de portages.
Pendant qu’une douzaine de développeurs travaillent sur Blackthorne et Rock n' Roll Racing, deux autre titres qui recevront un accueil favorable, les dirigeants tombent sur une production originale et envoutante : Dune 2. Développé par Westwood Studios, ce jeu de stratégie propose de l’action en temps réel et même s’il ne s’agit pas forcément d’une première, les mécaniques proposées sont assez particulières. Il est ici question de collecter des ressources, produire une armée et attaquer l’ennemi, autrement dit, les bases du RTS moderne. Séduits par le concept et plutôt doués pour flairer les bons coups, Morhaime et sa bande lancent les travaux d’une nouvelle licence reposant sur le même schéma.
Dune 2 est sorti et je me souviens que nous avions tous des ampoules qui clignotaient au-dessus de nos têtes. Nos cerveaux étaient en ébullition, on pensait que c’était vraiment cool, mais c’était aussi un jeu solo. On s’est donc dit que ce serait vraiment génial de pouvoir jouer à un jeu de stratégie en temps réel à plusieurs. Et puis bon, on essayait toujours de créer des univers typés heroic-fantasy. C’était notre recette du succès à l’époque. – Mike Morhaime et Frank Pearce, aujourd’hui dirigeants de Blizzard
L’idée est donc de reprendre ce nouveau style de jeu, de le placer dans un contexte fantastique et surtout, de le rendre jouable à plusieurs. Au même moment, Davidson & Associates rachète l’entreprise, lui offrant au passage des moyens considérables. Même si cela permet à l’équipe de s’enrichir de quelques nouveaux membres particulièrement qualifiés, le développement de ce titre baptisé Warcraft : Orcs & Humans se fera finalement de manière assez incertaine. Certains dialogues seront, par exemple, complètement improvisés par les doubleurs qui sont en fait certains des développeurs. Avec la puissance financière de Davidson, le studio qui se fait désormais appeler Blizzard s’offre en revanche le luxe d’autoéditer son jeu aux Etats-Unis. Grâce à un univers immersif, bien que peu développé, et un mode multijoueur qu’il est le seul à proposer dans ce genre naissant, Warcraft s’impose comme une nouvelle licence solide. Du côté de l’hexagone, Joystick lui adjuge la jolie note de 85 %.
Le flaire de la firme californienne a porté ses fruits et c’est donc sans surprise qu’une suite est mise en chantier. Sorti l’année suivante, Warcraft 2 : Tides of Darkness améliore grandement la recette en vivifiant le gameplay et surtout, en apportant énormément de substance l’univers. C’est réellement avec cet opus que la franchise obtiendra ce qui fait l’une de ses plus grandes forces, à savoir un univers extrêmement riche. Chris Metzen, designer en chef, se concentre ainsi énormément à étoffer l’histoire d’Azeroth en créant les camps ennemis de la Horde et de l’Alliance ainsi qu’une multitude de personnages dont les destins finissent par s’entremêler. C’est l’explosion. Ce deuxième épisode s’écoulera à plus de deux millions d’exemplaires, un chiffre qui propulsera une bonne fois pour toute Blizzard au panthéon des studios sur lesquels il faut compter.
Morhaime, Pearce et Adham ne se sont décidément pas trompés puisque la fin des années ’90 sera marquée par une explosion du genre RTS. La compagnie ne tardera pas à mettre au monde le petit frère de Warcraft avec Starcraft, un titre du même acabit se déroulant cette fois-ci dans un univers futuriste. Nouveau succès instantané à sa sortie en 1998 et Blizzard n’en est pourtant qu’au début de son aventure. Le plus gros reste à venir…
La prochaine destination s’appelle Warcraft 3 et le moins que l’on puisse dire, c’est que la compagnie prend son temps. Souhaitant offrir à ses fans une expérience réellement innovante, cette dernière prend le risque d’ajouter des héros à chacune des quatre factions jouables (contre deux sur les opus précédents) tout en planchant sur un nouveau moteur graphique tout en 3D. Après quelques changements de dernières minutes, notamment une réduction de l’impact des héros dans le jeu, Blizzard publie sa nouvelle addition à une franchise déjà culte. Sans surprises, le produit trouve plus d’un million de preneurs en moins d’un mois après sa parution en juillet 2002. Les récompenses pleuvent comme l’argent afflue dans les caisses de la société et ce ne sera pas un mal, car un an auparavant, le studio annonçait travailler sur un MMORPG. Un pari dantesque.
Un peu moins en avance sur leur temps, les développeurs ont pris le risque de s’aventurer sur un terrain déjà dominé par deux géants : EverQuest et Lineage 2. C’est donc avec un peu de retard, mais également beaucoup de recul sur les forces et faiblesses du genre, que Blizzard lance World of Warcraft en 2004 aux Etats-Unis et début 2005 chez nous. C’est un carton instantané, à tel point que le titre deviendra un véritable phénomène de société régulièrement cité dans les médias populaires. Vous connaissez la suite de l’histoire, la société se contentera alors de développer de nouvelles extensions pour sa poule aux œufs d’or qui comptera jusqu’à 12 millions de joueurs.
Gaming Live de World of Warcraft : Balade dans la prairie
L’heure du bilan
Nous sommes aujourd’hui en 2016 et cela fait un peu plus de trois ans que World of Warcraft perd progressivement des abonnés. Bien que toujours impressionnant, le nombre de joueurs actifs est tombé à 5,6 millions. Il faut dire qu’une bonne partie du public s’est lassée du genre MMORPG en général. Le succès colossal de WoW a attiré de nombreux entrepreneurs bien décidés à jeter leur dévolu sur le juteux gâteau du MMORPG, donnant ainsi naissance à des dizaines de clones. Tout comme le jeu vidéo a subit un crash en 1983 en raison d’une offre bien plus forte que la demande, le RPG massivement multijoueur a pâtit, dans une moindre mesure, d’un trop grand nombre de titres.
Mais cet exode massif et récent est également fortement lié à un système économique bien souvent synonyme d’abonnements trop onéreux pour certains. Il faut dire qu’entre temps, de nombreux succès tels que League of Legends sont parvenus à prouver que les jeux free-to-play pouvaient parfaitement concurrencer les plus gros studios aussi bien en termes de fréquentation que de revenus. Ce n’est donc pas un hasard si Blizzard a franchi le pas en rendant l’accès à World of Warcraft complètement gratuit jusqu’au niveau 20 en 2011. L’autre tendance actuelle, l’autre changement dans la manière de consommer des joueurs, c’est le penchant pour les parties rapides. Avec DOTA 2, vous vous lancez le temps d’une partie et c’est réglé. Cela ne fait évidemment pas les affaires des MMORPG qui se révèlent, vous le savez, extrêmement chronophages. N’oublions pas non plus l’amour des gamers pour l’aspect compétitif (notamment via les parties classées) qui, même s’il est bien présent, ne représente pas le cœur de cible de WoW.
Blizzard n’est évidemment pas dupe et ses composantes essentielles pour attirer la nouvelle génération de joueurs, le studio a décidé de les placer au cœur de sa dernière production liée Warcraft, à savoir Hearthstone. Aspect compétitif, free-to-play, parties rapides, tout ce que nous avons cité précédemment se retrouve au centre de ce jeu de cartes devenu un succès instantané. Les 40 millions de joueurs actifs sur le titre prouvent à quel point Blizzard a une nouvelle fois su modeler sa licence à la perfection pour l’adapter aux envies des joueurs.
Méfiance toutefois, Hearthstone ne fait pas partie de la série Warcraft à proprement parler puisqu’il ne s’agit que d’un spin-off. Le constat est donc simple : la série canonique ne repose donc plus que sur un MMORPG, genre qui est aujourd’hui en grosse perte de vitesse. Nombreux sont les joueurs à considérer World of Warcraft comme un jeu mourant et même s’il est un peu tôt pour tirer de telles conclusions, il est clair qu’il faut désormais commencer à penser à la suite. Mais ne nous leurrons pas, Blizzard réfléchit sûrement à l’épineuse question de "l’après WoW" depuis déjà de nombreuses années. Alors, à quoi s’attendre ? Beaucoup de possibilités, mais très peu d’informations de la part des développeurs…
Notre Gaming Live de Hearthstone : Heroes of Warcraft
Make Warcraft great again
La première question que nous sommes en droit de nous poser est simple : la firme californienne ne serait-elle pas déjà en train de nous concocter quelque chose ? La réponse est oui. Mais pas forcément ce à quoi vous vous attendez. Quelques offres d’emplois parues sur le site officiel du studio indiquent qu’un ou plusieurs Remasters seraient actuellement en développement dans les bureaux extrêmement surveillés d’Irvine.
Histoires fascinantes. Multijoueur intense. Rejouabilité infinie. Ce sont les qualités qui ont fait de Starcraft, Warcraft III et Diablo II les titans qu’ils sont aujourd’hui.
Nous sommes en train de les ramener vers le chemin de la gloire et nous avons besoin de vos talents, de votre passion… – Extrait d’une offre d’emploi parue sur le site de Blizzard
Bien loin de cacher ses intentions, Blizzard nous fait ici comprendre que nous aurons au moins le droit à une version HD de l’un ces trois titres. Pas beaucoup plus d’informations pour le moment, mais il est clair qu’il s’agit là d’une nouvelle qui ravit les fans déçus de ne plus voir Warcraft que sous la forme d’un MMORPG. Mais il faut dire que si c’est bien le RTS qui a permis à la série de se tailler une place au soleil, c’est également ce genre qui a connu l’une des plus grosses pertes d’intérêt auprès du public ces dernières années. Pourtant, certains continuent d’espérer vaillamment un quatrième opus reposant sur les traditionnelles mécaniques du "collecter, produire et batailler". Qu'ouïs-je ? Ressortir Warcraft 3 en version remasterisée servirait à préparer le terrain avant la venue de Warcraft 4 ? Hypothèse intéressante s’il en est, mais dans un même temps assez peu probable.
S’il y a bien une chose que le studio Blizzard a su prouver au fil de ses 25 années d’existence, c’est qu’il a le flaire pour sentir les jeux de demain. Warcraft en étant l’un des exemples les plus flagrants puisqu’il aura tout d’abord posé les bases du RTS moderne, avant de faire exploser le MMORPG et enfin, popularisé le jeu de cartes virtuel. C’est évidemment le fruit d’un énorme talent, mais il serait aberrant d’oublier la capacité d’anticipation de Mike Morhaime et sa bande dans cette équation. Le studio californien sait vivre avec son temps et adapte donc ses travaux en fonction de la tendance. Même si cela fera certainement saigner le petit cœur de certains nostalgiques, force est d’admettre que les jeux de stratégie en temps réel n’ont plus le vent en poupe depuis déjà de nombreuses années. Qu'ouïs-je ? World of Warcraft 2 ? Même constat que le précédent avec, en prime, l’annulation du Project Titan qui ne tient certainement pas du hasard. Le MMORPG et le RTS ne sont plus des cibles de choix pour Blizzard. Pensez par exemple à Overwatch, né des cendres de Titan. Les FPS compétitifs cartonnent plus que jamais et le studio place donc un pion sur cet échiquier.
« Mais si on suit cette logique, ils n’ont qu’à sortir un Clash Royale dans l’univers de Warcraft et la tendance sera respectée… ». Figurez-vous que c’est justement l’idée de l’un des membres de la rédaction. Cela ferait certainement un tabac, mais ce serait sans oublier la philosophie première de Blizzard concernant sa licence fétiche : créer un rendez-vous rare, mais phénoménal. À l’image de l’immense statue trônant au beau milieu du campus de la firme en Californie, chaque nouvelle addition à la franchise doit tenir du spectaculaire, du fantastique. Non, parcourir les terres d’Azeroth ne se fait pas sur le petit écran d’un smartphone ou d’une tablette entre deux stations de métro. Tout comme ce que sembler viser le film Warcraft : Le Commencement, les jeux de la série sont des divertissements épiques qui s’apprécient avant tout sur grand écran, casque vissé sur les oreilles. Même si l’idée d’un nouveau spin-off sur mobile n’est pas à écarter, il y a peu de chances pour que celui-ci ait pour titre premier Warcraft.
Mais tout cela n’avance pas nos affaires. Quelle forme pourrait prendre le prochain grand jeu de la licence ? Compliqué de le savoir, tant Blizzard a su surprendre avec cette dernière, quitte à y laisser des plumes avec un point’n click annulé à la dernière minute. Pour le moment, il est clair que la compagnie souhaite continuer à capitaliser sur son best-seller, à savoir WoW. L’extension Legion, sauf gros ratage, ne sera certainement pas la dernière et même lorsque le nombre d’abonnés s’effondrera pour de bon, le titre n’aura alors qu’à s’offrir une seconde jeunesse en passant au modèle free-to-play complet. D’ici là, les têtes pensantes du studio auront tout le loisir d’analyser les montées en puissance de certains genres avant d’éventuellement passer à l’action.
C’est l’hypothèse de deux grands amoureux de la franchise officiant au sein de la rédaction, Blizzard restera patiemment tapis dans l’ombre jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle tendance capable de faire briller toute la richesse du monde d’Azeroth. Un Action-RPG à la The Witcher 3 avec Arthas, Thrall et toute la bande en héros principaux ? Séduisant, mais sûrement trop loin de la composante multijoueur chère à la série. C’est bien le souci de cette épineuse question, comment utiliser intelligemment cette incroyable licence en ces temps modernes ? Ses créateurs ne le savent possiblement pas plus que nous.
Peut-être faudra-t-il attendre longtemps, peut-être même aussi longtemps que pour Half-Life 3, mais Warcraft nous reviendra un jour dans une nouvelle forme qui sera, espérons-le, dans la droite lignée de ses illustres prédécesseures. Car ne l’oublions, c’est bien un Orc qui veille sur le quartier général de la firme en Californie. Surplombant le repère de la firme, l’imposante statue de métal n’est certainement pas prête à céder sa place.