Game Over. L’expression simple de l’échec dans un jeu vidéo. Des prémices aux grandes productions d’aujourd’hui, il est question de « mourir et de recommencer ». Utilisée à tort ou à raison, l’expression "die and retry" englobe bon nombre de lieux communs dans l’esprit des joueurs. Mort à répétition, difficulté excessive, frustration voire injustice sont les démons régulièrement invoqués au détour d’une expérience ludique qui a mal tournée. Dans une industrie qui prône l’accessibilité pour s’élargir, les jeux qualifiés de die and retry trouvent pourtant sans mal leur public et le chemin du succès.
De VVVVVV à Super Meat Boy en passant par le succès rencontré par la saga Dark Souls, le die and retry colle à la peau des joueurs masochistes depuis toujours et encore aujourd’hui. Genre ? Mécanique de jeu ? Difficile de mettre le doigt sur la définition d’un terme qui revêt autant de significations qu’il y a de joueurs. Une drôle de recette de grand-mère à la saveur douce-amère qui plaît surtout aux grands mais aussi aux petits.
Try Again
Lors des beaux jours de l’arcade, la mort tient un rôle important dans le système économique du jeu : chaque partie coûte de l’argent et des essais répétés permettent au joueur persévérant d’acquérir l’expérience requise pour triompher. Dans un jeu comme Ghosts n' Goblins ou le danger rôde de manière quasi-imprévisible au détour de chaque tombe, c’est au prix de nombreux échecs que la victoire est possible et seule une connaissance précise des niveaux permet d’en voir la fin.
Inscrite dans son époque, cette manière lucrative d’envisager l’expérience de jeu est l’application au jeu vidéo du concept anglo-saxon de Trial and Error consistant à résoudre un problème par des tentatives répétées jusqu’à l’émergence d’une solution optimale. Un principe qui trouve corps dans le jeu en faisant de l’échec une presque fatalité forçant le joueur à recommencer. Pièges quasi-invisibles, timings assassins ou danger hors champ sont quelques-uns des moyens de contraindre le joueur à se planter majestueusement pour mieux surmonter les obstacles, au prix d’un jeton supplémentaire.
S’il trouve donc sa source dans le Trial and Error appliqué avec insistance à l’arcade, le die and retry pourrait donc désigner cette boucle très familière aux amateurs alternant défaites et tentatives infructueuses.
Perdre est une composante importante du Jeu Vidéo : sanctionnant le manque de maîtrise ou la témérité du joueur imprudent, la mort renvoie invariablement le héros en arrière pour laisser le joueur essayer de réécrire l’histoire de sa partie. De ce fait chaque jeu n’est-il pas par essence un die and retry ? Dans Super Mario Bros. le joueur profane est guidé dès les premières secondes du premier niveau vers un contact mortel avec le premier goomba. Une application directe du Trial and Error qui ne catégorise pourtant pas le jeu comme un die and retry.
Couler le budget municipal dans Sim City, rapatrier six sacs à viande dans Xcom 2 ou écourter malencontreusement la vie mouvementée d’un Marcus Fénix ou d’un Nathan Drake au détour d’un échange musclé, autant d’exemples de morts ou d’échecs dans des jeux qui échappent au qualificatif de die and retry sans pour autant exclure le game-over de la partie. Si la mort semble donc en être une partie importante, elle ne suffit pas à cadrer l’expression. = Théorie de genres =
Parmi les prétendants au titre on trouve des jeux très divers, de toutes les époques et dans tous les styles : Dragon's Lair ou le cinematic platformer Another World proposent une expérience bien différente de l’exploration et du combat d’un action-RPG comme Dark Souls. Super Meat Boy et Limbo sont tous les deux qualifiés de Die and Retry tout en assumant des choix radicalement opposés tant en termes de gameplay que de difficulté.Super Hexagon ou encore Crypt of The Necrodancer, autant de titres qui tombent facilement dans la case du die and retry tout en proposant des gameplays variés. La question ne semble donc pas liée au genre de jeu, ni même aux gameplay qui varie d’un titre à l’autre. Si le die & retry n’est ni une mécanique, ni un genre précis, l’expression s’est pourtant durablement installée dans les esprits.
Il est parfois confondu avec le Rogue-like, genre aux codes précis tirant son nom du patriarche Rogue (1980), mais désignant plus généralement aussi les jeux utilisant le schéma de progression porte/monstre/trésor et la génération procédurale dans leurs règles de conception, à la manière de The Binding of Isaac ouRogue Legacy (architecture des niveaux, attribution des items, paramètres de difficulté, etc.).
La confusion est facile à faire car le succès de l’expérience des jeux susnommés réside en grande partie dans l’utilisation judicieuse et pertinente du trial and Error, mettant à profit l’échec et la difficulté pour sublimer l’expérience de jeu.
Le terme die and retry semble ainsi lié à une manière d’envisager la progression du joueur, une philosophie ou la mort et la difficulté sont une manière de trouver le fun plutôt que d’y mettre un terme.
Morir de amor
Le die and retry commence donc par assumer la mort comme un atout fonctionnel plutôt qu’une simple sanction en l’inscrivant dans la continuité de l’expérience, et non comme une régression.
La défaite est ainsi riche en enseignements et sollicite la réflexion du joueur, plus encore que son talent ou sa connaissance du niveau pour apporter une solution à un problème difficile à surmonter. Elle affirme ainsi sa place dans le rythme du jeu comme un outil de communication privilégié entre les développeurs et le joueur : connaître les effets d’un piège ou d’un objet jusque-là inconnu ou délimiter dans le sang les frontières explorables du niveau, mourir permet d’expérimenter. Que se passe-t-il si je joue différemment ? Si j’utilise une autre stratégie ? Si je change d’arme ou d’armure ? Si je vais jusque-là ? En tirant profit du Trial and Error, la mort fait partie intégrante du casse-tête posé par les développeurs, qu’il s’agisse de défaire un boss ou d’atteindre la fin du tableau.
Manié avec soin, cet outil permet de multiplier les informations données au joueur en lui faisant subir les conséquences de ses erreurs comme autant de mises en garde futures. D’où l’importance du réglage de la difficulté, qui doit provoquer l’échec au bon moment et de la bonne manière pour donner la bonne information. Difficile en effet d’acculer un joueur dans ses retranchements sans le pousser trop loin.
Il faut donc que l’échec ait une signification pertinente et trouve sa place dans les règles de l’environnement et de l’expérience de jeu. Un processus difficile à mettre en place, voire impossible s’il n’est pas soutenu par la cohérence du gameplay et du challenge proposé. Facile à prendre en main mais difficile à maîtriser, une composante essentielle pour donner corps à la persévérance du joueur dans la maîtrise du gameplay.
Eyes of the Tiger
Si un Super Meat Boy multiplie les dangers et demande au joueur une connaissance millimétrée des niveaux pour progresser, il peut se le permettre car ses contrôles autorisent le degré de précision exigé par son level design, une qualité partagée par un jeu comme Dark Souls, où la mort peut survenir de multiples manières et enseigne la prudence dans les déplacements, les attaques et l’exploration.
Une philosophie particulière qui s’assimile à coup de game-over mais qui ne franchit pas les limites de l’injustice en laissant toujours une fenêtre d’opportunité, aussi courte soit-elle pour permettre au joueur de s’en sortir : l’observation est fondamentale pour anticiper les pièges mortels qui parsèment l’univers des souls. Loin d’être inévitable et source de frustration, la défaite dans le die and retry s’inscrit dans une démarche pédagogique en laissant au joueur le soin de capitaliser sur son échec pour surpasser un obstacle.
Ainsi, elle trouve parfois une justification diégétique : toujours dans Dark Souls votre condition de mort-vivant permet de mourir sans interrompre la continuité de l’aventure. L’univers du jeu justifie ainsi les nombreuses défaites à venir. On ne revient jamais vraiment en arrière et l’univers matérialise cet élément dans la nature même de l’avatar. D’autres jeux moins corsés tels que Prince of Persia ou le FPS Prey donnent corps à la mort, l’un en la présentant comme une divergence d’un récit conté par le narrateur, l’autre de manière moins heureuse par une petite phase de gameplay permettant de « réinvestir son corps ».
Au-delà de simplement trouver une justification dans le background et d’être vecteur d’apprentissage, la mort permet également de récompenser directement ou indirectement le joueur puisqu’elle s’inscrit dans la continuité. Dans un jeu comme The Binding of Isaac, s’il est vrai que chaque défaite renvoie directement au début du jeu, ce n’est pas le cas pour la progression en expérience et objets débloqués qui restent d’une partie à l’autre. Le fait même de mourir peut aussi tenir lieu de divertissement : dans Limbo, les dangers arrivent parfois brutalement (le Trial and Error dans sa plus simple application vidéoludique), mais la frustration est éteinte par l’amusement de découvrir une énième manière de décéder empalé, écrasé, noyé, etc. dans des environnements où les checkpoints sont très rapprochés.
Enfin, le réconfort ultime est sans doute le sentiment d’accomplissement qui accompagne la résolution de chaque problème, la sensation d’avoir repoussé ses limites de joueur en accomplissant un objectif nécessitant persévérance et maîtrise du gameplay. Finir le jeu est donc en soi une récompense, qui tend à se faire plus rare qu’auparavant dans des jeux modernes qui prennent sans doute trop le joueur par la main.
D’abord dérivée du concept de Trial and Error, l’expression die and retry désigne plutôt aujourd’hui une philosophie de jeu prônant un gameplay intransigeant mais précis et un challenge réglé dans les moindres détails, où l’échec à toute sa place pour donner corps aux motivations du joueur et sa cohérence à l’expérience de jeu.