Fallout. Les réminiscences d’un monde depuis longtemps éteint se révèlent au joueur qui arpente les dinners abandonnés, supermarchés et anciens camps de vacances, recouverts par le sable du désert radioactif.
Si l’environnement désolé contraste avec le faste du passé, c’est le résultat d’une mise en scène savamment travaillée dont l’un des leviers créatifs - dans un monde où l’on n’est plus censé trouver grand-chose - réside paradoxalement dans l’art de la consommation : les marques, devenues avec le temps un aspect essentiel à la série.
Fallout se raconte aussi via leurs supports d’expression privilégiés : packagings abandonnés, posters, et autres objets publicitaires sont les témoins d’un passé révolu. Elément utile dans la création du jeu, les marques trouvent leur importance dans tous les aspects de la conception du système, du level design, de l’écriture, ou encore de l’esthétique visuelle et sonore du jeu.
Rétro Futur Sucré
L’univers visuel de Fallout se détache de ses concurrents en proposant une vision associant poncifs post-apocalyptiques et palette colorée des années cinquante.
Des tenues de l’abri aux tasses à café, tout est prétexte à insuffler visuellement ce principe de manière appuyée. Dans cette Amérique rétro futuriste, la consommation de masse est en vogue, et avec elle la publicité.
Dans la vie une entreprise véhicule son image via son logo, son slogan, le produit qu’elle défend. Dans un jeu transmettre une idée passe parfois par la répétition visuelle lorsque l’expérience dure plusieurs heures. Lorsqu’elle trouve sa place tant dans le gameplay que dans l’univers, rien de tel qu’une publicité pour littéralement « spammer » le joueur mais aussi lui indiquer visuellement où et quoi regarder. D’où un soin évident apporté à l’identité visuelle des marques quel que soit l’épisode de la série.
Buvez Nuka-Cola
Minimiser la lassitude visuelle par la composition des décors, émerveiller le joueur sans entraver la lisibilité de l’action, raconter une histoire avec les yeux mais sans les mots, nombreux sont les challenges inhérents à la direction artistique et au level building d’un jeu comme Fallout, et les marques sont un outil précieux pour donner à l’univers sa cohérence finale. Exemple avec le Nuka-Cola.
Aussi omniprésent que dans le monde réel (il a la réputation de pouvoir être acheté partout dans le monde), la parodie du célèbre soda américain peut se trouver très rapidement et fait office de boisson usuelle dans les bars ou sur les routes du wasteland pour reprendre des forces au prix d’une faible exposition aux radiations. Tellement populaire que ses capsules ont remplacé le dollar dans l’économie locale, le Nuka-Cola représente à lui seul l’esprit Fallout et la douce-amertume qui se retrouve de manière générale dans le ton du jeu.
Décliné en plusieurs versions aux effets variés sur le gameplay (Nuke, Quantum, Classic, etc.) et parfois lié directement à l’écriture des quêtes (The Nuka Cola Challenge), la boisson est devenue au fil des épisodes une véritable icône de la licence, partie intégrante de l’univers du jeu et de sa jouabilité.
En effet, le Nuka-Cola et autres déclinaisons « brandées » sont également des items in-game permettant de regagner sa santé, de faire baisser son taux de radiations ou encore de se donner un coup de fouet momentané en améliorant son S.P.E.C.I.A.L. Le Game Design du jeu gagne en clarté en liant avec cohérence les fonction in-game des produits avec leur identité visuelle.
Les marques sont aussi un outil de level design efficace pour indiquer au joueur une direction à prendre ou attirer son attention sur un élément particulier. Les panneaux gigantesques servent de points d’intérêt, permettant de se repérer sans regarder la carte et les logos familiers sont facilement reconnaissables dans l’environnement.
Le produit lui-même sert également de props dans l’environnement. Disséminés ça et là, bouteilles vides, paquets de céréales et autres produits à récurer jonchent le sol pour densifier les zones de jeu et apporter par là même quelques informations sur les lieux visités. Même s’ils ne présentent que peu d’intérêt en termes de gameplay, ces objets composent le désordre crado des intérieurs du wasteland (Abraxo, le nettoyant miracle, se trouve entassé un peu partout, la rançon du succès).
Egalement utiles pour proposer des coffres et autres conteneurs à fouiller, les distributeurs de boissons procurent un support d’expression supplémentaire justifié à la fois dans l’univers et pour les besoins d’un jeu ou le loot et l’exploration sont partie de l’expérience.
Il y fait bon travailler : les entreprises du Wasteland
D’un point de vue historique, les publicités d’une époque témoignent des habitudes culturelles de ses contemporains.
Insouciante, propre, policée et tournée vers la consommation de masse, la société pré-apocalypse de Fallout dévoile au fil des quêtes un visage tout autre, certaines entreprises menant une politique économique agressive où l’individu importe peu face aux profits des grands groupes : La narration du jeu l’a très bien intégré dans ses quêtes, comme le montrent des sociétés comme REPCONN Aerospace spécialisée dans la construction de fusée ou RobCo, l’entreprise à l’origine de certaines technologies du jeu (Pip-boy, Stealth boy, Protectrons, etc.) pratiquant une politique de rachat agressif de beaucoup des sociétés de l’univers Fallout.
Peu regardants sur les protocoles de sécurité, REPCONN caricature une époque où l’on préconisait en en toute âme et conscience à la population de se cacher sous son bureau pour se protéger d’une explosion nucléaire (technique appellée « Duck and cover »). Le joueur est amené à explorer le site de test dans Fallout New Vegas, apprenant comment l’ingénieur en chef prit le blâme à la place de son supérieur pour les accidents ayant eu lieu sur le site.
Vault-Tec, marche ou crève !
Vault-tec, l’entreprise qui construisit les abris anti-atomiques s’enrichit sans vergogne sur le dos des citoyens américains. Plutôt que le paradis promis par la réclame, le postulant trouvera s’il en a les moyens un espace confiné, froid, souvent réservé à mener des « expérimentations sociales » sur ses habitants. Dommage. Créatives et perverses au possible, ces expériences à grande échelle mettent à mal tous les principes éthiques. Surpopulation, suppression des distractions, administration de drogues ou déséquilibre extrême de la population, tout semble permis aux scientifiques délurés de l’univers Fallout dont l’inconscience n’a d’égal que les conséquences de leurs actes. En effet, nul doute que des nombreuses menaces des terres désolées, certaines sont directement issues de ces expérimentations farfelues…
D'autres lieux sont bien sûr à découvrir, comme le Super Deuper Mart, temple de la consommation envahi par les goules. Attisant les convoitises de tous les pillards, et qui sera le théâtre de quelques quêtes. Le Lucky 38 de fallout New Vegas quant à lui, n’est pas seulement un casino mais un point d’intérêt visible au loin promouvant - plus que ses tables de jeu - sa propre vision du luxe (et de l’autorité) à new vegas.
Fausses marques, vrais produits
Les marques de Fallout sont également un bon outil marketing pour la communication du jeu et de la licence en général. Bethesda l’utilise même cette année avec la sortie de la Fallout beer précédent la sortie du quatrième opus. Peut-être pour faire oublier les mésaventures liées à la censure concernant Fallout 3 et New Vegas.
Accusé de pousser le bouchon un peu trop loin par la censure australienne qui refusa l’appellation morphine dans le jeu, Bethesda fit marche arrière et la sulfureuse substance devint donc le Med-X, et ce dans toutes les régions.
Cependant les faux produits font partie intégrante de l’ADN de la licence, sont la plupart du temps reprises avec amusement par la communauté. Au travers des mods ou sur internet, où les modèles d’affiches de qualité très variable pullulent, le soin apporté à la conception des marques du jeu leur permet de rayonner bien au-delà du jeu.