Il arrive parfois dans notre chère industrie que d'énormes structures soient touchées par la grâce ou par le malheur comme ce fut notamment le cas fin 2012 avec la mort de l'éditeur THQ. Loin d'être dans la même situation mais inquiétant tout autant les foules, la firme japonaise Konami entame cette fin d'année 2015 après 6 mois extrêmement difficiles, marqués par les tensions, des polémiques, des départs, des lancements extrêmement importants et des changements de politique. Nous allons donc tenter de discuter des faits, des rumeurs, mais aussi des chiffres et du futur de l'éditeur, ensemble, afin de faire le point sur l'année de Konami et d'envisager son ou ses futurs.
Konami, un éditeur pas comme les autres...
Sachez avant tout que Konami n'est pas un éditeur comme les autres. En plus de son activité dédiée au jeu vidéo, l'entreprise tokyoïte peut tabler sur une activité fitness et santé, et sur la productions de machines à sous de type pachinko entre autres. Après une trentaine d'années passées dans le jeu vidéo d'arcade ou de salon, la firme pourrait bien changer drastiquement ses plans et basculer vers la création de titres à destination du mobile en priorité, un marché attirant et bien moins risqué que son grand frère en terme d'investissement et de rentabilité. C'est en effet la ligne directrice qu'avait donné le nouveau PDG de la firme, Hideki Hayakawa, un mois après sa prise de fonctions.
Une année tumultueuse…
Revenons légèrement en arrière pour dresser la carte des changements structurels qu'a connu la firme et son catalogue en 2015. Tout commence mi-mars, lorsqu'Hideo Kojima, égérie de l'éditeur qui officie depuis 29 ans chez Konami et qui a contribué à l'obtention de ses lettres de noblesses avec la gargantuesque saga des Metal Gear et, en tant que producteur, les Zone of the Enders, se retrouve évincé en douce dans ce qui sera l'un des plus grands fiascos médiatiques de la firme. Nom du créateur effacé des visuels du jeu, offres d'emploi pour le studio Kojima Productions remplacées par des offres pour Konami Los Angeles, migration de compte Twitter, mails internes qui fuitent, bref, les joueurs restent dans le flou quelques jours avant d'en savoir un peu plus sur ce raz-de-marée qui dévaste la sphère vidéoludique à quelques mois du plus gros titre de l'éditeur : Metal Gear Solid V : The Phantom Pain.
En perdant Kojima, Konami essuie la mort programmée d'un titre très attendu, issu d'une autre licence-clé de l'éditeur : Silent Hill. En effet, après une annonce en pleine gamescom 2014, Silent Hills, la collaboration entre Kojima, Guillermo del Toro et Norman Reedus dont on peut essayer le teaser jouable en ligne sur PS4, se retrouve purement et simplement annulé mi-avril. Il semble donc difficile après ce départ d'estimer combien de AAA pourront être produits sans celui que l'on estimait essentiel aux projets pour sa vision et pour son avant-gardisme vidéoludique. Fin-avril, l'entreprise décide de sortir sa cotation de la bourse de New York, celle-ci représentant moins d'1 % des échanges d'actions.
En mai, la communication officielle de Konami se fait un peu plus rassurante concernant le penchant pour le mobile. Jay Boor, responsable communication s'explique sur les précédentes déclarations, notamment celles d'Hayakawa, en précisant que non, la notion de « mobile first » ne signifie pas la priorité absolue du mobile au détriment des jeux console mais plutôt « l'utilisation au mieux des appareils mobiles » lorsque l'on traite une licence sous plusieurs angles (cartes à jouer, jeux console, bornes d'arcade…). Voilà qui calmera l'Internet pendant quelques semaines. Dans un même temps, les bilans financiers de la société sont diffusés et la section vidéoludique engrange 70 millions d'euros de bénéfices nets.
En juin, l'entreprise va mieux et re-signe même son contrat pour l'utilisation de la licence UEFA, et conserve donc la Champions League et l'Europa League dans son titre footballistique Pro Evolution Soccer. En août, à quelques semaines de la sortie de Metal Gear Solid V : The Phantom Pain et de Pro Evolution Soccer 2016, la firme japonaise est touchée par une nouvelle polémique, cette fois-ci liée aux conditions de travail déplorables des employés.
Septembre, un mois capital pour l'année de l'éditeur aura fini en dent de scie. Entre le succès critique incontestable de MGSV, la très bonne copie rendue par les équipes de PES (en tout cas pour ce qui est des versions consoles, la version PC étant relativement « problématique ») et deux nouvelles polémiques… En effet, Julien Merceron, l'homme qui a supervisé le Fox Engine et véritable baroudeur technologique du milieu vidéoludique, quitte Konami après plusieurs années de service. Ce départ a réveillé les rumeurs prédisant un arrêt de la production de AAA à destination des consoles de salon chez l'éditeur, des rumeurs qui ont été émises en direct du TGS 2015 par Gameblog, sources anonymes à l'appui, avant d'être validées par des sources d'Eurogamer selon Gamespot. Aujourd'hui, ces rumeurs ont été critiquées sur Twitter par Su-Yina Farmer responsable communication Europe de l'éditeur, et par le service client de Konami. Cette nouvelle polémique, au moins aussi grosse que le désormais célèbre Kojimagate, mérite que l'on s'attarde un instant afin d'analyser les conséquences et opportunités de cette potentielle décision.
Nous avons tenté de contacter Konami France afin d'avoir une déclaration officielle validant ou non les rumeurs mais la branche française de l'éditeur n'a pas souhaité commenter ces dernières.
Limiter les AAA console, impensable ou tout à fait envisageable ?
Pour comprendre la crise que subit potentiellement Konami en ce moment, il faut se pencher sur les chiffres passés. Si la rumeur d'un arrêt des productions AAA pour consoles peut paraître un peu abrupte, il faut se rendre à l'évidence : Konami n'est plus l'éditeur touche-à-tout qu'il fut autrefois. En réalité, ses licences-clés que sont Castlevania, MGS, PES et Silent Hills ne sont plus aussi prolifiques qu'avant. En témoigne le rythme de sorties très calme de Castlevania et Silent Hill. Et si Ground Zeroes fut un prologue vendu à part plus d'un an avant la sortie de The Phantom Pain, c'est sans doute pour « avoir une sortie » pour la série, une décision potentiellement pressée par Konami qui estimait selon plusieurs intervenants du milieu que Kojima prenait trop de temps à développer et surtout à sortir son jeu aux 80 millions de dollars d'investissement.
L'article fait aussi état de la volonté de Konami de ne plus allouer autant de budget aux productions AAA, jugées moins intéressantes qu'avant financièrement parlant. Avec l'exercice fiscal 2014, qui s'est avéré difficile sur la section vidéoludique avec notamment une baisse des ventes de 37 %, il ne faut pas chercher plus loin pour comprendre les arguments visant à justifier un arrêt des AAA sur console, au grand dam des joueurs. Pour ce qui est de PES, l’arrêt de la production de la licence serait une hérésie puisque l'éditeur en vend des palettes chaque année, malgré une baisse de régime sur les 5 dernières années (impact logique de la baisse de qualité qu'avait enregistré PES jusqu'à l'épisode 2013) et s'assure donc un maximum de rentabilité au vu des maigres risques que représentent une itération annuelle sur un jeu sportif.
Exporter le tout sur mobile : une solution ?
Bien évidemment, l’arrêt des productions AAA à destination des consoles pourrait signifier l'exportation des licences sur mobile sous la forme de projets moins ambitieux, moins risqués, mais potentiellement bien plus rentables. En témoignent les rapports financiers de Konami qui montrent clairement une avancée croissante du secteur mobile dans les rentrées financières de la société avec des titres comme Dragon Collection, Crows X Worst ou encore Professional Baseball Dream Nine comme le souligne le très bon article de GamesIndustry sur la situation. Les meilleurs chiffres sont en effet executés sur le marché mobile, ce qui pour le public japonais, extrêmement friand de ces produits, n'est pas une surprise.
Dès lors, le risque que représente une production comme un Silent Hills ou un MGS V sur cinq plateformes, est très gros, tant en terme d'image qu'en terme d'investissement et de temps de production. Il paraît donc logique pour des décisions prises par des profils financiers de placer la division chargée des AAA en second plan, quitte à se mettre les joueurs à dos. La clé de la manœuvre est de savoir communiquer ces décisions au moment opportun et avec les bons mots. Si les rumeurs ne sont pas officiellement démenties dans les semaines à venir, il se pourrait bien que l'on voit débarquer des Silent Hill mobile, des Castlevania mobile et des Metal Gear mobile… Quoique, ce dernier a déjà existé sur Ngage en 2008… On vous laisse savourer ça en guise de mot de la fin.